A quelques encablures des trois ans d’Ibk à Koulouba, la violence, l’instabilité et les incertitudes reprennent le dessus avec un envol à faire ombrage aux principaux acquis qui font la fierté du régime. Un tableau d’autant inquiétant qu’il domine le décor à deux doigts de la fin du quinquennat.
Les événements se succèdent et se ressemblent à peine, mais ils se caractérisent par la même tonalité de déjà vu : celle d’une locomotive désespérément déconnectée de ses wagons, d’un chef vraisemblablement esseulé dans sa quête de marques ainsi que dans son combat pour imprimer une marche glorieuse à l’action régalienne de son temps. En tout cas, le déroulé des récents soubresauts en disent long et traduisent une nette arythmie entre le souffle politique de la République et son retentissement sur le terrain. Un premier symptôme de ce phénomène est apparu notamment à Gao où une manifestation d’apparence banale a pris les proportions étonnamment dramatiques à tous points de vue. Initiée pour réclamer plus de justice et d’équité dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, la marche populaire de la jeunesse a été impitoyablement réprimée par les forces de l’ordre, avec une vigueur à anéantir définitivement ce qu’il reste de l’estime des communautés sédentaires pour le pouvoir ainsi que des espoirs que ce dernier a pu incarner. Difficile, selon toute évidence, d’expliquer autrement la bavure ayant occasionné trois morts et des dizaines de blessés. Évitables selon tous les observateurs avertis, la réaction de la puissance publique à Gao ne semble guère tenir d’une légèreté désintéressée tant la riposte était disproportionnée à la peccadille. Et, en attendant le résultat de l’enquête promise à une population payée en monnaie de singe pour sa loyauté à la République, il ne paraît point exagéré de subodorer un acte de sabotage destiné à décrédibiliser les autorités auprès de la communauté concernée et peut-être bien au-delà.
Le deuxième événement à consonance similaire n’est autre que l’épisode tout aussi peu glorieux de l’occupation temporaire du camp de Nampala par des assaillants djihadistes, mardi dernier. Avec 17 pertes déclarées et de nombreux matériels militaires détruits ou emportés, l’assaut aura été particulièrement sanglant et continue de susciter à ce titre un torrent d’interrogations en rapport avec les circonstances de la déroute. En effet, profanes et nantis s’accordent à éprouver la même stupéfaction devant la facilité avec laquelle les positions de la deuxième forteresse du théâtre des opérations a été abandonnée aux assaillants qui, selon des sources concordantes, ont à peine rencontré de résistance au cours de leur expédition. Les mêmes sources concordent sur le fait que la quasi-totalité des victimes le sont par la faute d’une embuscade tendue sur le chemin du repli des éléments vers Diabaly, soit dans leur tentative de trouver refuge auprès des habitants de la ville située à 2 kilomètres de la caserne.
Quoi qu’il en soit, le revers est d’autant moins admissible que l’ennemi avait prévenu de ses intentions belliqueuses plusieurs semaines auparavant, au moyen notamment de nombreuses menaces proférées par la rébellion peule d’Aljanna, sans pour autant inspirer des mesures dissuasives au commandement militaire. Résultat : des jeunes éléments visiblement peu alertés ont été pris de court par la puissance du feu adverse avant d’être contraints à la débandade, à un moment où l’on croyait les replis tactiques révolus et après tant de moyens consentis dans l’équipement et la formation des forces de défense et de sécurité du nouveau Mali d’IBK.
En dépit d’une performance très mitigée, la nation entière a été mobilisée pour saluer la mémoire des soldats tombés sous les balles des assaillants, lors d’une cérémonie d’hommage apparemment plus destinée à déjouer les implications des pertes sur le moral et l’engagement des troupes. Une marque de complaisance qui n’aura guère épargné à l’autorité politique présente sur les lieux d’être la cible de grincements de dents plus qu’audibles tout au long de la cérémonie funèbre de Ségou. C’est la voie choisie par les familles endeuillées pour réclamer des comptes et des explications sur l’énormité des pertes infligés à l’armée, quoique le chef suprême des Armées aient donné personnellement des gages que leur sacrifice ne sera pas vaine.
Les échos des protestations ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd et retentissent comme la sirène jadis entendue sous ATT, celle qui consiste à culpabiliser la hiérarchie et l’autorité politique pour chaque déroute militaire, y compris pour les incuries imputables aux désobéissances militaires ayant prématurément essoufflé le second mandat du régime défunt.
On n’en est pour l’heure pas jusqu’à un sort similaire, mais pour sûr, l’épisode de Gao comme celui de Nampala portent un coup sérieux à deux trophées que le pouvoir d’IBK aurait pu brandir comme les actifs les plus présentables de trois années d’activités sur le quinquennat. L’un, l’Accord arraché de haute lutte aux groupes armés, risque d’être dangereusement compromis en cas de persistance du lièvre levé par la jeunesse de Gao sur les autorités intérimaires; l’autre, en l’occurrence le revers militaire de Nampala, tend à annihiler tous les espoirs de récupération politique des énormes efforts de reconstruction de l’armée malienne.
A KEITA
Source: Le Témoin