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Moussa Mara, ancien Premier ministre du Mali : ‘’Nos 62 ans d’indépendance se résument en un succès et au moins trois échecs’’

Le lundi 5 septembre 2022, la Fondation Tuwindi a organisé dans ses locaux son traditionnel espace d’échanges dénommé ‘’Yetaw’’. Du «62ème anniversaire de l’indépendance du Mali : que faut-il retenir ?», voici des extraits des propos introductifs de l’invité du jour, Moussa Mara.

 

Je me rappelle : en 2010, on fêtait le cinquantenaire. À l’époque, il y avait un grand débat sur le bilan du cinquantenaire et j’y ai participé. J’ai très vite compris que quand on dit de faire le bilan, les gens préfèrent faire la comparaison entre les présidents qui se sont succédés. Cela a toujours été un problème.

Parlons de ce que nous avons retenu durant les 62 ans d’indépendance sans critiquer ou paraître défendre un Président. C’est un exercice compliqué mais ça reste encore nécessaire parce que, dans notre pays, on n’a pas encore fait le bilan de nos 60 ans ou 62 ans d’indépendance. Je vais vous parler de deux ou trois voire quatre sujets du fond qui me semblent incontournables. Ils traduisent un peu le bilan des 62 ans d’indépendance. Je commence par le positif et termine par le négatif.

Le succès : l’acceptation commune du Mali par les Maliens

Pour le positif, l’élément le plus important de nos 62 ans d’indépendance est l’acceptation commune du Mali par les Maliens. C’est-à-dire que nous nous considérons tous comme Maliens aujourd’hui. Donc, pour moi, la réussite la plus importante de notre pays, c’est d’arriver à nous faire comprendre que nous sommes du même  pays. Il ne faut surtout pas vous laisser tromper par tous ceux qui disent rébellion ou division. Je n’ai jamais cru à la division de notre pays et je ne pense pas que notre pays va être divisé aussi. Nous avons eu des rébellions qui sont allées jusqu’à proclamer l’indépendance. Mais je peux vous assurer qu’eux-mêmes ne croient pas à leur indépendance. Un seul élément vous le prouve : tous les leaders des rébellions sont à Bamako et non à Kidal ou à Tombouctou. Donc, ça montre bien qu’eux-mêmes considèrent le Mali comme un et indivisible.

Des éléments négatifs

Le premier élément négatif est l’incapacité de l’Etat face à la gestion de la diversité au Mali. Les Maliens se reconnaissent maliens mais sont profondément différents. Le Mali ne sera jamais stable tant que cette situation demeure. La diversité est une chance à condition que chacun soit en harmonie avec sa différence. Mais cela a été un grand échec de l’indépendance à nos jours. Ce chantier est important. Sa gestion passera par la décentralisation et le renforcement des pouvoirs des collectivités et populations.

Le deuxième échec a été la gestion de l’administration qui est un peu la substance de l’Etat mais n’a jamais suffisamment intégré qu’elle est au service des usagers. L’Etat, à travers l’administration, doit convaincre le peuple pour avoir son soutien plutôt que de lui faire peur. Mais c’est le contraire car notre Etat a toujours fonctionné un peu sur la peur qui est un héritage colonial, c’est-à-dire le ‘’Baba commandant’’. Cette gestion de l’administration n’a pas changé à présent, même avec l’avènement de la démocratie, donc c’est un échec.

Le troisième échec est le problème d’élites dans la gestion des postes de responsabilités. Les responsabilités de l’élite dans notre pays ont été malheureusement commercialisées ou transformées en sources d’enrichissement. Il ne s’agit pas des politiques seulement mais plutôt de toutes les fonctions d’élite ou de responsabilités dans notre pays. En général ces fonctions sont vues d’abord comme un moyen d’améliorer sa situation personnelle, légalement ou illégalement. Et souvent plus illégalement même que légalement.

Je vous donne un exemple : ce n’est pas une critique de la transition car même les autres régimes ont fait pareil. On a désigné des gens pour être ministre, député….Mais, vous avez entendu un seul d’entre eux renoncer à un avantage ou diminuer un avantage ? Aussi tout le monde estime que : ‘’bon voilà ! Quand on est député dans cette circonstance, il faut qu’on montre qu’on est député’’. Or, on est député pour servir et aider. Cela doit être pareil pour la présidence et toutes autres responsabilités. C’est totalement le contraire chez nous. Donc nous  sommes ainsi arrivés progressivement à ternir l’image des chefs, des responsables, des élites et pas seulement politiques. Vous descendez dans un quartier, vous désignez quelqu’un comme le président de l’Asaco du quartier. Tout de suite, il veut avoir quelque chose pour montrer qu’il est devenu quelqu’un. Et s’il y a quelque chose qu’on ne lui donne pas, il va trouver le moyen de la prendre.

En revanche, dans les endroits où l’Etat ou la collectivité est efficace, un responsable perd des avantages matériels au lieu de gagner. La notion d’être au service de la collectivité n’a pas encore été suffisamment comprise par les élites maliennes.

La refondation passe par une seule phase

Pour moi, la refondation du Mali, on peut l’obtenir par une seule phrase. On n’a pas besoin d’organiser des assises et autres. Cette phase consiste à faire en sorte que les élites maliennes soient les esclaves des Maliens. Essayons ça seulement et vous allez faire la refondation du Mali ! Quand j’ai dit élite, c’est le président d’une association, le président d’un parti, un maire, un député, un directeur d’hôpital, un ministre, un président de la République, tout ce qui parle au nom des gens. Si on fait ça seulement, le pays va être transformé. Mais on en est encore loin. Ça doit être le cas aussi pour la presse. Mais, toutes ces élites tiennent seulement à leurs avantages et privilèges. Et tant que cet état d’esprit ne change pas, je vous assure que tout ce que nous disons de notre pays ne sera que des mots.

Maintenant comment y arriver ? Ces trois grands échecs depuis notre indépendance explique la défiance des populations vis-à-vis des dirigeants mais également la popularité actuelle des militaires. Parce que toutes les élites ont déçu, notamment les politiciens, la société civile. Tous ces gens-là, pendant des années et des années, ont été vus en train de s’enrichir tandis que le pays qui ne s’en sort pas. Ils ont amélioré leur propre situation tandis que  la situation des Maliens ne s’est pas améliorée.

Donc si, aujourd’hui, les Maliens se confient aux militaires, c’est par faute d’alternative. Les militaires sont nouveaux à la situation. On se confie à eux. Maintenant, espérons qu’on ne soit pas déçu par eux. Personnellement, je pense que l’histoire de nos 62 ans se résume en un succès et trois échecs majeurs qui me semblent fondamentaux. Sinon, il y a eu d’autres échecs. Mais, il faut qu’on les traite. Ce n’est pas simple. Mais, on peut le faire si on le veut. Réellement, est-ce que les élites le veulent ? Toute la question est là.

Boubacar Idriss Diarra

Source : Le Challenger

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