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Mali : polémique autour de la société African Seeds qui cultive le cannabis dans le pays

Une entreprise est autorisée par le Gouvernement, depuis plus de deux ans, à faire de la culture de cannabis. En effet, selon la décision officielle signée par Salif Traoré, ministre de la Sécurité et de la Protection civile, le 28 février 2017, la société de droit malien appelée African Seeds sarl « est autorisée à procéder à la culture de chanvre industriel sativa dont les graines seront entièrement destinées à l’exportation à des fins médicales ». Seulement, une telle décision fait grincer des dents dans divers milieux et pour différentes raisons.

 

Cet article a été publié précédemment dans le journal Mali Demain

D’emblée , il faut retenir que la cannabiculture (culture de cannabis) légale est en train de prendre de l’ampleur dans le monde, depuis qu’on a commencé à trouver de multiples vertus au chanvre, pour le dépouiller de son caractère de stupéfiant. Activité marginale au départ, d’une dimension économique faible, la filière du chanvre industriel est en train de suivre les pas de la mondialisation pour conquérir de nouveaux espaces. Elle est soutenue à l’heure actuelle par de puissants lobbies qui parviennent à faire tomber, chaque jour que Dieu fait, les barrières sociales et culturelles qui mettaient la culture du chanvre au rang de l’illégalité.

En effet, cette filière agro-industrielle de culture de cannabis est de plus en plus présentée sous des aspects bien toilettés : elle est fournisseuse de fibres, de granulats végétaux (la chènevotte), de graines oléagineuses et de protéines. Par l’action des puissants groupes qui s’y activent dans le monde, elle a dû, au cours de son histoire, se séparer de son cousin germain : le cannabis drogue.

Décision accordée par le Ministère de la Sécurité

Mais cette filière est très encadrée par ses organismes structurants, aussi bien au plan national qu’international, comme d’ailleurs le confirme l’article 2 de la Décision portant autorisation attribuée par l’Etat du Mali à travers le Ministère de la Sécurité : « La société African Seeds sarl se conformera aux dispositions du cahier des charges annexées à la présente, établi entre elle et les services techniques compétents ».

Notons que cette autorisation se fonde sur la loi 01-078 du 18 juillet 2001, modifiée, portant sur le contrôle des drogues et des précurseurs. Cette loi, en son article 12, précise : « …la culture, la production, la fabrication, le commerce et la distribution de gros et de détail, le commerce international, l’emploi des plantes, substances et préparations…sont interdits à toute personne qui n’est pas titulaire d’une autorisation expresse ainsi que dans tout établissement et tout local qui n’est pas muni d’une autorisation expresse ».

Et l’article 13 de compléter que : « L’autorisation de se livrer aux articles 12 ci-dessus est délivrée par le ministre chargé du contrôle des stupéfiants et des substances psychotropes… »

Autorisation pour uniquement des fins médicales

Mais depuis deux ans que cette autorisation a été délivrée, au sein même des services de Sécurité, notamment la Police nationale et la Gendarmerie, rares sont ceux qui ont entendu parler de cette affaire dont le traitement relève quasiment du «secret défense », laissant libre cours à n’importe quelle supputation, surtout que, parlant de grains de chanvre à exporter comme prévu par l’autorisation, il serait question finalement d’étendre l’exploitation à la fabrication de produits alimentaires.

En effet, en dehors de l’exploitation des graines à des fins médicales, il y a plusieurs exploitations possibles du chanvre : textile avec les fibres, complément alimentaire avec les tiges, cosmétique avec l’huile extraite de la plante.

Mais le hic est que, même si la culture de cannabis industriel peut-être autorisée, elle ne devra se faire, comme précisé par l’alinéa 2 de l’article 13 précité, que dans une seule condition : « Elle ne peut être délivrée que si l’utilisation des substances en cause est limitée à des fins médicales ». Clair et net !

Par ailleurs, selon toujours l’article 13 de la loi N° 01-078 du 18 juillet 2001 : l’autorisation « ne peut être octroyée qu’à un pharmacien ou à une personne morale à la gestion ou à la participation de laquelle participe un pharmacien. Son octroi est subordonné à une vérification des qualités morales et professionnelles du requérant et de toute personne responsable de l’exécution des obligations fixées par la, présente loi et par l’autorisation ». Nous ne préjugeons pas de la moralité des bénéficiaires de l’autorisation. Nous en sommes loin, très loin d’ailleurs ! Mais que sur la décision d’autorisation signée par le ministre de la Sécurité, on consigne que la demande d’autorisation est faite par une lettre « sans numéro », ne portant qu’une date comme référence, pour une affaire aussi sérieuse et aussi délicate, l’on est en mesure de se poser moult questions sur le suivi de ce dossier par les autorités compétentes.

A qui profite le crime ?

Par ailleurs, tout le monde sait qu’au Mali on sait bien signer des documents, mais respecter le contenu relève d’une gageure, surtout s’il s’agit d’être vigilant dans un domaine aussi sensible que la cannabiculture, au moment où l’attention doit être portée sur les questions sécuritaires qui sont les priorités du moment. La première remarque qui en découlera alors est de se demander pourquoi délivrer une telle autorisation de culture d’un produit si sensible, à un moment où le Mali était en train de passer du statut de pays de transit à celui de producteur de chanvre ?

Plusieurs localités du Mali sont actuellement reconnues comme des zones de culture de cannabis, les paysans trouvant cette activité plus rentable que celles auxquelles ils se livraient traditionnellement. Avec le contexte sécuritaire qui engendre des conflits intra et intercommunautaires, est-ce judicieux de se décider à autoriser la culture de cannabis, ne serait-ce qu’à des fins d’importation des graines ? On est tenté de se demander ce que l’Etat gagne réellement en autorisant cette culture de chanvre à l’heure actuelle. Mais comme pour être dans l’ère de la criminalité organisée qui secoue le pays, posons-nous la question, comme dans un polar : à qui profite le crime ? Nous y reviendrons.

A B Niang

NORDSUD JOURNAL

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