Avec les moyens donnés aujourd’hui, « on ne pourrait pas gérer une troisième crise », estime le général Mercier. Le « contrat » fixé en 2013 par le chef de l’Etat prévoit que l’armée de l’air puisse déployer simultanément 33 avions de chasse dans des opérations extérieures ; elle en fait voler 28, répartis entre l’opération « Barkhane » au Sahel, l’opération « Chammal » en Irak, et les forces de Djibouti. Il faut y ajouter presque tous ses ravitailleurs et transporteurs, qui sont en fin de vie. Ainsi que « d’autres avions espions ». C’est à la fois un effort limité – il y avait 24 chasseurs pour la seule opération Daguet lors de la première guerre du Golfe – et un défi.
Dans ce cadre, la préoccupation principale, souligne le chef d’état-major, « c’est la ressource humaine ». Depuis 2008, une période qui a vu l’Elysée signer deuxLivres blancs de la défense, l’armée de l’air « a diminué son format par deux ». Elle ne compte par exemple plus que deux escadrons nucléaires, dont les avions participent aussi, maintenant, aux opérations conventionnelles.
Pilotes et mécaniciens aux limites
Les réformes ont été brutales, il faut en panser les plaies : « La RGPP (revue générale des politiques publiques) est allée très vite, sous un seul angle d’organisation, intellectuellement, c’était sûrement pensé, mais on a souvent oublié l’homme dans tout cela. Le pire, pour moi, c’est la perte de repères de notre personnel », explique le chef d’état-major.
Pour lui, « on va trop loin dans la diminution des effectifs, notamment des officiers ». En 2013, a-t-il précisé, les équipages ont fait neuf mois d’« opex » et, en 2014, beaucoup seront au-delà de cent cinquante jours en mission. Pilotes et mécaniciens sont aux limites.
Il faut ainsi comprendre que les six Mirage 2000-D envoyés ces jours-ci enJordanie sur la base Prince Hassan, au nord-est d’Aman, ne sont pas pour l’heure destinés à une campagne d’intensification des frappes aériennes – la phase de contre-offensive contre l’Etat islamique ne commencera pas avant plusieurs mois.
« En Irak, on est dans cette phase, qui risque de durer longtemps, où les forces irakiennes doivent reprendre le contrôle de leur terrain. On empêche Daech desortir. Cette permanence au-dessus du théâtre est plus importante que les frappes. » A cette occasion, Denis Mercier a confirmé qu’un seul programme d’équipement avait été lancé en « urgence opérationnelle » pour l’Irak : il vapermettre de doter les avions français de bombes « à effet létal réduit », en vue delimiter les dommages collatéraux lors des frappes, dans les zones urbaines notamment.
Les opérations durent et il faut relever les hommes. « Avec les Mirage, je peuxrépartir la charge. Je dois faire souffler mes équipages de Rafale », explique le général. Autre avantage, si Doha confirme son intention d’acheter des Rafale, les aviateurs seront disponibles pour former les futurs pilotes qataris. Dans la même idée, des pilotes de Mirage volontaires ont été reconvertis en pilotes de transport, au profit de l’escadron des forces spéciales Poitou, sursollicité depuis trois ans…
Rationalisation à tout-va
Les crédits de maintenance étant insuffisants (il a manqué un milliard d’euros en 2013), l’activité est de 20 % inférieure aux normes de l’OTAN, a encore souligné le chef de l’armée de l’air. L’activité devrait revenir à un niveau satisfaisant « en 2018 ». En attendant, on rationalise à tout-va, par des mesures d’organisation – le général Mercier commande depuis peu l’entretien des aéronefs des trois armées. Les contrats avec les industriels sont renégociés. C’est ainsi que le coût de l’heure de vol du Rafale a baissé de 14 % en un an.
L’enjeu, dans la période, est de conserver une armée de haute technologie. Le nerf de la guerre, ce sont les systèmes de communication, de commandement et de contrôle, rappelle le général Mercier. Quant aux drones, « plus on en a, plus on en a besoin ». Il plaide donc pour l’acquisition accélérée en 2015 d’un deuxième système de drones américain Reaper complétant celui déployé à N’Djamena –« c’est la clé des opérations en Afrique et au Levant », dit-il. Au-delà, des réflexions sont en cours sur « le combat aérien du futur », à l’horizon 2030.
La loi de programmation militaire 2014-2019 a donné à la défense un budget annuel de 31,4 milliards d’euros. Mais 2,4 milliards de recettes exceptionnelles restent à trouver en 2015 pour atteindre cette somme. « La LPM, on l’a voulue, elle a été construite en cohérence. Mais tout est extrêmement tendu : nous faisons le pari qu’on ne va pas nous reprendre de l’argent. » Le gradé, comme les autres chefs militaires, rappelle « les assurances répétées » du ministre de la défense, du président de la République, du chef du gouvernement. Des programmes d’armement jugés prioritaires ont été encore différés, et le général Mercier dit avoirvécu comme la meilleure des nouvelles la commande, ces jours-ci, du premier ravitailleur multirôle MRTT, qu’il attend depuis… dix ans. Il serait« incompréhensible qu’on n’obtienne pas le niveau de ressources annoncé, compte tenu du niveau d’engagement opérationnel actuel », conclut-il.
Source: lemonde.fr