Le président de la République en Chine, son ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale en Russie. Le nouveau visage offert par la diplomatie malienne, la semaine dernière, se présente selon toute évidence comme un couteau à double tranchant. Par delà la récolte d’un gain aussi conséquent en une seule mise, il traduit également une reconnaissance tacite de l’isolement du Mali par ses partenaires traditionnels. Une posture qui pourrait s’empirer davantage si les créneaux chinois et russe étaient perçus comme alternative aux difficultés que rencontre le nouveau pouvoir à s’adapter aux caprices de pointilleux Occidentaux.
Apparemment marginalisé jusqu’à l’ostracisme dans la sous-région comme auprès des partenaires naturels du pays, le président de la République, IBK, n’avait-il pas raison en définitive de bouder un conclave de ses pairs ouest-africains à Doubaï au profit d’un voyage solitaire en Chine ? Tout porte à répondre par le positif, tant le chef d’Etat malien s’en extasie d’avoir décroché un sésame assez rare pour susciter l’envie de n’importe quel autre leader de la sous-région. Aux promesses de réalisation d’infrastructures (pont, routes, logements sociaux) s’ajoute un nombre incalculable de contrats d’exploration et de exploitation du sous-sol maliens, avec en sus un projet de voie ferrée de fer pour faciliter l’acheminement des matières premières vers les ports d’exportation. Le scénario n’est pas inédit. À son arrivée au pouvoir, le Guinéen Alpha Condé, qui se trouve pratiquement au terme de son mandat sans bilan enviable, s’était lui aussi illustré par une similaire préférence spectaculaire de la Chine mais avec des résultats toujours maigres à tous points de vue. IBK, qui vient de lui emboîter le pas, a néanmoins beau-jeu de s’offrir un accueil héroïque à son arrivée de la nouvelle puissance économique mondiale, histoire sans doute de faire passer pour concret ce qui, somme toute, reste quand même un acquis encore fictif.
Plus de 5000 milliards francs CFA, soit une manne susceptible de couvrir l’ensemble du projet quinquennal et des promesses de campagne du président de la République. Y a-t-il lieu pour autant de cracher sur les trois (3) petits milliards de dollars promis depuis la transition et pour la mobilisation desquels la souveraineté et la crédibilité de l’Etat sont constamment trainés dans les égouts même pour l’achat d’un avion présidentielle et l’équipement de l’armée ? C’est pourtant cela que semble signifier l’attitude du président d’IBK, un président ayant épuisé son état de grâce, auquel le peuple malien commence à demander des comptes après douze longs mois d’exercice et qui ne dispose visiblement plus de temps au point d’en perdre avec les chichis de l’Occident.
Seulement voilà : ce n’est pas la Chine mais bel et bien la France et l’Occident qui ont pesé dans la balance pour sortir le pays du joug jihadiste et le réintégrer dans le concert des nations à travers le rétablissement de ses institutions. Aussi n’est-il pas exclu que notre virage asiatique soit perçu comme une marque de déloyauté et nous revienne comme un boomerang sous forme d’accentuation de notre isolement au milieu de tant de pays quoi rament à courant opposé.
La remarque vaut également pour le soudain revirement des relations extérieures du pays, à travers un passage tout aussi soudain du ministre des Affaires étrangères dans la capitale russe, un pays qui broie héroïquement du pain noir et superpose les paquets de sanctions de l’Union européenne à cause de sa partition présumée dans la crise ukrainienne. À Moscou, à en croire les bribes qui ont filtré des échanges entre Abdoulaye Diop et Sergueï Lavrov, il avait été surtout question de revivifier le flux d’arsenaux militaires qui a toujours caractérisé les relations entre le Mali et la Russie. Certes la démarche illustre s’il en était besoin un regain d’agressivité diplomatique mais le paradoxe tient au fait que la dynamique martiale insufflée au partenariat des deux pays intervient au moment où Bamako donne plutôt l’air d’être résolument engagée dans une option inverse : celle de la négociation et de la réconciliation nationale dans le cadre de la question des pourparlers sont en cours dans la capitale algérienne sous l’égide des autorités de ce pays. Lesdits pourparlers ne sauraient certes tenir lieu d’obstacles au droit d’un État légitime à organiser son mécanisme de défense, mais le contexte ainsi que l’indiscrétion l’ayant entourée confère à la démarche une connotation belliciste qui entrera forcément en ligne de compte dans les négociations en rapport avec la réorganisation et le redéploiement des forces armées et de sécurité. Il ne sera donc pas étonnant qu’un durcissement de position jusqu’au refus de désarmer résulte de cette attitude des hautes autorités qui consiste à négocier en donnant l’impression de préparer en même temps la guerre.
A. K.
Le temoin