La situation dans notre pays a fait l’objet, le 29 mars dernier, à New York,d’une réunion ministérielle du Conseil de sécurité de l’ONU. Il s’agissait de faire un point d’étape sur les progrès accomplis sur le terrain et notamment dans la mise en œuvre de l’accord de paix d’Alger, signé le 15 mai 2015, à Bamako. Mais, ce rendez-vous a surtout permis de mesurer le fossé entre la France et les États-Unis sur l’avenir de la Minusma, la mission de onusienne au Mali dont le mandat doit être renouvelé au mois de juin prochain.
Pendant la réunion avec les membres du conseil de sécurité, le Premier ministre, Soumeylou Boubeye Maiga, a fait le point sur l’évolution de la situation sécuritaire du Maliet plus précisément celle au Centre. Il a également évoqué la mise en œuvre de l’Accord pour la paix issu du processus d’Alger.
SoumeylouBoubeyeMaiga, a vanté les efforts, qu’il juge salutaire, de la part de l’Etat en ces termes: « Dix-neuf (19) décrets fixant le détail des compétences transférées de l’Etat aux collectivités territoriales ont été adoptés. La mise en œuvre de ces mesures susmentionnées a permis de porter le taux de transfert à plus de 21% des recettes budgétaires en 2019. Ainsi, le montant des ressources transférées a été doublé entre 2015 et 2019 avec une augmentation de plus de 190 millions de dollars». Il signale, là, l’application d’un des engagements importants de l’Etat, avant d’ajouter: « En additionnant les ressources et les crédits inscrits en faveur des administrations déconcentrées de l’Etat, dont le transfert aux collectivités territoriales est envisagé dans le cadre de l’Accord, le taux de transfert sera même supérieur au 30% prescrits».
Déni de réalité !
Concernant l’évolution sécuritaire, le Premier ministre a déclaré, contre toute attente: «Aujourd’hui, en large partie grâce à l’investissement gigantesque consenti par la Communauté Internationale, en premier lieu via la MINUSMA, au leadership du Président Ibrahim Boubacar Keita et à la détermination des Maliennes et des Maliens, le Mali a relevé la tête et est redevenu une nation debout : les djihadistes ont reflué, la situation sécuritaire est globalement apaisée, un accord de paix historique a été signé et le processus de consolidation de l’Etat se poursuit – la très bonne tenue de l’élection présidentielle à l’été 2018 en a été la démonstration manifeste.» Avec plus de 300 morts en 03 mois (de janvier au mois de mars 2019), la recrudescence, sans précédent, de toutes les formes de violence non pas seulement au Nord, considéré comme la racine du mal, mais dans le Centre du pays. Cette déclaration du PM a surpris beaucoup d’observateurs,au moment où tout le monde s’accorde sur la dégradation de la situation sécuritaire dans notre pays. Mais,Soumeylou, dans les colonnes de « New-York Times », fait un aveu de taille: « Le Mali n’a plus le contrôle du Centre du pays vu la progression des djihadistes du Nord au Sud du pays…».Cet aveu est intervenu au lendemain de son discours devant le conseil de sécurité. C’est-à-dire qu’à New-York, le Premier ministre s’est enfermé dans ses propres contradictions. Malgré cette fuite en avant pour adouber ses interlocuteurs, il a finalement fini par avouer : « […] Nous devons être lucides et réalistes: si des progrès ont été réalisés, au regard de la situation de 2013, la situation de mon pays reste particulièrement préoccupante: la menace djihadiste perdure malgré les succès militaires, notamment dans le Centre où les antagonismes ancestraux sont instrumentalisés et engendrent la plus grande souffrance de la population comme les tragiques évènements du 23 Mars nous l’ont cruellement rappelé. La mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et la réconciliation, malgré nos efforts inlassables et les progrès enregistrés, reste lente et fragile. Trop fragile pour que nous relâchions nos efforts. Trop fragile pour que la communauté internationale se retire. Trop fragile pour considérer que le travail est terminé ».
L’intervention du chef de gouvernement n’a pas été convaincante au sein du conseil de sécurité et cela s’est justifié par les réactions très opposées de la part de ses membres comme la France et surtout les USA. Elle a suscité de nombreuses réactions au sein du Conseil. Dès lors, il est possible de douter sur une convergence sur l’avenir de la MINUSMA.
Appel d’urgence dusecrétaire général de l’ONU
Le drame d’Ogossagou s’est produit au moment où une mission du Conseil de sécurité se trouvait à Bamako pour faire le point avec le gouvernement malien et la classe politique sur l’avancée de la situation sécuritaire du pays et de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix. S’appuyant sur le rapport de cette mission, Antonio Guterres a vivement alerté la communauté internationale: « La situation au Mali met à l’épreuve la capacité de la communauté internationale à se mobiliser en faveur de la paix et de la stabilité. Ce n’est pas une question d’altruisme, mais bien de sauvegarde. La sécurité au Mali a une incidence sur l’ensemble du Sahel, qui à son tour affecte la stabilité mondiale». Il s’est indigné sur le sort des disparus d’Ogassagou en adressant les condoléances de l’Organisation au Mali avec son soutien indéfectible pour l’accompagner vers la paix et la stabilité dans le pays.
La France, dans sa position de principal ‘’soutien’’ étranger du Mali depuis l’éclatement de la crise en 2012 a plaidé dans le sens du bilan exposé par le Premier. Cependant, Paris émet quelques réserves et recommandations. Jean Yves Le Drian a affirmé que: «les faits sont là et vérifiables: le sursaut attendu par le Conseil de sécurité » depuis juin dernier « a bien eu lieu ». Iljustifie cette déclaration par les faits exposés dans discours du Premier ministre malien comme la mise en œuvre progressive de l’Accord, la tenue, sans incidence majeure, des différents tours de l’élection présidentielle et les réformes institutionnelles et territoriales en cours. Il a ajouté toutefois que l’une des solutions pour éviter le drame d’Ogossagou est de dissolution de toutes les milices armées et la sécurisation de toutes les zones sensibles du pays par l’armée malienne.
Les USA en désaccord total avec la position malienne et française.
Les interventions maliennes et françaises n’ont pas fait l’unanimité entre tous les membres du conseil de sécurité. Ainsi, le Sous-Secrétaire d’État aux affaires politiques des États-Unis, M. David Hale a dénoncé « l’incapacité des parties à faire des progrès significatifs après la signature de l’Accord […] a nui à la capacité de la MINUSMA à mettre en œuvre son mandat ». Il justifie ce point de vue par la recrudescence de la violence au Centre et le bilan meurtrier très lourd de la MINUSMA et sans oublier ses énormes dépenses financières. Tout en saluant les progrès accomplis jusqu’à présent, plusieurs membres du Conseil ont considéré qu’ils demeurent insuffisants. Il a même estimé qu’il est temps de déterminer si une mission de maintien de la paix dans un tel environnement constitue la solution appropriée ou efficace aux problèmes qui s’y posent, s’est-il demandé, en rappelant qu’il s’agit de l’opération de paix « la plus dangereuse », avec un nombre de Casques bleus tués sans précédent. Selon le site de l’ONU « l’approche de la prorogation du mandat de la MINUSMA, M. Hale a donc demandé au Secrétaire général de formuler un plan qui permette à la Mission de s’attaquer à l’environnement sécuritaire et antiterroriste, de protéger son personnel et d’appuyer les progrès politiques « plus efficacement qu’aujourd’hui ».
Le Canada, qui participe dans la MINUSMA avec 07 hélicoptères et 250 militaires, a décidé de plier définitivement ses bagages en juillet 2019, ce revirement des USA vis-à-vis des résultats de la mission n’est pas un bon présage.
Pendant que ces démarches diplomatiques sanctionnées par de beaux discours battent leur plein dans les bureaux feutrés de l’ONU et d’autres organisations internationales, le gouvernement malien, critiqué et cruellement honni à l’intérieur du pays par la majorité de la classe politique et surtout de la société civile, cherche plus à redorer son image aux yeux de la communauté internationale. La vraie réalité du pays est cachée comme une maladie honteuse. Ainsi,l’insécurité galopante, la crise scolaire avec un réel risque d’année blanche, la fissure du tissu social dans bien de parties du pays avec le risque d’une vraie guerre entre certaines communautés… sont aujourd’hui les maux qui minent le Mali.
Ousmane Dembélé
Source: L’ Aube