Malgré son abolition, la pratique de l’esclavage par ascendance perdure dans la région de Kayes, notamment dans le cercle de Kita, affectant plus les femmes et les enfants. Une ONG locale a initié une vaste campagne de sensibilisation.
Depuis janvier 2019, 1620 personnes ont fui la pratique de l’esclavage par ascendance (appelée « djonya » par la classe historiquement dominante, les « nobles ») pour rallier la commune de Souransan, dans le cercle de Kita, selon Monciré Coulibaly, le chef de la municipalité locale. La plupart des déplacés sont des enfants et des femmes.
L’Association pour la promotion juridico-économique de la femme et de l’enfant (Promodef) estime à 839 le nombre de femmes. L’ONG de défense des droits humains a organisé, le 15 septembre 2020, un atelier de sensibilisation sur la question dans la capitale malienne, Bamako, après une série d’actions dans le cercle de Kita.
Depuis juillet 2020, à travers le projet « Yagaré M’pake », qui signifie « droits des femmes et filles infectées et affectées par la pratique de l’esclavage » en soninké, la Promodef est engagée dans la lutte contre l’esclavage par ascendance au Mali. Elle intervient dans le district de Bamako et dans le cercle de Kita, notamment dans la commune de Kaarta, l’épicentre de la pratique de l’esclavage par ascendance et des violences qui y sont liées.
Agressions physiques, tortures et confiscation de biens
« Plus de 800 000 maliens vivent dans l’asservissement », estime Oumou Bolly Diallo, la présidente de l’organisation des droits humains. « Cette pratique s’exerce dans des formes souvent barbares et affecte encore plus les filles et les femmes, victimes d’agressions physiques, de tortures ou de confiscation de biens », ajoute la présidente de la Promodef.
Dans les contrées où la pratique sévit encore, ceux qui sont considérés comme des « jon » n’ont aucun droit. « Ce sont les maitres qui disposent de leurs biens, de leurs enfants ainsi que de leurs femmes », témoigne une victime de 60 ans, refugiée aujourd’hui à Souransan pour échapper à cette vie servile.
Plusieurs organisations de défense des droits humains se mobilisent pour l’adoption d’un projet de loi criminalisant la pratique. Le 9 septembre dernier, des experts des droits de l’homme des Nations unies ont exhorté les autorités maliennes à « mettre fin » à l’esclavage par ascendance. Deux semaines plutôt, quatre personnes ont trouvé la mort dans des heurts opposant des « nobles » et soi-disant « esclaves » à Djandjoumé, dans la région de Kayes.
Frein à la réalisation des droits de l’homme
Des pays comme le Niger ou la Mauritanie ont adopté des législations spécifiques criminalisant la pratique de l’esclavage. Pourtant, elle perdure encore dans ces États. Mais, pour le cas du Mali, la criminalisation « est une étape importante », pense Aguibou Bouaré, le président de la Commission nationale des droits de l’homme au Mali (CNDH), qui a plusieurs fois interpellé les autorités sur la situation. « L’esclavage fait souffrir. C’est inadmissible, dépassé et un frein à la réalisation des droits de l’homme.» L’absence de dispositions traitant spécifiquement de l’esclavage est souvent présentée comme un frein aux actions de justice.
Très souvent, les « jon » qui refusent d’assumer leur statut sont dépossédés de leurs terres et contraints de quitter la localité. « Depuis 2019, nous cherchons des terres pour les déplacés de la commune de Kaarta. La plupart d’entre eux sont des agropasteurs. Sans terre, c’est difficile qu’ils puissent s’établir. Nous avons démarché les autorités administratives pour une autorisation de declassification d’une partie de la forêt du Baoulé. Mais la procédure traine toujours », regrette Monciré Coulibaly.
Source : Benbere