Lancée le 1er août 2014 pour prendre la suite de Serval, l’opération Barkhane a subi sa plus grosse perte ce mardi 26 novembre 2019 au Mali. La douloureuse nouvelle a été révélée au monde, en exclusivité, par une communication de l’Élysée, siège de la présidence française.
Preuve que l’affaire est d’importance et qu’elle touche singulièrement la République française au coeur, sinon au plus profond de son âme. Raison suffisante également pour que Emmanuel Macron, lui-même, en sa qualité de voix la plus autorisée, soit le premier à s’exprimer sur l’immense drame.
Il le fera en saluant « avec le plus grand respect la mémoire de ces militaires de l’armée de terre, six officiers, six sous-officiers et un caporal-chef, tombés en opération et morts pour la France dans le dur combat contre le terrorisme au Sahel ». Suite à ce communiqué, on apprendra que les treize infortunés militaires français de la force Barkhane ont trouvé la mort dans une collusion de deux hélicoptères lors d’une opération de combat contre les djihadistes.
Depuis, les autorités maliennes, sans doute informées en même temps que tout le monde, et celles du Burkina Faso, ont déploré l’accident tragique et présenté des condoléances à la France. Cette promptitude dans la compassion n’a pas été enregistrée ni chez la Minusma ni chez les autorités nigériennes, le Niger faisant pourtant partie intégrante des trois pays dits des frontières au Sahel. Qu’on appelle cela couac ou zone d’ombre, les esprits en sont à se poser des questions. Des zones d’ombre et des questions inquiétantes, il en existe, en effet, dans l’affaire.
QUI SONT CES DJIHADISTES QUI ONT ABATTU LES DEUX HÉLICOPTÈRES ?
Le pouvoir de Bamako avait-il une claire connaissance des moyens importants et de l’ampleur et de la nature des opérations de Barkhane dans l’espace géographique de Ménaka? Les vols d’hélicoptères sont-ils portés à la connaissance de l’armée malienne, partenaire légitime de Barkhane? Celle-ci, faut-il le rappeler, est une opération militaire menée au Sahel et au Sahara par l’armée française, qui vise à lutter contre les groupes armés salafistes djihadistes dans toute la région du Sahel. Elle s’inscrit donc, selon ce qu’on en dit du moins, dans le cadre d’une stratégie des forces prépositionnées dans la région, en partenariat avec les États de la zone. Si tant est que ceci soit la vérité, des choses, et pas des moindres, sont cachées au Mali, au Burkina Faso, au Niger et, plus loin, au Tchad, voire au-delà. Plusieurs comportements suspects, du moins intrigants, ont été d’ailleurs récemment pointés contre Barkhane. Florence Parly, ministre française des Armées, déplorant la mort des treize militaires de haut rang, a dit qu’elle se rendra bientôt à Gao en compagnie du chef d’état-major des armées de la France et que des enquêtes approfondies seront menées pour déterminer les circonstances exactes de l’accident mortel. Des analystes ont vite déduit que la collusion de deux hélicoptères est peut-être vraie, mais que des zones d’ombre subsistent, là aussi, qu’il faut éclairer au plus vite, en tout cas pour la France. Il serait même logique de supposer que les salafistes djihadistes ont pu provoquer le drame en brouillant la communication entre les deux avions de combat, et peut-être les auraient purement abattus par des lancées de roquettes appropriées. L’émoi est, en tout cas, tel qu’il faut mener des investigations poussées.
GAO, PLACE FORTE DE LA FRANCE ?
Gao, la cité des Askia, constitue, avec ses dépendances, la grande province du nord du Mali. N’est-elle pas en passe de devenir, avec Tombouctou d’ailleurs, la place forte des armées françaises qui y ont , on s’en doute, des arsenaux insoupçonnés autrement plus performants et efficaces, pour ne pas dire dissimulés? Il est évident que chaque fois que quelque autorité française, depuis François Hollande, en tout cas, au moins six ans, prend la direction du Mali, c’est à Gao ou à Tombouctou qu’elle atterrit d’abord, pour ensuite rallier Bamako. Emmanuel Macron, en ce qui le concerne, n’est encore pas venu dans la capitale malienne, quand bien même IBK est allé à sa rencontre dans le nord du Mali ! On en parlera de mille manières, la réalité n’est pas niable. C’est d’ailleurs en venant de Gao que Florence Parly a informé, le 5 novembre, le président malien de l’arrivée très prochaine, à compter de 2020, de nouvelles forces européennes dans le cadre d’une nouvelle mission dénommée Takouba, qui signifie tout simplement sabre en langue tamasheq. De quoi réjouir le MNLA, maître régnant à Kidal grâce à la France, mais de quoi faire pleurer le reste du Mali, impuissant à contre le projet honni que IBK a reçu comme un fait accompli.
COMPORTEMENTS SUSPECTS.
Dans ce climat déjà lourd de gros soupçons, et certainement de vraies trahisons sur fond de velléités impérialo-sécessionnistes, il convient de noter certains manquements au partenariat sincère et honnête dont Barkhane s’est rendue coupable avec une certaine régularité, et qui ont d’ailleurs été relevés par des militaires de haut rang des pays « trahis ». Ainsi, le 15 novembre dernier, le général de brigade Moïse Miningou, chef d’état-major des armées du Burkina Faso, s’est vu obligé d’adresser une mise au point au lieutenant-colonel, attaché de défense de l’ambassade de France à Ouagadougou : « Depuis un certain temps, il ressort de façon récurrente, que des aéronefs non identifiés survolent nos bases et zones d’opération… ». Et de notifier que sans coordination avec l’état-major militaire burkinabé, ces engins de Barkhane seront désormais considérés comme ennemis et traités comme tels. Trois jours plus tard, une nouvelle, jamais démentie, a circulé sur les réseaux sociaux, faisant état du fait que l’armée française a frappé à Diffa, au Niger, une base militaire de l’armée nigérienne. Le comble, c’est qu’après l’opération française, Boko Haram, l’ennemi supposé commun, s’est acharné sur la même base nigérienne. Barkhane a avancé une plate excuse, prétextant qu’elle s’était trompée de cible en assimilant la base nigérienne à un camp de terroristes! Trois jours après- remarquons la régularité d’horloge- le commandant de la compagnie de gendarmerie de Koulikoro (Mali), dans une note, informe son ministre de tutelle de l’atterrissage constaté (21 novembre 2019) à Wérékéla, village situé vers le péage de Konobougou, à environ 10 kilomètres de la ville de Fana, d’un petit avion étranger. Selon les renseignements recueillis alors, des militaires ont fermé le passage aux passants pour couvrir une opération suspecte. Plusieurs colis ont été alors débarqués, dont un ressemblant à un corps humain. Puis, ledit chargement a été transporté à bord de trois à quatre véhicules qui ont mis le cap sur Bamako. L’enquête, assura le chef de la gendarmerie de Koulikoro, continue. Il faut noter que la ville de Fana est à seulement 120 kilomètres de Bamako, avec d’importantes agglomérations sur le trajet ; et presque en face de Koulikoro, l’une et l’autre cité étant sur deux rives imposées du fleuve Niger.De quoi a accouché cette affaire sordide? Quarante-huit heures après, le 23 novembre, le général de division Salif Traoré, ci-devant ministre de la Sécurité et de la Protection civile du Mali, saisit, par courrier confidentiel, le chef de la Mission EUCAP-Sahel Mali : « Il m’est revenu que votre Mission a procédé, dans la journée du 22 novembre 2019, à un exercice de simulation d’évacuation à bord d’un aéronef dans le village de Wérékéla… ». Deux choses sont à scruter. Premièrement, le ministre situe l’évènement le 22 novembre alors que son chef régional de la gendarme le signale dans la journée du 21 novembre. Deuxièmement, c’est le ministre malien de la Sécurité et de la Protection civile qui donne une justification à l’agissement plus que suspect : « exercice de simulation d’évacuation… ». Ce qui signifie tout simplement qu’à 100 kilomètres à la ronde autour de Bamako et à quelques encablures de Koulikoro, deuxième région administrative du Mali, on est en plein dans un domaine militaire dévolu aux troupes étrangères. Quoi penser alors? Et puis, combien de Maliens ont connaissance de la Mission EUCAP-Sahel Mali, en tout cas sous cette dénomination ? Très peu, on peut en jurer.
Joseph Dakono Enseignant-historien Sébénikoro Commune IV de Bamako
Le Combat