En ce jour de Noël, Monseigneur Antoine Koné, évêque d’Odiénné, dans le nord-ouest de la Côte d’Ivoire, interpelle les religieux qui servent des intérêts politiques en relayant des discours dangereux au lieu de travailler à la paix. Ces discours, qui jouent sur la fibre tribale, communautaire, il les entend aussi ailleurs, en Centrafrique.
Le mois dernier, vous avez épinglé dans une homélie les religieux qui se laissent emporter par les politiciens qui battent le tambour macabre du tribalisme. Pourquoi ce coup de colère ?
Monseigneur Antoine Koné : Parce que je me rends compte que les choses n’avancent pas. Nous continuons à nous comporter comme avant la crise. Les religieux doivent être comme des guetteurs, pour dire au peuple qu’il faut faire attention, pour ne pas revenir à nouveau à ces discours qui ont fait tant de mal à la Côte d’Ivoire. Je vois qu’ils ne font pas leur travail comme il se doit.
Vous avez l’impression que certains sont otages de discours politiques ethnicistes ?
Très exactement. Je le sens. Parce que si les religieux avaient voulu, nous serions déjà parvenus à la réconciliation. Je me rends compte que nous en sommes à nous adonner à la superstition, faisant croire que ce qui nous est arrivé est une fatalité, alors qu’il s’agit de reconnaître que nous avons fait une sortie de route terrible et que nous avons à nous convertir pour que nous ayons un autre regard sur le frère, sur la sœur.
Vous avez déclaré dans cette homélie prononcée en novembre : « Il n’y a, ni Yacouba, ni Malinké, ni Sénoufo ». Ce sont des termes que vous entendez dans la bouche des religieux ?
Oui ! Vous voyez que le religieux, quand il ne fait pas attention, pense dire la parole de Dieu, mais il ne sait pas qu’il bat le tambour de telle ou telle chapelle politique. Les témoins de la haine tribale sont toujours en train de rôder autour. Il faudrait que les religieux soient mis en garde, pour ne pas se faire prendre dans le piège de ces discours xénophobes.
Qu’est-ce qui fait que ces discours reviennent ? Et qu’est-ce qui fait que l’on n’arrive pas à aller au-delà, aujourd’hui, en Côte d’Ivoire ?
Parce que les gens n’arrivent pas, je pense, à panser leurs plaies. En 1999, je l’avais déjà dit. Dans chaque pays, il y a un Rwanda et un Burundi cachés. Je pense que les jeunes n’ont pas saisi le message. Et voilà que nous en sommes arrivés là.
Est-ce que les hommes politiques sont effectivement les premiers responsables de ces dérives ?
Oui, la tentation de se servir et de servir ses frères nous guette tous. Personne n’est à l’abri de cela. Si, en son temps, Laurent Gbagbo a été gagné par cet ethnicisme-là, ça ne voudrait pas dire que les autres ne puissent pas, aujourd’hui, se trouver piégés. C’est pourquoi nous devons dire : “Attention. Ne recommençons pas !”
En Guinée, pas loin de la ville d’Odienné, où vous vous trouvez, les dernières législatives ont montré qu’il y avait eu un vote largement communautaire. Comment expliquer que l’ethnie, le groupe social, devienne de plus en plus l’unique référent ?
Il me semble que nous ne sommes pas encore parvenus à l’Etat-Nation. Nous sommes encore autour de nos tribus, de nos familles culturelles… Il y a un repli identitaire qui vient trop vite dans nos comportements, dans nos réflexes. Je pense qu’il faudrait sortir un carton rouge à l’égard de chaque politicien qui voudrait effectivement jouer avec l’élément religieux. Le cas de la Centrafrique, vous voyez où nous en sommes…
Justement, pour parler de la Centrafrique… Quel regard portez-vous sur la situation dans ce pays où les musulmans crient à la discrimination, où une vraie défiance s’est installée entre des communautés qui, jusque-là, vivaient ensemble ?
Mais je vois là l’influence du politicien. Sinon, on ne peut pas comprendre que des gens aient vécu ensemble comme des frères et des sœurs et que, brusquement, ces personnes commencent à se regarder en chiens-de-faïence.
L’argument religieux sert d’autres intérêts ?
Je pense qu’il y a tous les intérêts en jeu, des intérêts inavoués. Et donc, on amène le peuple à s’autodétruire. Et, pendant ce temps, on profite effectivement de cette situation de trouble dans laquelle on met le peuple.
Les représentants des communautés chrétiennes, musulmanes et protestantes ont pourtant multiplié les appels au calme. Mais on a l’impression que leur parole n’a plus de prise sur les populations…
Je pense que la réconciliation ne se décrète pas. C’est au niveau comportemental que cela se joue. Le plus souvent, chez nous, on s’adonne trop aux discours. Mais le discours est loin de la réalité que vit le peuple.
L’archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapalainga a dit : « Je crains que mon autorité morale ne soit plus suffisante pour faire tenir la digue, car les gens ne sont plus prêts à pardonner. » Comprenez-vous cet état d’esprit ?
Je comprends. Je l’avais déjà dit dans une homélie : nous avons beaucoup baptisé sur notre terre, mais nous n’avons pas eu beaucoup de chrétiens. Parce qu’une chose est d’avoir les églises remplies ou d’avoir les mosquées pleines, une autre chose est d’être des vrais musulmans ou des vrais chrétiens !
Je pense que ce que nous vivons actuellement doit nous interpeller et nous amener à revoir notre manière de catéchiser nos peuples. Il va falloir passer à une nouvelle évangélisation. Une nouvelle manière de voir l’islam, car il semble que nos discours sont des discours inadaptés. Nous devons le savoir.
Source : RFI