C’est une première dans son histoire. A partir du 1er janvier 2014, le Tchad va siéger au Conseil de sécurité de l’ONU pendant deux ans. A l’origine de cette élection aux Nations unies par 184 voix sur 191 votants, il y a la bataille des Ifoghas, au nord du Mali, où l’armée tchadienne a joué au début de cette année 2013 un rôle décisif, au prix de 38 morts. Mais la priorité du Tchad aujourd’hui c’est la Centrafrique comme l’explique le ministre tchadien des Affaires étrangères, Moussa Faki Mahamat, au micro de Christophe Boisbouvier.
Le Tchad élu au Conseil de sécurité c’est une première. Comment accueillez-vous cette nouvelle ?
Moussa Faki Mahamat : Le Tchad qui était pendant des décennies plutôt un sujet sur la table du Conseil de sécurité, en devient un acteur. C’est une victoire importante pour mon pays. Le Tchad, qui était qualifié il y a quelques années d’Etat néant, est aujourd’hui non seulement présent, mais il est agissant. Cette élection au Conseil de sécurité, nous la devons à l’action d’un homme, le président Idriss Deby, qui s’est battu pour faire renaître le Tchad de ses cendres. Et aujourd’hui, je crois que cet événement fait la fierté de l’ensemble de mes compatriotes.
A une époque le Tchad a été un Etat néant. Aujourd’hui c’est votre voisin du Sud, la République centrafricaine. Au vu du chaos actuel, est-ce que vous regrettez de ne pas avoir soutenu le régime de François Bozizé en mars dernier ?
Nous n’avons pas vocation à soutenir des régimes. Avec l’avènement de la Seleka, la situation a empiré. Et je me félicite qu’il y ait une mobilisation importante de la communauté internationale, de l’Union africaine, de la France qui a fait un plaidoyer important sur la question. Aujourd’hui, la question est devant le Conseil de sécurité qui a adopté une résolution le 10 octobre dernier, notamment pour soutenir la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca). Il faut renforcer la présence de la Misca. Il faut lui donner les moyens logistiques, les moyens financiers, pour qu’elle mette de l’ordre dans le pays. Il lui faut pour ça un mandat des Nations unies, un mandat robuste.
Certains des chefs de guerre de la Seleka ont été aux côtés des rebelles de l’Est du Tchad, qui ont attaqué Ndjamena à deux reprises ces dernières années. Est-ce que ça ne vous préoccupe pas ?
Nous avons constaté la présence de certains éléments mercenaires tchadiens qui étaient en rébellion et qui pour certains maintenant offrent leurs services au tout venant, pour pouvoir survivre. Il y a eu des éléments tchadiens qui étaient dans les rangs de la Seleka. Nous en avons averti les autorités de la transition et il a été décidé au niveau de la Fomac, dans l’une des réunions des états-majors, d’éloigner tout élément étranger à la Centrafrique. Il ne faut pas que la situation en Centrafrique puisse remettre en cause la stabilité dans les autres pays.
Et quand vous avez averti la Fomac lui avez-vous donné une liste de ces éléments tchadiens ?
On a même donné certains noms, des gens qu’on connaît. Une dizaine, des gens connus, des mercenaires qui s’octroient des grades parfois. Des gens qu’on connaissait et qui étaient dans les bagages de la Seleka et qui sont Tchadiens.
Dont vous souhaitez le départ de la Centrafrique ?
Absolument.
Est-ce que du coup, vous ne regrettez pas d’avoir laissé ces mercenaires, comme vous dites, prendre le pouvoir à Bangui en mars dernier ?
Ce n’est pas tous les Centrafricains qui se sont révoltés, qui sont des mercenaires. J’ai dit que le problème est d’abord un problème centrafricain.
Chacun sait que si vous aviez voulu arrêter les rebelles en mars dernier, ils n’auraient pas pris Bangui. Est-ce que vous ne regrettez pas de les avoir laissé passer ?
Est-ce que notre vocation est de faire le gendarme ? Nous avons, avec l’ensemble des Etats d’Afrique centrale, stoppé la rébellion, permis l’organisation en janvier d’une conférence à Libreville qui a accouché d’un accord qui était formidable. Il était très favorable d’ailleurs au président Bozizé qui avait toute la latitude de finir ses trois ans, parce que lui-même disait qu’il ne se représentait pas. C’est faute d’avoir appliqué cet accord, que l’ensemble des acteurs que tout a dérapé. Et puis le Tchad n’avait pas vocation à s’interposer ou à venir arrêter. Nous avons fait de notre mieux.
Donc par son entêtement, François Bozizé a gâché sa chance ?
On peut le dire. Il est le principal responsable de ce qui s’est passé, même si les autres également ont leur part de responsabilité.
Dans le cadre de la Misca, le Tchad déploie 500 hommes à Bangui depuis six mois. Mais il y a trois semaines vous avez envoyé 400 hommes en renfort. Est-ce pour chasser ces fameux chefs de guerre tchado-soudanais de Bangui et du territoire centrafricain ?
Non. Il a été décidé, au niveau de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), de renforcer les effectifs de la Fomac qui est transformée depuis le 1er août dernier en Misca. C’est dans ce cadre que le Congo a déployé aux alentours de 700 hommes aujourd’hui, le Cameroun 500, le Gabon, je crois 300 ou 400, et le Tchad à peu près 800. Donc c’était des effectifs supplémentaires qui ont été envoyés à la demande de la CEEAC pour atteindre les 2 000 hommes. Et dans le cadre de la mise en place de la Misca, sous conduite africaine, il a été décidé que cet effectif soit porté à 3 500, 3 600 militaires.
Et si cette Misca n’arrive pas chasser ces chefs de guerre, est-ce qu’il ne faudra pas prévoir une étape supplémentaire avec des Casques bleus de l’ONU ?
Peu importe la dénomination, je pense que les 3 500 de la Misca, s’ils ont les moyens, s’ils ont le mandat des Nations unies, ils peuvent à mon avis faire le travail pour pouvoir assurer la sécurité en Centrafrique.
Le Tchad au Conseil de sécurité, tout le monde n’était pas d’accord à cause du recrutement d’enfants-soldats, à cause de la situation des droits de l’homme. Il y a eu ces dernières années un certain nombre d’opposants et de journalistes qui ont été jetés en prison. Est-ce que cette élection au Conseil de sécurité n’oblige pas les autorités tchadiennes à être plus respectueuses de l’état de droit désormais ?
Tout n’est pas parfait. Nous continuons à améliorer la gouvernance du pays. La question des droits de l’homme, c’est une question importante. Nous pensons que la liberté de presse est un acquis irréversible au Tchad. Il est bien vrai que de temps en temps il y a eu des gens qui, en dehors de tout respect de la déontologie de la profession, cherchent à créer des problèmes dans un pays qui sort d’une situation particulièrement difficile. Je pense qu’il faut raison garder, aussi bien pour les services de l’Etat en charge de la question, que pour les professionnels, les journalistes qui doivent agir de manière responsable.
Source : rfi