Depuis le départ du pouvoir du président Amadou Toumani Touré en 2012 et comme dans une divinité, il ne se passe de mois sans qu’un fait, un acte, un événement ne viennent lui donner raison à propos de sa conviction sur tel ou tel aspect de la gestion de l’Etat. La dernière preuve de vérité établie est fournie par le documentaire diffusé jeudi dernier sur France 2 dans le cadre de l’émission « Envoyé Spécial » sur la problématique des otages dans le Sahel. L’émission consolide la position d’ATT par rapport à la récurrente question des otages et à son opposition au paiement de rançon.
Au-delà du problème des otages, ATT a toujours prôné le dialogue comme solution au problème de la crise malienne. Il a alerté sur la présence d’Aqmi dans les mouvements du Mnla. Et appelé la communauté internationale à la tenue d’une conférence régionale sur le Mali afin de dégager une stratégie commune de lutte contre le terrorisme. Sur tous ces sujets brûlants, Amadou Toumani Touré n’a pas été suivi.
Plus de quatre ans après son départ du pouvoir et face au contexte politico-sécuritaire au Nord, au centre et au sud du Mali, toutes les prédictions d’ATT se déroulent comme sur un tapis roulant, mettant l’opinion devant les faits accomplis. Est-il encore tard ?
Dans « Otages d’État » et l’assassinat des journalistes de Rfi Ghislaine Dupont et Claude Verlon, l’équipe de France 2 fait des révélations sur la présence et l’activité des barbouzes français dans le septentrion malien et toute la bande sahélo saharienne, le financement des réseaux terroristes, et de certains mouvements armés, comme le Mnla.
A cause de plusieurs facteurs (la raison d’État, des zones d’ombre, des témoins qui se sont rétractés, certains ayant eu peur, d’autres liquidés qui ont emporté leurs vérités, leurs révélations, leurs secrets dans leurs tombes à jamais, des questions sans réponses), l’on ne connaîtra peut être jamais toute la vérité sur ce qui s’est réellement passé à propos de la libération des otages d’Areva et la mort des journalistes français. Dans la mesure où les enjeux sont énormes dans une affaire où on parle de présence concomitante de réseaux parallèles, de plans de négociations A (filière Gadoullet) et B (filière Lorenzi), avec différents acteurs, les ramifications, les intermédiaires.
Ce qui est avéré, c’est le fait que beaucoup d’argent a été payé par différents pays européens, la France à travers AREVA, la Suisse, l’Espagne pour les libérations d’otages. On parle de sommes faramineuses à hauteur de 120 millions d’euros pour la période située entre 2008 et 2013 !!! Cela donne certainement des idées, des envies et même des vocations à de futurs apprentis terroristes spécialisés dans les rapts, enlèvements et chantages divers et surtout un trésor de guerre pour acheter des armes; des détournements d’argent sont évoqués par des témoins, des rétros commissions également…
Moins de rançons !
Cependant, une certitude que l’émission met en exergue : c’est que le président Amadou Toumani Touré et son homologue du Niger, Mahamadou Issoufou, ont été sollicités officiellement par la France pour négocier la libération des otages à un moment donné, avant que la piste du président malien ne soit écartée et selon les termes clairs et non équivoques du président du conseil de surveillance d’Areva, Jean-Cyril Spinetta, lors du rendez-vous avec le premier négociateur Guy Delbrel, le président malien a affirmé qu’il acceptait d’aider la France à négocier pour la libération de ses otages, car elle le lui demandait, « et je le fais en dépit du fait que ces rançons qui seront payées me sont très défavorables puisqu’elles servent à armer des gens qui sont mes ennemis ».
Toujours selon le reportage, ATT pense qu’il est possible de négocier rapidement à travers Ag Bibi et pour des sommes relativement faibles, 2 millions d’euros par otage.
La piste du président malien fut écartée par le secrétaire général de l’Elysée, à l’époque Claude Guéant, et un nouveau réseau est activé, celui de Gadoullet.
Selon le négociateur, ATT, après avoir appris que la somme de 10 ou 13 millions d’euros eut été payée pour la libération de trois otages, était furieux et c’est là où c’est très intéressant. Non seulement Laurent Bigot, à l’époque Responsable Afrique de l’Ouest du ministère des Affaires étrangères affirme que ATT était furieux parce qu’il estimait que l’intégralité de la somme payée pour la libération de trois otages n’était pas allée à Aqmi et a pensé à des rétro commissions ayant bénéficié à la classe politique
Lorsque le journaliste demande également au négociateur Gadoullet : « Était-il furieux parce qu’il n’a pas eu sa part dans la libération des otages ? ».
La réponse du négociateur fut sans détour: « Non, il était furieux parce qu’il n’en tirerait pas le bénéfice politique… »
Pour étayer le fait que le président Amadou Toumani Touré était contre les versements de rançons, nous déterrons une interview qu’il a accordée peu avant le coup d’Etat au journal français Le Figaro. C’était dans sa parution du 14 mars 2012.
Êtes-vous favorable au paiement de rançons pour la libération des otages?
ATT répond : « C’est une mauvaise solution qui renforce les capacités de certains groupes, mais il ne faut pas être hypocrite. Les pressions de toutes sortes sont fortes pour obtenir la libération de personnes retenues captives dans des conditions insupportables. Je souhaite que les six otages français soient libérés le plus rapidement possible. Chaque fois que le Mali peut aider, il n’hésite pas à le faire ».
Le dialogue d’abord…
Le président ATT avait prévenu sur l’impérieuse nécessité d’engager le dialogue avec les groupes armés. Il était farouchement opposé à solution militaire intégrale. Car, est-il convaincu, nul ne sait où finit une guerre. Sans oublier que, selon lui, le Mali seul ne pouvait faire face aux groupes rebelles appuyés par les groupes terroristes. ATT était donc contre la guerre et la violence là où les problèmes peuvent être résolus par le dialogue ou autour de la table.
Quand le 23 mai 2006, des éléments incontrôlés ont attaqué la garnison de Kidal, réveillant le conflit du Nord-Mali, beaucoup de Maliens s’attendaient à ce que le président de la République lance aux trousses des bandits armés et des populations touarègues les forces armées maliennes. Mais ils ont vite été désorientés par l’appel du chef de l’Etat depuis Diéma (localité située dans la région de Kayes) où il était en visite. Un appel à la mesure et au discernement.
« C’est ici, à Diéma, dans le Kaarta, dans le Mali profond, que j’ai une pensée particulièrement douloureuse pour les évènements que notre pays a connus malheureusement ce matin. Cela fait mal ! Certes, mais nous devons, une fois encore, face à des épreuves, nous unir, renforcer notre solidarité, œuvrer pour l’unité et la cohésion nationales…Je demande, à chaque Malienne, chaque Malien, d’abord de garder le calme…Je voudrais convier toutes les Maliennes et tous les Maliens à savoir faire la part des choses. Ceux qui ont attaqué des postes militaires à Kidal ne doivent pas être confondus avec nos autres compatriotes Tamasheq et proches qui vivent avec nous, nos difficultés, qui ont choisi le Mali, qui ont choisi la loyauté et qui ont les mêmes droits que nous. Ne les confondez pas avec ceux qui ont tiré à Kidal (…) Il faut les aider, les assister, les encourager.
Que personne ne fasse cette confusion dans les camps militaires, dans les camps de la Garde nationale, dans les services de la douane et tous les autres services de l’Etat, administration publique comme privée. Ne faites pas un amalgame entre celui qui a tiré là-bas, sur un poste militaire, et l’autre Malien qui, ici, travaille et s’occupe de sa famille…Où que je me trouve en République du Mali, je suivrai la situation avec responsabilité, mais aussi avec mesure…
Au Mali, on n’a plus besoin de prendre des armes pour se faire entendre. La décentralisation est un statut particulier par lequel vos élus peuvent, par différentes voies, – administratives et politiques – transmettre vos doléances, vos suggestions et critiques aux autorités…Ce n’est pas une tragédie … C’est une situation que nous allons gérer en toute responsabilité », avait laissé entendre ATT aussitôt après les événements de Kidal et Ménaka.
Éviter d’entraîner le Mali dans un engrenage ; tel fut, de bout en bout, le souci de Amadou Toumani Touré, un général d’armée, rompu au métier de la guerre, donc qui connaît plus que quiconque les conséquences (sociales, militaires, économiques…) de la gestion d’un conflit déjà enclenché.
Dans la crise de 2006, ATT gérait en fait non seulement le Nord du pays (théâtre des opérations), mais aussi le Sud.
Cette méthode a réussi à 100%, car, jusqu’à fin de la crise, en 2009, on n’a décelé aucune « chasse aux sorcières » contre des populations touarègues, ni de la part des populations noires, ni de la part des forces armées et de sécurité. Il n’y a pas eu non plus d’exode ou d’exil massif des Tamasheq, encore moins de désertion à outrance des éléments intégrés dans l’armée et les autres forces paramilitaires.
Cet effort d’ATT à l’intérieur, était parallèlement accompagné par un intense travail diplomatique à l’étranger et au Mali.
La méthode ATT (sociale et diplomatique) a été renforcée, tout au long du processus, par les initiatives traditionnelles entreprises par les notabilités locales, les chefs de fractions et de tribus et les associations de chez nous, et la Ligue populaire et sociale des tribus du Grand Sahara. Objectif commun : donner la chance à la paix, par le dialogue, la médiation. Sans faire la guerre, véritablement.
Quand la rébellion a éclaté à nouveau le 17 janvier 2012, tous les Maliens ont été témoins de la gestion faite par ATT de la situation, rendue plus salée par les effets de la crise libyenne, l’implication d’Aqmi et des djihadistes d’Ançardine. Les rebelles ont certes annexé certains camps et villes, mais jamais il n’étaient parvenus à s’aventurer dans les capitales régionales grâce aux stratégies d’ATT. Mais après son départ du pouvoir, Kidal, Gao et Tombouctou ont été occupées en l’espace de 72 heures.
Aqmi avec le Mnla
Autre point sur lequel l’histoire donne raison à nouveau à ATT, c’est quand il disait sa conviction que Aqmi épaule les rebelles dans leurs combats contre les forces armés. A Figaro, il l’avait clairement dit quand le journaliste français lui demanda : Que s’est-il passé le 24 janvier dans la garnison d’Aguelhok? Qui est, selon vous, responsable du massacre de vos hommes?
Réponse : « La garnison n’avait plus de munitions et il était impossible d’acheminer des renforts. Les soldats qui se sont battus vaillamment ont été faits prisonniers. Lorsque le MNLA a quitté les lieux nous avons découvert une tragédie. 70 de nos jeunes étaient alignés sur le sol. Les Noirs avaient les poignets ligotés dans le dos. Ils ont été abattus par des balles tirées à bout portant dans la tête. Ceux qui avaient la peau blanche, les Arabes et les Touaregs, ont été égorgés et souvent éventrés (Amadou Toumani Touré montre des photos de corps suppliciés, NDLR). C’est un crime de guerre. Je suis étonné par le silence des organisations internationales sur ces atrocités. Que dit la Cour pénale internationale? Rien. Une commission d’enquête a été chargée de remettre un dossier à la justice malienne. Le MNLA qui a revendiqué la victoire porte une lourde responsabilité, mais nous savons que le contingent le plus important du groupe était composé essentiellement de gens d’Aqmi. L’implication d’Aqmi est importante dans ce conflit tout comme celle du groupe islamiste touareg Ansar dine d’Iyad ag Ghali ».
Une conférence sous régionale
Enfin Amadou Toumani Touré a eu raison par rapport à sa conviction que la lutte contre le terrorisme ne peut aboutir qu’avec la conjugaison des efforts de tous les pays de la bande sahélo saharienne assistés par les partenaires occidentaux. D’où ses appels incessants à la tenue d’une conférence régionale.
Aujourd’hui, la situation sécuritaire se dégrade au nord, au centre et même au sud du Mali, où les attaques contre l’armée et les forces onusiennes se multiplient.
Au Niger, au Burkina, en Côte d’Ivoire, etc. les attentats terroristes et autres attaques isolés deviennent fréquents.
Cette menace est la conséquence de l’autisme de dirigeants de certains pays de la sous-région qui sont restés sourds aux nombreux appels et mises en garde d’Amadou Toumani Touré.
En effet, au début de la dernière rébellion malienne (2012) et même avant, le président Touré, ne cessait d’attirer l’attention de la communauté internationale sur les dangers qui planent sur la bande sahélo-saharienne. A maintes reprises, ATT l’a affirmé : « la menace terroriste ne concerne pas que le Mali. Elle concerne tous les pays de la sous-région. C’est pourquoi, il faut aller à la tenue d’une conférence sous régionale sur la sécurité, la paix et le développement ». Cet appel pressant, lancé déjà en 2008 par ATT, n’a jamais été entendu, ni par les pays voisins, ni par la communauté internationale. L’évidence est là : ATT l’aura dit.
Sékou Tamboura
L’aube