People’s Daily, le quotidien national chinois, a signé un accord pour développer l’intelligence artificielle dans les médias suscitant chez les journalistes un impérieux besoin de formation, d’adaptation et d’apprentissage du langage robotique
Beaucoup de journalistes à travers le monde s’interrogent de plus en plus sur les moyens de subsister face à la déferlante de l’intelligence artificielle dans les salles de rédaction où désormais hommes et robots se partagent les tâches. S’adapter et apprendre le langage du robot qu’il faudrait percevoir comme un allié plutôt que comme concurrent, telle est l’une des recommandations auxquelles est parvenu un forum de discussion organisé en Chine avec la participation de quelque 200 invités de 90 pays dont le représentant de votre quotidien national L’Essor.
La rencontre a pris fin avec la signature d’un accord historique entre le quotidien chinois People’s Daily et deux géants mondiaux de l’informatique, l’un italien, et l’autre, américain. Le document a été paraphé le 30 octobre dernier à l’hôtel Boao Forum for Asia (BFA), dans la province de Hainan. C’était à l’issue d’un panel « Média et Intelligence artificielle » organisé en marge du 5ème « Forum de coopération des médias sur « la Ceinture et la Route » qui est elle-même une initiative chinoise basée sur le concept de « contribution de tous à l’intérêt de tous ».
Lancée en 2013 par le président Xi Jinping, cette initiative entre en droite ligne de la politique chinoise de réforme et d’ouverture ayant engendré un progrès économique sans précédent qui n’a pas encore fini d’éblouir le monde entier. En effet, et cela en une seule génération, la Chine est passée de rang de pays pauvre à celui de rang de puissance mondiale incontournable en matière de développement économique. Dans le même temps, le pays a initié d’importantes recherches qui ont fini par faire de lui le leader planétaire de l’innovation ainsi qu’en témoigne le récent projet de lune artificielle devant permettre d’éclairer les villes chinoises manquant d’électricité. Pour garder ce leadership que les dirigeants chinois n’entendent pour rien au monde perdre, il leur faut naturellement, et sans cesse, prospecter, cerner les divers futurs possibles, moderniser et innover, au risque de se voir rattraper, puis dépasser.
D’où cette volonté de People’s Dealy et de ses partenaires d’entreprendre des travaux en vue de l’avènement de satellites et robots pouvant produire des articles de presse avec des avantages comparatifs à nuls autres pareils. Ce qui, pense-t-on en Chine, serait une autre contribution significative du pays au développement des médias mais aussi à l’évolution de la planète en vue de la connaissance et de la maitrise de notre environnement. Pour mesurer le bond que ferait accomplir le projet aux médias, il suffit d’imaginer un journaliste devant produire un article en recourant à de multiples sources d’informations éparpillées sur plusieurs sites à travers la planète. Il nous est tout aussi loisible de nous faire à l’idée un rédacteur devant produire une analyse à partir d’un document de plusieurs centaines de pages qu’il faudrait naturellement lire et éventuellement annoter.
Alors qu’il faudrait à l’humain des heures, voire des jours, pour bien appréhender son sujet, il ne faudrait à la machine que quelques secondes pour ressortir les informations les plus importantes contenues dans le même document et pour proposer une analyse. Différentes sources d’informations pourraient tout aussi bien être réunies en une plateforme trans-sectorielle permettant ainsi d’accroitre et d’élargir la palette d’informations et l’efficacité du journaliste.
Car l’un des principaux défis auxquels demeurent aujourd’hui confrontés les médias de presse écrite du monde est le désintérêt croissant pour la lecture. Sous tous les cieux, les usagers consacrent de moins en moins de temps à la lecture. Comment donc retenir ces usagers sans une réforme du contenu et une nouvelle interactivité que seule la machine est susceptible de conduire de façon efficace.
L’on avait, un moment, pensé qu’en leur donnant la parole, en les associant à la rédaction des articles et en acceptant de publier leurs photos, on arriverait à attirer les usagers. Place leur a été alors faite dans les contenus. Depuis, le flux d’informations a été tel que la capacité humaine de tri a été dépassée. Malheureusement, les fausses nouvelles et les divulgations d’informations sur la vie privée se sont parallèlement développées tant et si bien qu’ il a fallu mettre en place des mécanismes de contrôle qui sont, aujourd’hui dans certaines rédactions, des robots qui procèdent à l’identification faciale et éliminent du réseau d’utilisateurs tout auteur de trois fausses nouvelles.
On s’est aussi à un moment donné tourné vers l’information ciblée que la machine se chargerait de distiller. Mais rien n’y a encore fait, les usagers continuent à prendre leurs distances avec les contenus de presse écrite. L’une des options envisagées par les patrons de presse est aujourd’hui de laisser le soin à la machine d’ordonner les informations dans l’ordre décroissant de leur importance comme on le ferait dans une agence de presse professionnelle. De cette manière, les informations les plus importantes viendraient en tête d’article et accrocheraient le lecteur.
Des panelistes présents à Boao ont, en tous les cas, assuré avoir déjà pris le départ de cette innovation qui, pour l’instant, serait limitée au traitement d’informations portant sur les seuls domaines de la Bourse et des sports. Ce recours à la machine, ont-ils affirmé, a l’avantage de libérer la rédaction du journal de tâches harassantes tout en procurant plus de temps aux journalistes qui peuvent dès lors se consacrer désormais aux reportages et aux vraies enquêtes. Sans compter bien sûr qu’il n’y a pas match entre l’humain et la machine au niveau de la distribution de l’information, de la réponse à donner à une demande d’usager et de l’interactivité.
Certains «newsrooms» de par le monde sont ainsi déjà dans ce futur puisque plusieurs de leurs activités ne sont plus du ressort du journaliste mais du robot qui, du reste, a tendance à prendre progressivement en charge tous les contenus. Et les progrès en la matière vont si vite que beaucoup de journalistes s’interrogent aujourd’hui sur les moyens de subsister. Alors journalistes et robots, futurs alliés ou futurs ennemis ? Aucune réponse ne fait l’unanimité car il y a ceux qui pensent que la machine ne pourra jamais totalement supplanter l’humain dans les salles de rédaction. Comme pour dire que la machine ne dispose pas de la faculté de persuader le lecteur et que l’on aura toujours besoin du journaliste ne serait-ce que pour donner l’impulsion de départ.
Mais tous conviennent que l’intelligence artificielle est l’avenir du journalisme et qu’il est impératif de s’adapter à cette innovation majeure en se formant et en apprenant dès aujourd’hui les datas et autres langages de robot. A noter enfin que « People’s Daily » est la version anglaise du Quotidien du Peuple et qu’il est tiré à trois millions d’exemplaires. Le journal, toutes éditions confondues, emploie quelque 600 personnes dont certaines habitent le building servant de siège.
Abdoulaye TRAORÉ
L’Essor