Les massacres en masse d’Ogossagou (région de Mopti) continuent de faire couler beaucoup d’encre et de salives dans notre pays et à travers le monde. Deux semaines après le drame d’Ogossagou, de nombreuses zones d’ombre subsistent… Dans un entretien exclusif qu’il nous a accordé, Me Hassan Barry, ancien ministre, président d’honneur de Tabital Pulaaku et ancien ambassadeur,fait des révélations sur cette tragédie, dont le bilan s’élève à près de 200 victimes. Sans langue de bois, l’homme de droit se prononce aussi sur d’autres sujets d’importance, notamment la situation dramatique qui prévaut actuellement au Centre du Mali, la situation d’ensemble du pays, ainsi que la gouvernance actuelle… Interview.
L’Aube : La situation sécuritaire se dégrade de jour en jour avec des attaques et des tueries. Les massacres perpétrés à Ogossagou, la semaine dernière, illustrent cette situation dramatique. Comment avez-vous vécu ces évènements douloureux ?
Me Hassan Barry :J’ai vécu ces évènements avec beaucoup d’amertume et d’indignation. Ce drame qui rappelle étrangement celui de Koulogo survenu le 1erJanvier 2019 était du reste prévisible. Mais le manque de vision et d’anticipation de l’Etat, en dépit des alertes et des appels détresses, ont rendu possible ces massacres d’une amplitude dépassant tout entendement, sur le village peul de Ogossagou.
Déjà la veille, les habitants de Bankass s’interrogeaient sur les mouvements anormalement élevés de chasseurs de Dan-Na Ambassagou et portaient l’information aux autorités locales, régionales et même nationales, par le canal du Président de l’association Tabital Pulaaku. Aucune de ces autorités n’a réagi pour anticiper et arrêter le mouvement, alors même, qu’un camp militaire est situé à moins de 12km de Ogossagou.
Les assaillants tous ressortissants des cercles de Bankass et Koro et principalement du village de Ogossagou-Dogon et des différents villages environnants, étaient dirigés et orientés par des personnes connues de Ogossagou-Peul. Les survivants qui les ont reconnus ont dressé une liste de 72 personnes ayant pris part au massacre. Cette liste est encore provisoire. Elle a été remise à qui de droit pour les besoins de l’enquête. Il n’y a aucun mercenaire parmi les assaillants. Ils sont tous des cercles de Bankass et Koro et ont bénéficié de l’appui et de l’accompagnement d’éléments de Dan-Na Ambassagou venus de Douentza et de Bandiagara.
L’examen balistique nous édifiera sur les collusions et complicités dont a bénéficié la milice Dan-Na Ambassagou.
Avez-vous des informations sur ce qui s’est réellement passé à Ogossagou ?
Il ressort du témoignage des survivants que les assaillants sont arrivés entre 5h et 5h30. Les habitants ont été brutalement réveillés par des coups de feu nourris provenant du côté de la base où étaient pré-cantonnés des jeunes peuls du village, dans le cadre du DDR.
Surpris par l’attaque, les habitants dont la plupart dormaient encore, ont essayé de se mettre à l’abri dans les habitations censées être plus sûres notamment chez le chef de village et chez le marabout Bara Sékou Issa.Très vite ceux qui avaient choisi de sortir du village se sont retrouvés face au mur des assaillants qui avaient pris soin d’encercler le village avant d’envoyer les tueurs à l’intérieur des habitations…Et commença l’hécatombe. Des hommes et des femmes sans défense, tombaient sous leurs balles assassines. D’autres villageois rebroussant chemin,parce que ne pouvant plus avancer, se sont abrités dans des maisons où la mort leur donnait rendez-vous. Au péril de leur vie, certains ont pu comprendre les ordres qu’ils se distribuaient en langue dogon, indiquant les maisons dont il faut prioritairement détruire, en prononçant les noms des chefs de famille.
Un survivant en pleurs témoigne « c’est inimaginable de voir mon ami pointer du doigt la maison de mon père et dire : sa femme n’est pas enceinte mais sa sœur arrivée hier matin porte une grossesse très avancée.Éventrer la avant de la tuer… ».
Toujours selon les survivants, après avoir tué le chef du village et jeté son corps dans un puits, les assaillants se sont dirigés en grand nombre vers la famille du Marabout Bara Sékou Issa DIALLO qui, dans les minutes qui ont suivi, a accueilli une bonne partie des villageois venus se mêlés aux nombreux talibés du saint homme. Unnombre important d’entre eux s’est retrouvé dans une grande piècequ’ils ont bouclée, croyant échapper à la mort. Un assaillant avec une voix sûre et sereine demandera aux autres assaillants, de le laisser percer un trou au murafin de griller ces rats. Il envoya une roquette qui a ouvert une énorme brèche dans le mur. Ensuite les assaillants ont apporté de la paille pour remplir la maison avant de l’enflammer…Puis, retentirent des rafales de fusils automatiques pour s’assurer davantage, qu’il ne pourrait y avoir aucun survivant. La scène a été observée par l’unique fils du marabout caché non loin et dont le destin, a fait échapper à une mort certaine ce jour-là.
Ailleurs dans la cour et dans le village, les assaillants ont tiré et tué tous ceux qui n’étaient pas présents dans la chambre à feu, hommes, femmes, enfants, surtout bébés de sexe masculin, animaux domestiques, engins mitraillés et consumés dans l’incendie volontaire des assaillants.
A la fin de l’opération, les assaillants ont appelé les leurs à quitter les lieux en criant haut et fort que « tous les peuls ont été confirmés, morts ».
Avez-vous une explication au sujet de cette flambée de violences qui secoue le Centre du pays ? Et à votre avis qui sont les responsables du pourrissement de la situation dans cette partie du pays ?
Oui, l’explication est simple. Il vous souviendra que dans le courant du mois de janvier 2018, le Président de la République recevait à Koulouba la confrérie des chasseurs appelés donzos. Au terme de leur entretien, les donzos annonçaient à leur sortie d’audience, l’accord qu’ils ont obtenu du Président de la République pour « prêter main forte à l’armée dans la lutte contre le terrorisme ». C’est de cette audience amplement médiatisée qu’est partie cette flambée de violence.
En réalité, les faits dans leur nudité démontrent à suffisance, que c’est un deal qui consiste à laisser les donzos – qui entre temps, se sont mués en milice criminelle – faire tout ce qu’ils souhaitent, y compris le déguerpissement des peuls, qu’on a pris le soin d’indexer comme étant tous terroristes, téléguidés par des cadres ressortissants du centre, le tout avec la bénédiction de Hamadoun KOUFA.
…Puis entre en scène, Soumeylou Boubeye MAIGA, le grand stratège dit-on, le planificateur, qui se rappelle de sa stratégie qui a fait fortune dans le septentrion dans les années 1990. La création de Ganda-Koy est passée par là. Sa stratégie de lutte contre le terrorisme est simple et meurtrière. Il ne fera rien, ni lui, ni son chef, pour sortir de l’amalgame, mieux, il l’amplifiera en disant lors d’une réunion tenue à Mopti que le terrorisme s’est totalement incrusté dans les villages peuls,et que ce serait une véritable perte de temps à vouloir démêler les choses. A une autre réunion tenue à Mopti à l’occasion du lancement du DDR il rebondira de nouveau en soutenant que « les peuls ont des problèmes avec les dogons, les bambaras, les dawoussaks…que donc, les peuls sont porteurs de problèmes ».C’est à la faveur de ce blanc-seing obtenu des chefs de l’exécutif que la milice Dan-Na Ambassagou constituée uniquement de chasseurs dogons a poussé les limites de son mandat et à nourrir le secret dessein de vider tout le Seno de la communauté peule pour s’accaparer de ses terres. C’était déjà le cas avec les populations du village peul de Sari dont les rescapés aux tueries de 2012 vivent aujourd’hui au Burkina-Faso dans l’indifférence totale des autorités Maliennes actuelles.
C’est ce même objectif qui se poursuit aujourd’hui par la destruction totale de pratiquement tous les villages peuls du cercle de Koro et de Bankass.
L’apocalypse née de la collusion de l’Etat avec des milices a engendré le génocide que certains ne veulent ni voir ni en entendre parler, alors qu’il crève les yeux. Je voudrais simplement dire à ceux-ci que, le code pénal Malien entend par crime de génocide, l’un des actes ci-après commis dans l’intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Il s’agit entre autre des actes suivants :
- Meurtre de membres du groupe,
- Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe,
- Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entrainer sa destruction physique totale ou partielle,
- Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe,
Dois-je comprendre qu’il faut atteindre de million de mort comme au Rwanda pour admettre qu’il y a un génocide sur la communauté peule et dont l’auteurest la milice Dan-Na Ambassagou et ses complices ?
Le gouvernement, lors du dernier conseil des ministres, a décidé de dissoudre le groupe Dan-Na Ambassagou et a limogé en même temps les grands chefs militaires. A votre avis ces mesures vont-elles contribuer à ramener le calme ?
Ces mesures, à mon avis, auront peu d’impacts sur la crise, en raison de la déliquescence très avancée de l’Etat. Vous avez entendu la réaction de Youssouf TOLOBA, chef de la milice Dan-Na Ambassagou et de certains seconds couteaux, défiés l’Etat et dire ne pas se soumettre au décret de dissolution. Pour s’opposer à cette mesure, la milice a suscité des marches visant à amener l’Etat à abroger le décret pris le 24-03-2019.
Il faut que ceci soit très clair, la mesure de dissolution prise par le Gouvernement se justifie au regard des agissements de cette milice dont la forme elle-même porte atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat. En effet, il ne fait l’ombre d’aucun doute qu’une organisation humaine qui dans sa composition est constituée, d’un chef d’Etat-major général (le chef des combattants), des commandants de zones, des conseillers chargés de la logistique, des conseillers chargés de renseignements et des combattants ne peut être qu’une milice dédiée à la mort. Elle porte atteinte à la cohésion et c’est pourquoi le Gouvernement, se fondant sur les dispositions de l’article 13 de la loi n°04-038 du 05 Août 2004, relative aux associations a décidé à bon droit de la dissolution pure et simple de cette organisation criminelle.
Je n’en doute pas que le conseil de sécurité prendra une résolution dans les prochains jours pour hisser la milice Dan-Na Ambassagou au rang des organisations terroristes. Il ne peut en être autrement.
Les membres de Dan-Na Ambassagou ont réagi en disant qu’ils n’ont pas de récépissé et comme tel, le Gouvernement est mal fondé à prononcer leur dissolution. Je renvoie les tenants de cette vision à lire les dispositions de cette loi. Je leur demande en outre d’ouvrir les yeux sur les dispositions de l’article 15 de cette même loi qui puni d’amende et d’emprisonnement les fondateurs…, de l’association qui se serait maintenue ou reconstituée illégalement …après le décret de dissolution.
Quant à la question relative au limogeage des chefs militaires, ce sont de petites mesures qui frappent injustement les chefs militaires. Les chefs militaires de mon point de vuene sont pas en cause. Ce sont les politiques qui sont en cause, car la gouvernance politique est défaillante, mieux, moribonde. Nous avions depuis fort longtemps,constaté que, les interférences politiques dans la chaine de commandement rendaient inefficaces, l’action des militaires sur le terrain. Nous l’avions dit et écrit en son temps au Président de la République et nous l’avions dénoncé à l’occasion de toutes nos conférences de presse. Les militaires relevés n’ont pas démérité un seul jour et c’est pourquoi pour ma part j’adresse à chacun d’eux ma profonde sympathie pour le travail qu’ils ont abattu. Ils méritent reconnaissance et considération de toute la nation Malienne.
Au-delà de Ogossagou, comment se présente, aujourd’hui, la situation dans les autres localités du Centre ?
La situation ressemble à celle d’un village sans autorité légitime reconnue. C’est l’auto-gouvernance mais malheureusement, la plus anarchique au monde. Chaque village peul s’attend à être la prochaine cible et à être rayé de la carte administrative du pays. Apres Koulhogo en Janvier dernier, personne au Mali ne pouvait s’imaginer qu’une attaque contre des civils innocents, d’une telle ampleur, pouvait se produire dans la région à plus forte raison dans un rayon de moins de 50 km. Ogossagou s’est produit et le même jour deux autres villages Wélingara et Dimbal incendiés à moins de 7 km d’un camp militaire. Bref, nous ne croyons plus aux promesses de nos autorités et à juste raison parce qu’à chaque fois qu’elles y mettent pied et repartent, c’est l’enfer qui s’y installe. En Mars 2018, le Premier Ministre Soumeylou Boubeye MAIGA visite Koro, après son départ, les atrocités atteignaient immédiatement leur paroxysme; le 31 Décembre 2018, le Président de la Commission de Défense de l’Assemblée Nationale Karim KEITA visite les troupes à Bankass, le lendemain Koulhogo situé à 35 km reçoit son cadeau de nouvel an et de son existence avec 38 tués, tous peuls; enfin, le Vendredi 22 Mars 2019 c’est au tour du Gouverneur de la Région de Mopti de présider à Bankass un Atelier pour la Paix et la réconciliation dans le Cercle qui démarre.Tôt le matindu 23 Mars 2019 c’est la mise à mort de plus de 200 âmes innocentes à Ogossagou-peul.
La zone inondée, Djenné et Tenenkou a subit et continue d’être hantée par les pires crimes de son histoire. N’en parlons pas de Youwarou qui est complètement ”Indépendant” du Mali. Le Centre du Mali a non seulement échappé au contrôle de l’Etat mais ne se contrôle pas non plus par lui-même. C’est une situation inédite au Mali.
On a l’impression que le Gouvernement et la communauté internationale sont plus préoccupés par l’application de l’accord d’Alger, alors le Centre s’embrase. Quel est votre avis ?
Cette impression est partagée par tous les Maliens. Ils ont raison de penser que la communauté internationale ne s’intéresse qu’à l’accord discuté de longs mois à Alger qui dans son fond, consacre en réalité, la partition du Mali, au seul bénéfice de puissances étrangères. Le peuple Malien doit demander des comptes à l’équipe gouvernementale et à ses cadres techniques Maliens, envoyés comme négociateurs à Alger et qui se sont laissés charmer par le luxe des hôtels EL AURASSI, Georges V et autres… , et par les poses cafés, déjeuners copieux et les perdiems, en oubliant qu’ils étaient en mission pour le Mali. Ils sont entièrement et collectivement responsables des malheurs actuels du Mali. Ils en répondront tôt ou tard.
La mauvaise gestion de la crise du Nord et le désintérêt de la communauté internationale pour le centre, a eu pour conséquence immédiate la mise à feu des régions de Mopti et Ségou et depuis elle s’est métastasée sur les ¾ de la superficie du pays et s’est exportée dans les pays voisins. Nous récoltons aujourd’hui ce que nos cadres ont semé hier à Alger.
Quel regard jetez-vous sur la situation politique, économique et sociale ?
La situation frise l’apocalypse. Il faut certainement que les Maliens prennent conscience de cet état et se donnent la main pour sauver le pays. Ceci passe par des compromis qu’il faut obtenir à tous les niveaux et remettre le compteur à zéro et redémarrer une nouvelle vie pour la Mali avec une Gouvernance vertueuse, porteuse d’espérance pour le peuple.
Les Maliens réunis tous ensemble doivent se donner un seul point à l’ordre du jour : comment sauver le Mali ? Cette question recouvre à la fois les aspects politiques, économiques sociaux, sécuritaires, etc…
Le Ciment social est en train de s’effriter chaque jour un peu plus. Malheureusement, à entendre les messages de haine sur les réseaux sociaux animés par des personnes des différentes communautés parfois totalement ignorantes de la réalité, on ne peut être qu’inquiet pour le futur de la zone.
Etes-vous optimiste quant à l’avenir immédiat ?
Malheureusement non. Même pas à moins terme avec la gouvernance actuelle. A cela s’ajoute la propagation voire la contamination transfrontalière avec le Burkina Faso et les autres pays voisins, probablement dans un proche avenir, et cela est plus que inquiétant. Les exactions des groupes armées non contrôlés mêlées aux actions des forces armées régulières du G5 Sahel ou même étatiques (arrestations arbitraires suivies de tortures, assassinats ou disparitions forcées) ne présagent pas d’un avenir rassurant. Le risque de radicalisation des populations victimes n’est pas faible.
Mais notre conviction demeure que si les Etats veulent, ils y arriveront. Les armées nationales doivent aller vers une forme de socialisation avec les populations qu’elles sont censées protéger. C’est humain et donc faisable, mais au prix du sacrifice.
Quelle solution préconisez-vous pour sortir le Mali de cette situation difficile ?
Résoudre un problème, une situation difficile commence par reconnaitre et accepter l’existence de la situation en question. Le Mali n’a pas le choix, il doit accepter que la situation est loin d’êtreapaisée dans sa partie centrale contrairement aux fanfaronnades du Premier Ministre dans son discours à New-York. Les autorités doivent admettre que cette partie est en passe d’échapper à leur contrôle et cela à tous les niveaux. Ensuite, elles doivent mettre les populations en avant de manière inclusive et chercher à résoudre ensemble et par priorité les problèmes déjà connus. Le problème est aujourd’hui global à certains points de vue, mais les solutions sont locales et ne peuvent être globalisées ou dictées, au risque de continuer à faire du sur place.
Votre mot de la fin ?
Le Mali traverse la pire crise de son histoire et la gestion amorphede l’Etat central n’est pas pour faciliter les choses. Cette crise n’est pas une fatalité, elle a été créée et entretenue par les hommes; seule la détermination de l’Etat pourrait venir à bout à condition d’y faire face avec sincérité sans calcul ni agenda caché.
Propos recueillis par
C H Sylla