Le Président des Forces alternatives pour le renouveau et l’émergence (Fare An Ka Wuli), l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, l’une des figures de proue du M5-RFP et l’un des potentiels futurs candidats à la course pour Koulouba en 2022, a accepté de répondre aux questions de Journal du Mali. Transition, présidentielle, rapports avec le M5, vie de son parti, refondation du Mali, dialogue avec les djihadistes, il aborde dans ce long entretien, sans détours, des questions essentielles de l’actualité sociopolitique.
Vous avez participé activement, au M5-RFP, à la chute du régime de l’ex Président IBK. Aujourd’hui, est-ce que la transition va dans le sens du changement et de la refondation du Mali auxquels vous aspiriez ?
Il y a eu des difficultés dès le début, parce que nous n’avions pas la même compréhension. Et le fait qu’ils (les militaires) aient voulu faire de la Conférence des forces vives un moment pour essayer de faire valoir leurs points de vue a créé des frustrations et des différences de visions. La façon dont nous voulions que la Conférence des forces vives se passe était bien loin de ce qu’ils en ont fait. Vous avez d’ailleurs entendu des réactions de certains membres du M5 sur la façon dont les choses ont été menées. Nous, notre combat était d’obliger le Président IBK à une transition politique afin que nous puissions profiter de ce laps de temps pour refonder le Mali. Refonder le Mali, cela veut dire que nous devons nous interroger de façon endogène sur notre propre histoire institutionnelle et voir quel a été le parcours de l’État postcolonial, qui, véritablement, a rendu peut-être des services, mais n’a pas pris. Aujourd’hui, il est donc bon que le peuple malien se prononce sur les questions de l’État, de la Constitution, des institutions et même de démocratie. C’est cela le sens de la refondation. Il faut que les Maliens se retrouvent, à travers des Assises nationales de la refondation, pour débattre et déboucher sur un vrai renouveau de la démocratie, du politique, du citoyen et de la gouvernance. Aujourd’hui la transition ne va pas dans ce sens. C’est pourquoi dernièrement vous avez entendu le M5 dire qu’il allait travailler à une rectification.
Êtes-vous favorable à une éventuelle prolongation de la transition ?
Tout le monde est d’accord sur l’idée de ne pas voir de prolongation. Mais il n’y a pas de refus de prolongation en soi. Il faut examiner la situation, voir quelles sont les solutions qui se présentent à nous en raison des objectifs si nous voulons atteindre un minimum et ce qu’il faut faire pour créer les conditions des plus grandes réformes dans la durée. Voilà autant de questions auxquelles il faut que les uns et les autres répondent. Nous, nous sommes en interrogation au niveau de notre parti. Au niveau du M5, nous ne l’avons pas achevée. Ce sont pourtant des questions fondamentales.
Votre parti ne semble pas avoir beaucoup évolué ces dernières années. Pour preuve, lors des dernières législatives contestées, vous n’aviez obtenu aucun siège de député…
Nous n’avons pas présenté beaucoup de candidatures aux élections législatives de 2020 et nous n’avons pas voulu nouer certaines formes d’alliances, comme d’autres partis l’ont fait. Nous sommes allés à la bataille non seulement sur la base de quelques alliances mais avec nos valeurs, parce que les candidats des circonscriptions les portent, mais aussi avec notre éthique en la matière concernant les fraudes, les manipulations et autres pratiques. À Yanfolila, par exemple, nos 36 élus communaux sont des élus propres, qui ne sont pas mouillés dans quoi que ce soit, qui se sont présentés tels qu’ils sont avec leurs souhaits pour le pays. Nous étions aussi pour que les élections législatives ne se tiennent pas. Nous en avions demandé le report. Ce sont ces conditions dans lesquelles nous y sommes allés et nous n’avons pas obtenu d’élus.
Jugez-vous l’implantation de votre parti satisfaisante ?
Elle n’est pas satisfaisante, elle doit s’améliorer. Nous étions dans certaines parties du pays où nous avons enregistré des désistements. À d’autres endroits, nous devons y être. Par exemple en 2013, il n’y avait pas de cercle sur l’étendue du territoire où il n’y avait pas de permanences des mouvements de soutien à Modibo Sidibé. Elles ont servi de base à la mise en place du parti. Nous étions allés à l’époque aux élections législatives et nous avions obtenu 8 députés, avec des alliances sur lesquelles nous avions beaucoup discuté. D’ailleurs, après, 6 députés nous ont quittés parce que nous n’épousions pas les mêmes visions. Aujourd’hui, le parti a défini nettement un plan stratégique de développement de son implantation. Beaucoup de mouvements sont en train de se créer autour du Président que je suis et je crois que ce sont des choses qui pourront nous permettre de consolider davantage le parti et surtout de le développer à l’horizontale pour plus d’adhésions encore.
Envisagez-vous de vous retirer de la tête des Fare à l’issue de votre mandat actuel ?
Ce sont les militants qui élisent et cela se fait lors des congrès. Si le congrès reconduit X fois le même Président à la tête du parti, c’est la volonté du congrès. Maintenant, si celui-ci, pour une raison ou une autre, ne veut pas se présenter comme candidat, il a aussi le droit de ne pas le faire. Pour l’instant, il faut rappeler que les Fare n’existent en tant que parti politique que depuis avril 2013. Nous avons tenu notre premier congrès ordinaire en 2014. J’ai un mandat, mais je n’en suis qu’à mon premier. Au prochain congrès, on verra bien comment la situation se présentera par rapport au bilan que je ferai moi-même, avec la direction du parti, et ce que nous pourrons convenir de faire. Mais je crois qu’il faut sortir de ces clichés, cela ne sert à rien. Ce n’est pas une preuve de gouvernance. La gouvernance dans les partis politiques c’est autre chose. Dans le Manifeste des Fare, nous demandons qu’il y ait une libre gouvernance des partis politiques. Ce n’est pas une question de renouvellement à la tête du parti, c’est beaucoup plus profond que cela.
Une partie des Maliens croit en votre potentiel pour présider aux destinées du pays après la transition. Serez-vous candidat en 2022 ?
Permettez-moi d’abord de dire que je suis honoré si ce que vous dites est exact et que beaucoup de nos compatriotes pensent que je peux faire quelque chose pour mon pays. Maintenant, je suis membre d’un parti politique. Les déclarations de candidature obéissent à des procédures. Mais il est tout simplement clair que je ne me soustrairai à aucune responsabilité si je pense que les conditions permettent qu’avec d’autres, toute une équipe, et les Maliens, nous sortions le pays de l’impasse.
Avec du recul, estimez-vous avoir fait une erreur de jugement en adhérant au M5-RFP et en vous affichant avec certains politiques qui n’ont pas bonne presse ?
C’est vous qui dites qu’ils n’ont pas bonne presse. Pour ma part, je n’ai pas fait de calcul. Nous n’étions pas là au rassemblement du 5 juin. Nous avions juste fait une déclaration la veille de la marche. Depuis 2013 nous demandons un rassemblement des forces patriotiques, républicaines et démocratiques pour permettre au pays de sortir de la crise de façon globale. Cela a été de tout temps notre combat. Donc, si au niveau du M5 le combat c’est d’aller vers la refondation de l’État, le changement de modèle tel que nous le souhaitons, et si les toutes conditions sont réunies, il n’y a aucune raison de ne pas y aller. Il faut éviter de faire des fixations autour des personnes à des moments cruciaux. C’est la question du pays qui est en jeu. Aujourd’hui, le pronostic vital du Mali est engagé. À partir de là, il faut de la volonté pour que trouvions un minimum de consensus pour un vrai redressement de notre pays. Et après, bien entendu, nous allons voir ce qui doit être fait. Je pense que personne ne doute un seul instant que le changement du Mali amènera un changement fondamental de la politique.
Était-ce un moyen de vous rapprocher de l’imam Dicko en vue des prochaines échéances ?
J’ai beaucoup de respect pour l’Imam Dicko, je l’estime pour ce qu’il représente, mais ce n’était pas cela notre démarche. Notre démarche, c’était de venir au M5 dès lors que c’était devenu un rassemblement des forces patriotiques. Et quand nous nous sommes assuré que le caractère républicain, les valeurs politiques, démocratiques et patriotiques que nous portions n’étaient pas remises en cause dans ce rassemblement et que l’objectif était juste de nous donner la possibilité de changer, je crois que nous avons choisi d’y aller. Nous n’avons aucun regret par rapport à cela. Nous avons passé des années à être constants dans notre volonté d’agir pour le Mali, de ne pas être dans des compromissions contre ce pays.
Certains observateurs ont un temps pensé que vous pourriez être le candidat du M5 à la prochaine présidentielle, mais cette éventualité de candidature, au sein et soutenue par le M5, a été écartée par certains membres du Comité stratégique…
Chacun des membres du Comité stratégique est peut-être dans son droit de donner son point de vue individuel sur quelque chose. Mais, à ma connaissance, le Comité stratégique n’a rien écarté en tant qu’organe politique. Vous savez, la lutte du M5 comptait trois phases. C’était d’abord de permettre de sortir du régime et de mettre fin à la mauvaise spirale, ce qui a été fait le 18 août, puis d’ouvrir une transition qui permette de créer les fondamentaux pour aller vers une démocratie refondée. Et cette démocratie refondée, avec les élections qui vont la porter, il faut que le M5, en tant que force politique de changement, soit là pour la porter, pour en être garant et pour aussi remporter les législatives et s’assurer que les premiers pas du Mali Koura seront bien posés. Le Mali a besoin d’un changement et changer de modèle demande parfois du temps, mais dès le début il faut que les pas soient assurés. Le M5 a une responsabilité politique. La question de candidatures n’a pas été exclue au niveau du M5, elle est en débat.
Il semble que le M5 soit divisé aujourd’hui. Certains dénonçant la mainmise et la gestion personnelle de certains membres du Comité exécutif, Choguel Maiga et Mountaga Tall notamment. Quel est votre position à ce sujet ?
Je ne suis pas dans des questions de personnes. Le Comité stratégique est en train de se structurer depuis quelques temps. Cette structuration est en voie d’être achevée, donc les camarades du Comité stratégique choisiront de leur plein gré qui et qui doivent occuper certains postes à l’issue de la structuration. Cela va être fait simplement par rapport à la capacité de la personne, pour répondre à la mission particulière qui lui sera confiée dans cette position au sein du comité. Le reste n’a pas d’importance.
Vous portez un projet de société, « Mali Horizon 2030 », dans lequel vous insistez sur la refondation du Mali et la transition générationnelle. En quoi ce projet peut-il contribuer à redresser le pays ?
Ce projet a été pensé à un moment où très peu de gens parlaient de transition. Nous avions dit alors qu’il faut mettre le pays en transition. Le projet s’est penché sur cela. Comme c’est une transformation structurelle, il faut qu’il y ait une masse critique de Maliens qui adhère à cela. Même si j’étais élu et que j’avais la légitimité, je la remettrai en débat sur un certain nombre de questions fondamentales, pour que les Maliens disent la direction dans laquelle ils veulent aller et de quelle manière. Il faut une démocratie participative pour replacer le citoyen dans un schéma de décisions critiques, surtout quand elles vont engager le pays dans la durée, les deux ou trois générations à venir. La solidité et l’applicabilité de tout projet de gouvernance, c’est d’abord un consensus entre les Maliennes et les Maliens. C’est pour cela que pour nous tout est lié. Il faut sortir du court-termisme. Or les mandats démocratiques de 5 ans nous y enferment et nous avons besoin des projets à long terme si nous voulons vraiment poser les fondamentaux et sortir de la situation actuelle. Pour que ces projets à long terme ne butent pas sur les mandats de cinq ans, il faut qu’il y ait un consensus pour que chaque gouvernement qui viendra soit tenu de mettre en place ce que les Maliens auront décidé de faire. C’est la seule manière républicaine et démocratique de transcender les cinq ans politiques et de s’assurer que le minimum fondamental pour le Mali sera fait.
Quel est votre position par rapport à un éventuel dialogue avec les djihadistes ?
Avant la chute d’IBK j’avais très clairement demandé avec qui nous allons dialoguer, autour de quoi et pourquoi faire ? C’est la question fondamentale. Personne ne peut exclure le dialogue dans un conflit. Mais il faut que celui qui veut mener le dialogue se positionne en termes de rapports de forces dans le conflit et sache à quel moment ouvrir le dialogue, sur quoi et pour quelle finalité. S’asseoir et dire simplement : on veut dialoguer n’est pas la bonne méthode.
Propos recueillis par Germain Kenouvi
Source : Journal du Mali