Selon le psychologue Moussa Cissé, avec la modernisation et les mutations sociales, les personnes âgées ont été dépourvues de leur rôle d’éducateurs, de conseillers et de médiateurs d’antan et ne sont plus des références. Ce qui, explique-t-il, peut engendrer chez elles l’agressivité, l’intolérance, la douleur, le chagrin et l’humiliation. Aussi, elles perdent leur place d’éducateurs de la nouvelle génération ce qui entraine chez les jeunes de la carence affective.
Le Focus : Qu’est-ce que le vieillissement ?
Moussa Cissé : Le vieillissement est la suite logique du processus de développement normal de l’être humain. Il correspond au dernier stade de la vie normale. Il est caractérisé sur le plan psychologique par une altération des fonctions telles que la mémoire, la perception, l’attention, l’intelligence, la concentration, l’imagination, etc., qui entraîne une baisse de la cognition. Et sur le plan physique, par une régression significative du tonus musculaire et une fragilité de l’état physique global. Enfin, sur le plan social par une retraite des activités d’un certain type.
Le Focus : Comment se manifeste-t-il sur plan psychologique ?
M. C. : La modification du comportement est la conséquence découlant du vieillissement psychique. Les personnes âgées changent leurs habitudes parce qu’avec la vieillesse les centres d’intérêt changent et ce changement impacte considérablement leur perception sociale, leur vision du monde et des choses qui les entourent.
Il faut noter que certains comportements et situations pendant le jeune âge font « mal vieillir ». Il s’agit, entre autres, du tabagisme, de l’alcoolisme, de la consommation de stupéfiants, de la sédentarité, de l’obésité, du manque d’activités sportives, etc. Les effets négatifs sont retardés et surviennent au début de la vieillesse. Ils peuvent engendrer des troubles d’ordre psychologique.
Le Focus : Quelles sont les maladies courantes chez les personnes âgées et les soins à leur apporter ?
M. C. : La santé physique ou psychique des personnes âgées est caractérisée par des hauts et des bas. Cet état de santé des personnes âgées, bien que fragile, n’empêche pas de vivre bien, de vivre mieux. Les gestes affectifs, les relations familiales, amicales et sociales harmonieuses leur assurent un bien-être psychique, renforçant ainsi leur état de santé. Les formes de maltraitance à l’égard des vieilles personnes telles que les sévices physiques, la négligence psychologique et des situations comme la solitude, contribuent à la dégradation de leur état de santé, déjà fragilisé avec l’âge et à la réduction de leur espérance de vie.
Le Focus : Quelle place pour les veilles personnes dans la société traditionnelle malienne ?
M. C. : L’intérêt accordé aux vieilles personnes dépend en grande partie de l’idée que l’on se fait d’elles. En Afrique, elles sont considérées différemment en fonction des pays et des us ou coutumes de chaque culture à l’intérieur des pays. Au sein de notre société traditionnelle malienne, les privilèges tels que le droit d’aînesse, le droit à la parole et à la respectabilité, sont liés à la vieillesse.
Les vieilles personnes sont utiles à plusieurs niveau, notamment celui de l’éducation des enfants. Chez nous, elles sont membres à part entière de la famille et du lignage. Elles sont considérées comme des sages, des personnes dont l’expérience sert l’ensemble de la communauté et de ce fait, elles appartiennent à cette dernière. Et c’est la communauté tout entière qui prend soin d’elles. La mort d’une vieille personne est un événement très important pour la communauté. Elle est une porte ouverte sur le monde des ancêtres propres à chaque famille ou à chaque village.
Le Focus : Les vieilles personnes dans la société dite moderne ?
M. C. : Au regard de la modernisation et des mutations sociales, de nos jours, les vieux ont été dépourvus de leur rôle d’éducateurs, de conseillers, de médiateurs d’antan. Ils ne sont plus des références. Les vieilles personnes sont de plus en plus infantilisées, comme nous le voyons un peu partout en Occident. Elles contribuent peu ou pas du tout à l’éducation et l’inculturation des enfants ; ne sont plus impliquées dans la gestion des conflits au sein de la famille. Elles ressentent alors un sentiment d’inutilité et cela peut engendrer de l’agressivité autant verbale que physique vers les autres ou vers elles-mêmes, de l’intolérance, de la douleur, du chagrin, de l’humiliation, de l’indignation ou encore de la colère, etc.
Il faut également noter un phénomène qui prend de l’ampleur surtout à Bamako et les grandes villes du Mali, se propage chaque jour un peu plus. Avec l’espérance de vie actuelle et la vulnérabilité économique des familles, les vieilles personnes restent en activité encore plus longtemps que d’antan. Cette situation pousse aujourd’hui certaines familles à faire recours aux garderies d’enfants et aux crèches pour s’occuper des enfants pendant que les deux parents et les grands parents sont au travail. Les enfants quant à eux développent petit à petit et à l’insu de tous de la carence affective et sont fréquemment victimes de négligences dans les institutions susmentionnées.
Propos recueillis par Sory I. Konaté
Le Focus