Il est vrai que l’Administration territoriale n’a pas toujours fait montre d’exemplarité, ni en neutralité, ni même souvent en expertise électorale. Nous sommes de ceux qui ont depuis toujours, estimé qu’à terme, l’organisation technique et matérielle des élections devrait nécessairement échoir à une administration électorale unique et indépendante.
Pour autant, faudrait-il ici et maintenant, s’engouffrer dans l’aventure institutionnelle d’une structure électorale autonome, à quelques encablures seulement des échéances électorales de fin de Transition qui s’annoncent ? De sérieux doutent subsistent à cet égard. Le gros risque est de voir l’organe électoral autonome bricolé dans la précipitation servir de cimetière institutionnel de la Transition par des scrutins bâclés dans les conditions pires que celles de la CENI de 1997.
UNE IDEE GENEREUSE TRES SEDUISANTE
L’idée de la prise en charge de l’organisation et la gestion des élections par une structure autonome est fort sympathique. Qui oserait à priori s’y opposer dans le principe ?
On a tout de même l’impression, parfois, que trop de vacarme couvre la question. On observe aussi souvent que les voix les plus audibles en la matière n’ont généralement jamais conduit ou simplement participé à la gestion d’opérations électorales techniques et matérielles.
C’est d’ailleurs sans doute, l’une des raisons qui explique la relative ambiance d’obstination qui règne, dans le déni des défis quasi insurmontables de l’organisation des élections de sortie de Transition par une structure autonome. Il ne sert à rien de se voiler la face devant la perspective d’une telle aventure vouée d’office à un échec cuisant.
La Transition commettrait une erreur fatale en s’engageant dans ce qui ne serait qu’un remake, mais en pire, du désastre électoral de la CENI de 97.
DES CONTRAINTES QUASI INSURMONTABLES
Il n’est pas interdit d’exiger de la Transition qu’elle offre dans les petits mois restants, des scrutins qui soient transparents, crédibles et sincères à travers un organe électoral unique et autonome. Cependant, n’est-ce pas une utopie que de la pousser à la bricoler dans la précipitation alors qu’une structure autonome de gestion électorale ne pourrait s’improviser dans le timing de la Transition en cours ?
Il faut se demander en toute objectivité et sans démagogie aucune, qu’elle en est la faisabilité réelle.
A cet égard, il nous paraît tout simplement impossible dans le timing de la Transition, de créer de toute pièce et rendre fonctionnelle, une administration électorale unique et autonome.
L’organe unique doit être examiné en liaison avec les objectifs d’indépendance, de crédibilité, de transparence et de maîtrise technique que l’on recherche dans le processus électoral.
Le montage juridique d’une telle structure soulève une batterie de problématiques liées à sa nature juridique, ses pouvoirs, son envergure, sa composition, son opérationnalisation.
- Puisqu’on attend de cette administration électorale qu’elle soit autonome (ou indépendante), quel contenu va-t-on donner au concept d’indépendance ou d’autonomie et par rapport à qui (gouvernement, partis politiques) la structure sera-t-elle indépendante ?
- Plusieurs interrogations se posent quant à la composition de la structure. Faut-il une représentation des partis politiques et de la société civile ? Et de quelle manière ? Va-on en particulier greffer au staff technique de la structure un organe consultatif où seront représentés les partis politiques et la société civile ou va-t-on les faire représenter comme à la CENI actuelle ?
- Faut-il une représentation sur la base de critères cumulatifs de neutralité, de compétence technique et de moralité ?
- Quid des conditions de désignation du Directeur de la structure, de la durée de son mandat et des conditions de renouvellement ?
- Pourrait-on directement transférer à la DGE en tant que structure autonome déjà opérationnelle, la totalité des opérations d’organisation et de gestion des élections ?
- L’envergure de la structure n’est pas une question moins importante. Va-ton se contenter d’une seule administration centrale à Bamako ? Dans ce cas, comment va-t-elle opérer dans les régions, cercles et communes ? Faudrait-il des démembrements à l’intérieur et à l’extérieur du pays ? Ou alors devrait-on aller vers le schéma d’une administration centrale avec des passerelles de collaboration (ou articulations) avec le ministère de l’Administration territoriale à travers les représentants de l‘Etat dans les régions, cercles et arrondissements et le ministère des Affaires étrangères à travers les ambassades et consulats ? Dans ce cas, quelles seront les relations fonctionnelles entre la structure autonome et les services du ministère de l’Administration territoriale et des Affaires étrangères ?
LE PIEGE D’UN FIASCO ELECTORAL ANNONCE
Comment une administration électorale parallèle va pouvoir opérer dans un contexte d’insécurité où l’administration régalienne d’Etat n’arrive même plus à couvrir des pans entiers du territoire national où elle est déclarée persona non grata ?
Les défis quasi insurmontables évoqués rendent chimérique le montage par les autorités de la Transition d’une structure autonome d’organisation des élections dans les mois impartis. Prôner la structure autonome, c’est faire preuve d’irréalisme et tendre à la Transition, le piège du fiasco électoral du siècle dont on ne voit pas comment elle pourrait se relever. Si nous voulons épargner ce pays qui n’en peut plus, de nouvelles mésaventures post électorales d’envergure, la Transition a intérêt à ne pas tomber dans ce piège.
La création de l’organe unique autonome d’organisation et de gestion des élections ne peut que s’inscrire dans le moyen, voire le long terme.
En attendant et dans la perspective des échéances électorales de sortie de Transition qui s’annoncent, il paraît plutôt réaliste de contraindre l’Administration territoriale à plus de professionnalisme et surtout davantage de transparence dans l’ensemble du processus électoral. L’organe unique ne doit pas servir de cimetière institutionnel de la transition.
Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB)