Dans une interview publiée dans Le Monde daté du jeudi 2 juillet, Nicolas Sarkozy évoque l’actualité internationale de ces dernières années. Sur la crise ukrainienne, certaines informations de l’ex-président sont fausses.
Hollande a-t-il attendu un an avant de discuter avec Poutine ?
Ce que Sarkozy dit :
« Je m’interroge toujours sur la question de savoir pourquoi il a fallu attendre un an pour discuter avec M. Poutine. »
POURQUOI C’EST EXAGÉRÉ :
Le début de la crise ukrainienne remonte au 21 novembre 2013, date à laquelle le gouvernement ukrainien de Ianoukovitch refuse de signer l’accord d’association avec l’Union européenne. Cette décision est le point de départ de la révolution ukrainienne, qui débouche sur le renversement du pouvoir ukrainien, le 21 février 2014. Eclate alors la guerre du Donbass.
L’implication russe dans ce conflit, qui conduira à l’annexion de la Crimée, commence le 27 février 2014 avec l’organisation de manœuvres militaires dans les zones frontalières avec l’Ukraine. Un peu plus de trois mois plus tard, François Hollande dîne à l’Elysée avec Vladimir Poutine afin d’évoquer la situation en Ukraine.
A-t-on retiré au russe son statut de langue officielle ?
Ce que Sarkozy dit :
« Il fallait […] empêcher le gouvernement ukrainien de retirer le statut de langue officielle au russe dans un pays où 30 % de la population est russophone. »
POURQUOI C’EST FAUX :
Très proche de l’ukrainien, le russe a une forte connotation politique en Ukraine. Le régime tsariste avait interdit l’usage de l’ukrainien, qui fut ensuite admis. En 1917, russe et ukrainien (deux langues très proches, en réalité) sont toutes deux désignées langues officielles du pays, dans l’optique pour les communistes de séduire les populations rurales.
Mais le régime de Staline décime ensuite les intellectuels ukrainiens et s’en prend à l’autonomie culturelle du pays. Le russe est alors encouragé, sans que l’ukrainien perde son statut de langue officielle. Dans le pays, la plupart des habitants parlent en réalité les deux langues.
A l’indépendance en 1991, les deux langues coexistent, avec des médias en russe et d’autres en ukrainien. En 2012, Viktor Ianoukovitch, alors président de l’Ukraine, fait voter une loi élargissant les droits d’utilisation de certaines langues minoritaires au niveau régional. Le russe devient langue régionale dans les territoires où les russophones représentent plus de 10 % de la population, soit dans 13 subdivisions administratives sur 27. Cette initiative est dénoncée à l’époque par l’opposition. Viktor Ianoukovitch la promulgue tout de même, le 8 juillet de la même année.
Lorsque le régime est renversé, le 21 février 2014, le Parlement ukrainien vote une loi abrogeant ce statut de langue régionale (celle à laquelle fait référence Nicolas Sarkozy). Les protestations sont immédiates, et cette loi n’a jamais été promulguée ni appliquée. En septembre 2014, une loi accordant un statut spécial au Donbass autorise l’usage du russe dans les administrations.
La question est en réalité complexe : l’ancienne premier ministre Ioulia Timochenko est originaire de la partie russophone du pays, par exemple, et l’immense majorité de la population parle en réalité les deux langues, même si chez les indépendantistes, on tend à préférer employer l’ukrainien.
Contrairement à ce que Nicolas Sarkozy prétend, le statut de « langue officielle » du russe n’a donc pas été « retiré », au contraire. Et dire que « 30 % de la population est russophone », c’est méconnaître qu’elle est en réalité, dans son immense majorité, bilingue.
En réalité, M. Sarkozy reprend ici un argumentaire qui est celui de Vladimir Poutine. Le président russe avait évoqué cette question de la langue comme l’un des arguments justifiant l’intervention de son pays.