Qu’est-ce que les religieux et Ebola sont venus chercher dans la Miss de l’Office de Radiodiffusion Télévision du Mali ? – Non, la question est mal posée. Reformulons-la de cette manière : est-ce le Mali qui est en passe de devenir un « Etat islamique » ou c’est Ebola qui veut priver les maliens de Miss ? – C’est sérieux comme interrogation quand même ! diront beaucoup. Pourtant, c’est bien la question que nombre d’internautes maliens se sont posée le vendredi dernier sur les réseaux sociaux, après l’annonce du report de la tenue de « Miss ORTM-2014 ».
L’événement normalement prévu dans la nuit du 21 novembre, a été annulé à quelques heures de sa tenue à la suite de deux rencontres entre syndicat de l’ORTM chargé de l’organisation de l’événement et le ministre de la communication, Mahamadou Camara. Comme l’indique le communiqué du département de tutelle : « le syndicat a pris la pleine mesure des arguments avancés par le Gouvernement, et qui concernent le contexte social actuel du Mali ». Même si le ministre Camara a déclaré sur www.rpmedias.com que sa décision ne resulte pas de la pression des religieux, nombre de maliens y voient pourtant le contraire. Le lobby religieux l’aurait donc emporté sur le principe de laïcité de la République selon beaucoup. Ainsi, la thèse Ebola convainc moins. Pourtant, depuis l’annonce de la confirmation du deuxième cas dans notre pays, les autorités étatiques usent de tous les moyens possibles pour déconseiller aux citoyens maliens de se regrouper afin de contenir la propagation du virus. Bizarrement, dans le même temps, elles appellent encore à « prier pour sauver le Mali », comme si l’on pouvait s’amasser dans les lieux de culte sans se frotter un peu. Dans ce genre de circonstance, il aurait été même souhaitable de sensibiliser les croyants à surseoir aux prières de masse de vendredi pour les musulmans et du dimanche pour les chrétiens, ne serait-ce que pour limiter le contact humain pendant ces jours à haut risque. Dans le cas où les gens refusent, que des précautions soient prises de part et d’autre pour limiter risques de contamination. Chose difficile surtout dans les mosquées où, selon certains rites musulmans, la qualité de la prière est jugée en fonction du rapprochement des pieds et des épaules des fidèles. C’est clair. Dans notre contexte, les lieux de culte arrivent en tête des endroits les plus exposés à la transmission du virus (C’est d’ailleurs un imam qui est à la base de ce deuxième cas). Derrière, se trouvent les marchés et les cérémonies festives dont Miss-ORTM bien sûr.
Le report de Miss-ORTM, est-ce la goutte du religieux de trop dans le vase de la laïcité?
Cependant, tout en étant bien conscients de la menace Ebola, une large majorité des maliens désapprouve le report de Miss-ORTM, et dénonce une ingérence des religieux dans la vie politique et culturelle des maliens. Effectivement, selon des sources sur place, un groupe d’individus s’était mobilisé jusqu’au siège de l’ORTM pour demander l’annulation de l’événement. On pouvait lire dans la matinée du 21 novembre sur la page facebook du journaliste de la radio Klédu, Kassim Traoré, qu’il y a un « Bras de fer autour de l’élection miss ORTM, certains musulmans s’opposent à la tenue de la finale de demain à Bamako. Selon nos sources ces responsables musulmans ont demandé au ministre de la communication de surseoir à la soirée de ce vendredi, alors que le syndicat de l’ORTM voulait prendre en otage les éditions d’informations de l’ORTM… ». Deux jours auparavant (le 19 novembre) le même « apprenti informateur» (comme Kassim lui-même aime se faire identifier) nous signalait que « l’Ortm est devenu la télévision des Miss avec des publicités à l’emporte pièce ». Alors, y a t-il contradiction chez notre confrère ou informations rapportées suivant l’évolution du sujet ? Quand même, aussi désintéressée et anodine que cette remarque puisse paraître, ne pouvait-elle pas aussi être mal interprétée pour servir d’élément déclencheur au phénomène ?
Toujours est-il que « cette décision a provoqué … la grogne » du syndicat de Office de Radiodiffusion Télévision du Mali, d’après la page facebook de la radio « Studio Tamani ». Et visiblement pas lui seul, car de nombreux maliens se sont servis de leurs comptes personnels sur les réseaux sociaux pour marquer leur désaccord ou leur soutien aux autorités du pays. Madiba Keita par exemple, journaliste du quotidien national « L’Essor », s’inquiète depuis l’Alger où il couvre, pour son journal, la quatrième phase des négociations de paix avec les rebelles : « Le Mali échappe-t-il à ceux le dirigent maintenant ? Où est la laïcité de la République dont il est d’ailleurs question à Alger ? ». Sa consoeur de la télévision nationale, Aissata Ibrahim Maiga, lui répond toujours sur facebook : « Des mains islamistes seraient derrière la décision de ne pas retransmettre miss ortm en direct ». Alioune Ifra Ndiaye se contente de rappeler le but de l’événement : « Un tel événement est fait pour faire rêver et entretenir l’optimisme de la société. Il est à chaque fois l’occasion de prendre en charge de façon légère les grandes questions du moment du pays et de vendre l’industrie touristique national », avant d’exhorter ses anciens collègues à plus de « professionnalisme » pour le rayonnement de l’événement. Djibrilla Souleymane se veut plus alarmiste : « République en danger !! » avant de s’interroger si « les gens ont-ils peur d’aller dans les mosquées ? EBOLA !». Du côté des maliens de la diaspora, Yaya Traoré, un malien de Paris, avertit : « Quand l’Etat est faible ou joue avec la religion, il ne faut pas s’étonner du boomerang… Nous sommes dans un pays multifconfessionnel et comme N’Daw Daouda l’a bien dit, ailleurs, Miss est presque dans toutes les familles. Miss commence en famille. On veut plutôt une société civile y compris les religieux mobilisés contre la corruption, exiger des sanctions en cas de crimes avérés ». Son compatriote vivant apparemment aussi dans la capitale française, Elijah De Bla, est du même avis. Le journaliste fondateur de « Rebelles Pacifiques » croit qu’il y a une « menace du lobye religieux sur la tenue de l’élection#missORTM2015 ». De l’autre côté du globe, depuis Almati (Kasakhstan), Sekou kyassou diallo est on ne peut plus explicite dans son post : « barbus maliens contre Miss ORTM! La complicité de nos dirigeants avec l’ennemi n’a plus de limites. C’est deja contre notre avenir et notre existence ». D’autres comme « LE Citoyen (La Voix Du Peuple) » vont encore plus loin dans leurs réactions en rappelant par exemple que « Chaque televiseur a un bouton « Power » qui permet de l’eteindre. Il n’est ecrit nul part dans le coran ou la bible que celles qui participeront ou ceux qui suivront partageront leurs péchés avec les manifestants. Et ou sont ces gens lorsque nos rues restent infestes d’homosexuels et de prostituées? ».
En revanche, de nombreux internautes ont aussi manifesté leur adhésion intégrale à la décision du gouvernement en réagissant au message du ministre Camara sur sa page officielle sur facebook. Un certain Abdoulaye Coulibaly se dit même « … soulagé» et pense qu’ « avec tout ce que nous traversons ça devrait être le dernier de nos soucis ». D’autres comme Moussa Malamine Sacko, suggère même de « l’interdire pour toujours ».
A quoi s’attendre avec une ingérence grandissante des religieux au sommet de l’Etat ?
Maintenant, la question centrale est de savoir si les maliens ont eu raison ou non de faire autant de bruit autour de ce sujet? Une chose est certaine : c’est la montée en puissance des religieux sur la scène politique du Mali. Cette ascension a connu une vitesse fulgurante depuis la crise de 2012, moment auquel les premiers responsables maliens ont commencé à composer avec les religieux en créant un ministère exclusif pour leur cause. Si cette mesure était à l’époque bienvenue pour contrer l’influence du modèle de l’islam véhiculé par les djihadistes dans le nord pays sous occupation ; avec l’avènement d’IBK, ayant bénéficié d’un large appui des religieux de Bamako à Nioro, elle est en passe de devenir une tradition. A partir de là, on comprend qu’il est légitime pour certains de nos compatriotes de s’inquiéter du devenir des libertés actuelles. Parce que si tout évoluera à ce rythme, il faudra envisager la prochaine fois le port obligatoire du voile, puis de la burqua. En fait, le mouvement est déjà en cours, puisque nos animatrices et présentatrices de l’audiovisuel font constamment l’objet des critiques sévères pour leurs accoutrements. Espérons qu’on n’ira pas jusqu’à agresser les filles dans la rue pour leur tenue comme c’est le cas présentement au Kenya.
Une mutation lente mais très patente de la société
En effet, sans forcement le constater peut-être, mais on vit de nos jours un tournant décisif de transformation de la société malienne. Il suffit de quitter Bamako pour six mois ou une année afin de s’apercevoir du changement de comportement que subissent les maliens au quotidien. Comme on s’interinfluence sans le savoir, du jour au lendemain, tout le monde s’est mis à porter du boubou le vendredi, y compris ceux qui ne sont pas musulmans. On est obligé de le faire de peur de se voir désavouer par son entourage. Par finir, naturellement, chacun se prête au jeu ; du coup mêmes nos amis de l’étranger en visite chez nous s’y adaptent facilement. Finalement, les cérémonies de mariage et de baptême habituellement bruyants et festifs, sont devenues moins animées. Les griots et les artistes voient de plus en plus leurs rentabilités baissées. Leur place est peu à peu récupérée par les chanteurs religieux. Partant, ceux qui manquent de talent pour se reconvertir à Zikiri-louangeur, sont voués tôt ou tard à la disparition. La réalité est que, plus les jours passent, plus l’islam façonne les habitudes des maliens. Le modèle de l’islam tolerant qui a toujours regné au Mali, est en train de faire progressivement place à une interpretation plus compliquée et exigeante vis-à-vis des maliens. On a l’impression de redecouvrir l’islam qu’on pratique pourtant dès le treizième siècle de notre ère.
Est-il possible d’être « noir » africain et bon croyant sans renoncer à ses répères?
D’un point de vue général du continent, vu la tournure que prend actuellement le phénomène vestimentaire en islam sur fond de propagande d’une approche radicale de l’islam, il revient aux musulmans africains non-arabes de déterminer le modèle qui permet de perpetuer l’équilibre du vivre ensemble de nos sociétés dont la complexité et la disparité culturelle et linguistique en font de véritables « bombes à retardement ». La question est de taille, puisqu’il nous faut trouver des moyens pour pratiquer nos fois sans devoir abandonner nos identités socioculturelles et surtout ces répères fondamentaux qui font l’originalité de chaque groupe ethnique ou racial au sein de la grande communauté des peuples. Sinon, beaucoup de pratiques ancestrales ont déjà disparu au profit de ces religions et des civilisations étrangères. Les quelques rares traditions qui y ont miraculeusement survecu aussi, restent graduellement menacées de disparition à cause d’un manque croissant d’intérêt des autorités, et des citoyens maliens qui, plus sont pieux, plus s’éloignent de moeurs, puisque tout ce qui y est lié est synonyme de péché ou de mécréance.
Source: autre presse