À l’occasion d’un colloque sous l’égide de l’Organisation mondiale de la Francophonie consacré à l’avenir politique et économique de l’Afrique, à Moussa Mara, Premier ministre du Mali de 2014 à 2015, a partagé sa vision de ces enjeux avec Sputnik. Un entretien sans langue de bois où il appelle les Africains à prendre leur destin en main.
Intégration politique, économique et monétaire, mais aussi prise d’autonomie intellectuelle, Moussa Mara, candidat à l’élection présidentielle malienne de 2013 et Premier ministre du Mali entre 2014 et 2015 a partagé quelques-uns des grands axes de sa vision de l’Afrique avec Sputnik France.
Il participait le 6 décembre dernier, avec un aréopage de personnalités politiques et universitaires, à un colloque organisé par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et le Centre d’étude et de prospective stratégique (CEPS). Quatre grands thèmes ont été abordés durant ces échanges: l’intégration régionale, l’attractivité des économies africaines, le développement économique, écologique et social des pays d’Afrique et les relations avec l’Union européenne.
L’ancien Premier ministre malien se montre favorable à plus d’intégration au niveau continental et estime que des «États-Unis d’Afrique» auraient «plus de sens que les 54 pays d’aujourd’hui», tout en faisant preuve de pragmatisme. Selon lui, les différences culturelles, économiques, politiques et sécuritaires entre les différents États africains imposent de progresser petit à petit:
«L’idéal panafricain est peut-être ce qu’il y a de mieux comme vision pour le continent aujourd’hui. C’est incontestable. On ne peut pas passer tout de suite à l’étape de mettre tous les pays ensemble. Ce n’est pas possible. Par contre, l’étape régionale, entre l’idéal panafricain et la réalité nationale, est celle qui me semble être la plus objective et la plus efficace.»
Moussa Mara explique cependant que pour prospérer, il est «indispensable» que cette étape régionale puisse rassembler les leaders politiques autour d’une vision commune. Et même s’il se félicite que celle-ci soit «pleinement inscrite à l’agenda de l’Union africaine», il évoque certaines des difficultés à définir cette vision:
«Faut-il un Président de la République d’Afrique de l’Ouest? Faut-il un seul parlement? On a déjà un parlement, mais il est peu perceptible. Faut-il un gouvernement? Faut-il une seule armée? Faut-il rester dans les frontières ou au contraire les gommer? Sur le plan institutionnel et étatique, il faut que l’on se projette.»
D’autant plus qu’aux désaccords entre pays sur le degré d’intégration politique, s’ajoutent les divergences quant à l’intégration économique et monétaire. L’ancien Premier ministre malien se prononce, lui, en faveur de plus d’intégration. Le but: d’une part, créer des infrastructures interconnectées au niveau régional et de l’autre s’affranchir des anciennes puissances coloniales pour mieux profiter de la mondialisation.
«Sur le plan économique, il faut s’entendre sur les grandes infrastructures qui doivent parcourir l’Afrique de l’Ouest, mais aussi sur leur mode de réalisation, de gestion et de financement», explique Moussa Mara avant de poursuivre:
«Pour moi, cela nécessite que nous n’ayons qu’une seule monnaie, qui ne sera pas le franc CFA, qui sera une monnaie souveraine. Il faut qu’il y ait un environnement réglementaire uniforme, que nous partagions nos normes.»
Dans la même logique, l’ancien Premier ministre malien salue l’irruption des puissances émergentes en Afrique:
«Ces pays illustrent bien ce qu’il faut pour demain. Il faut sortir du pacte colonial. Il faut arrêter d’avoir une vision uniquement centrée sur le colonisateur. Les colonisateurs ont eux-mêmes des problèmes.
Nous devons avoir une vision centrée sur nous-mêmes et considérer tous ceux qui viennent comme des partenaires qui vont nous aider à réaliser ce qui est bon pour nous. C’est comme ça que nous devrions réagir et j’espère que ce sera le cas. Donc: bienvenue à la Russie.»
Pour autant, l’ancien Premier ministre malien considère que sans intégration économique et politique, les pays africains seront condamnés à rester un «objet de manipulation des autres» en marge de la mondialisation:
«Si on ne se met pas ensemble, aucun État africain, aussi riche soit-il, aussi puissant soit-il, ne peut tenir tête dans le cadre de la mondialisation. Aucun État ne peut être à la hauteur des enjeux importants du numérique, de l’intelligence artificielle, de l’économie du savoir. Il faut que nous comprenions que stratégiquement, nous avons plus à gagner ensemble que dans la division.»
Source: info-matin