Le film du mandat d’Ibrahim Boubacar Keïta, pourrait être raconté comme une histoire qui redémarre continuellement.
La constitution du nouveau gouvernement, autour du Premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga, le 4è depuis septembre 2013, marque ainsi une nouvelle étape, avec l’objectif de mettre en branle la machine gouvernementale pour répondre aux attentes des Maliens et de faire face aux nombreux défis auxquels le pays est confronté. Principale nouveauté : le PM est issu du parti majoritaire, le Rassemblement pour le Mali, alors que jusqu’ici, le président avait choisi son chef de gouvernement parmi des personnalités de la société civile, ou au sein de partis minoritaires. Cela suffira-t-il pour satisfaire une opinion publique impatiente, voire désabusée ?
C’est le mardi 4 avril, sous la pression de son parti, le Rassemblement pour le Mali (RPM) qui menaçait de déposer une motion de censure à l’Assemblée nationale, que le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) a accepté la démission de son Premier ministre, Modibo Keïta. Ce dernier était entré à la Primature 2 ans et 3 mois plus tôt, en remplacement de Moussa Mara, ouvertement en conflit avec plusieurs membres de son gouvernement, et à l’origine du drame de Kidal en mai 2014, où plusieurs civils avaient perdu la vie, avant que l’armée malienne ne soit mise en déroute par les mouvements rebelles.
Un départ attendu « Modibo Keïta a parfaitement compris la psychologie du président, mais l’inverse n’est pas vrai », se lamentait un cadre du parti majoritaire, tant ce dernier parvenait, contre toute attente, à se maintenir au poste de Premier ministre, alors que son départ était régulièrement annoncé pour redynamiser l’action gouvernementale. Grand de taille, adepte des discours grandiloquents, « il savait mieux que quiconque dire et agir pour plaire à un président lassé d’entendre des mauvaises nouvelles », commente un collaborateur de la présidence de la République, sous couvert d’anonymat. Bien qu’ayant lui même annoncé lors de sa prise de fonction, et plusieurs fois ensuite, « qu’il ne se sentait pas à sa place et qu’il devait partir pour laisser place à l’action politique », dans les faits, « Modibo semblait avoir pris goût à la fonction », affirme la même source. Il n’avait pas la force de s’attaquer aux problèmes du pays, commente Lamine Doumbia, cadre de banque, pour qui l’ancien PM était discrédité depuis la révélation en 2015 de l’attribution de logements sociaux à ses proches, mais avait pourtant su écarter ses rivaux trop ambitieux. Désormais de nouveau retraité, « Missié », comme le surnommaient certains de ses ministres pour moquer son style professoral, peut mettre à son actif la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation, en mai et juin 2015. Mais les difficultés de son application, le lancinant problème d’insécurité dans le septentrion, et l’absence de l’État de plus en plus ressentie dans le centre du pays, atténuent largement ce bilan. Sans parler des grèves dans les secteurs de la justice, de la santé et de l’enseignement supérieur, ainsi que du bras de fer avec les Maliens de France à la fin 2016, qui ont contribué à « mettre à nu les carences du gouvernement, le manque de cohésion au sein de l’équipe, et souvent obligé IBK à monter en première ligne », souligne un éditorialiste malien. En définitive, le bilan est plutôt en demi teinte, et Modibo Keïta, tout comme lors de son premier passage à la Primature en 2001, ne laissera sans doute pas un souvenir impérissable dans les annales de l’action gouvernementale.
Douche froide Si les caciques du RPM, à l’image de Nancouma Keïta, vice président du parti et ancien ministre, se réjouissaient à l’annonce de la nomination d’Abdoulaye Idrissa Maïga, le samedi 8 avril, que « le fait majoritaire soit enfin respecté », la composition du gouvernement dévoilé le 11 avril semble avoir quelque peu douché l’enthousiasme. Avec 10 portefeuilles dans l’équipe sortante, les personnalités se revendiquant du parti majoritaire ne sont désormais plus que 7 sur 35, sans compter le Premier ministre. Des figures du parti on en effet été limogées, telles qu’Oumou Ba, vice présidente, qui occupait le poste de ministre de la Promotion de la femme depuis 2013, Ousmane Koné, également vice président, ancien ministre du Logement, dont c’était la 3è affectation après la Santé et l’Environnement, et enfin Mahamane Baby, ancien président de la jeunesse du RPM, ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle depuis le début du mandat. Maître Baber Gano, secrétaire général du parti depuis le congrès d’octobre 2016, est le seul à faire son entrée au gouvernement, en tant que ministre des Transports. Un poste qui apparaît comme un lot de consolation, car amputé du stratégique secteur de l’équipement, toujours détenu par Seynabou Diop. Alors que d’aucuns attendaient un gouvernement de combat pour préparer la réélection d’IBK en 2018, ils ont hérité d’un « gouvernement Modibo sans Modibo », avec les 2/3 des membres restés en fonction, et où le RPM n’hérite d’aucun poste régalien. Par ailleurs, ce remaniement ministériel a dévoilé des tensions toujours persistantes au sein du parti majoritaire, dont l’absence du président, le Dr Bokary Treta, pendant toute la séquence, en dit long. « Treta ne s’est pas donné la peine de rentrer de Paris, où il s‘était rendu en voyage privé, sans doute par défiance envers le nouveau Premier ministre qu’il considère comme son rival » au sein du parti, témoigne un militant membre du Bureau politique national. La fronde des députés RPM ne semble donc pas avoir porté ses fruits. Et l’attribution de l’Administration territoriale, à 15 mois de l’élection présidentielle, à Tièman Hubert Coulibaly, président de l’Union pour la démocratie et le développement (UDD), un parti membre de la majorité présidentielle, en lieu et place de Mohamed Ag Erlaf, militant RPM désormais en charge de l’Éducation, ne fera qu’aggraver le malaise.
Équilibres ? En outre, la majorité présidentielle n’est représentée que par 6 partis : l’ADEMA, le RPM, l’UM-RDA, l’UDD, le MODEC de Konimba Sidibé et le PS-Yelen Coura d’Amadou Goïta, au grand dam des quelques soixante autres membres de la Convention de la majorité présidentielle (CMP), qui espéraient bénéficier de la proximité des prochaines échéances électorales pour intégrer l’équipe gouvernementale. C’est donc un paradoxe : la société civile, dont le symbole est le nouveau ministre de la Défense, Tiena Coulibaly, est majoritaire au sein du gouvernement Maïga avec 19 membres. Autre grande tendance, les ressortissants des communautés du Nord sont représentés par au moins 10 personnalités, ce qui ne manquera pas de faire grincer des dents, comme l’explique le journaliste écrivain Adam Thiam (voir page 5), alors qu’après le départ de Marie-Madeleine Togo, qui paie la grève dans les hôpitaux, et de Barthélemy Togo, il ne reste plus aucun représentant de la communauté chrétienne. Autre point notoire, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), l’ancienne rébellion, a refusé de faire son entrée au gouvernement, alors que la Plateforme y a deux représentants. Quant aux femmes, malgré la promesse qu’IBK leur a faite à l’occasion du 8 mars dernier, elles sont encore loin de représenter 30% de l’effectif, et ne comptent que 8 femmes représentantes, soit 23%. « Si la première institution du pays ne respecte pas la loi, qui d’autre va le faire ? », s’interroge un journaliste, faisant allusion à la loi sur les quotas qui prévoit 30% de femmes dans les postes nominatifs et électifs.
La patte IBK Constitué dans le cadre de tête-à-tête entre le président IBK et le nouveau Premier ministre, le gouvernement porte clairement la touche présidentielle. Le souhait d’Abdoulaye Idrissa Maïga de garder le portefeuille de la Défense et d’y nommer l’un de ses proches en tant que ministre délégué lui a été refusé, tout comme l’intégration et le maintien de certains cadres du RPM. Mais il a néanmoins obtenu le retour de Tièman H. Coulibaly, son prédécesseur à la Défense. L’arrivée de Maître Tapo (Droits de l’Homme et Réforme de l’État, compagnon de l’ADEMA des années 1990), d’Oumou Touré (Promotion de la femme), d’Arouna Modibo Touré, dit « Papou » (Économie numérique et Communication) et de Taher Dravé, témoigne que « ce gouvernement est surtout constitué de proches du président et de son entourage », affirme, frustré, un ministre recalé de la nouvelle équipe. « La plupart des collaborateurs de la présidence, y compris le secrétaire général, Soumeylou Boubeye Maïga, ont été tenus à l’écart de la constitution de l’équipe. Résultat, on assiste à de nouveaux saucissonnages et à un « turnover » sans précédent, comme à la Défense ou à la Communication, qui connaissent leur 5è titulaire en moins de 4 ans ! », ajoute-t-il. Le principal enseignement à tirer de cette séquence serait « le manque de perméabilité du président IBK aux pressions politiques, et dont le mode de désignation aux hautes fonctions est davantage basé sur l’affectif et les liens personnels », estime un diplomate ouest-africain en poste à Bamako.
Dans ce contexte, avec une équipe qui porte très peu sa touche, Abdoulaye Idrissa Maïga aura-t-il les marges de manœuvre pour agir ? C’est la question sur toutes les lèvres. Gestion des grèves dans les hôpitaux et au niveau de l’éducation, insécurité, instabilité dans le centre du pays, crise du football malien, application de l’accord pour la paix, etc, les défis ne manquent pas. Connu pour sa pigne, voire son intransigeance, ce natif de Gao est déjà sous pression, car la réaction plus que mitigée de l’opinion publique à l’annonce du nouveau gouvernement laisse présager qu’il n’aura pas d’état de grâce. Le président IBK joue sans doute ses dernières cartes pour améliorer son bilan, et tenter de conjurer le mythe de Sisyphe.
Source: journaldumali