Quatorze prix Nobel de la paix ont demandé lundi à l’Afrique du Sud d’accorder un visa au dalaï-lama dans une lettre ouverte qui, même si elle n’aboutit pas, fera date, mettant à nu la diplomatie pro-chinoise controversée du président Jacob Zuma.
C’est la troisième fois que le dalaï-lama est traité en indésirable depuis 2009 et l’accession au pouvoir de M. Zuma.
En 2011, le leader spirituel tibétain avait été empêché de participer aux festivités du 80e anniversaire de Desmond Tutu. Très en colère, l’archevêque noir avait accusé le gouvernement d’être « pire que celui de l’apartheid ».
Cette fois-ci, c’est un sommet des prix Nobel de la paix prévu du 13 au 15 octobre au Cap (sud) qui devra selon toute probabilité se tenir sans le dalaï-lama, lauréat du prix en 1989.
« Nous sommes profondément inquiets des dégâts pour l’image internationale de l’Afrique du Sud qu’aura un nouveau refus – ou impossibilité- de lui accorder un visa », ont argué ses collègues dans leur lettre.
« Nous comprenons les susceptibilités en jeu mais nous voudrions souligner que sa Sainteté le dalaï-lama n’a plus aucune fonction politique et devrait participer au sommet uniquement en sa capacité de leader spirituel mondialement respecté », ont-ils ajouté.
Cette démonstration de solidarité a toute chance de rester lettre morte.
Comment imaginer que Pretoria change d’avis après que Pékin a chaleureusement remercié l’Afrique du Sud pour la « justesse de sa position » début septembre ?
La Chine accuse le dalaï-lama de lutter pour l’indépendance du Tibet, même si le chef spirituel des Tibétains se borne à prôner davantage d’ »autonomie culturelle » pour sa région.
– Liens idéologiques et historiques –
En outre, dans les allées du pouvoir et de l’ANC, le parti dirigeant, on ne se cache pas de pratiquer une diplomatie d’abord au service des intérêts économiques nationaux.
« Cela peut paraître injuste, lâche et même dénué de principes mais la conduite d’une politique étrangère n’a jamais eu à voir avec la morale », exposait ainsi sans ambages un récent éditorial du quotidien progouvernemental The New Age.
« Si l’on compare sa visite au besoin de l’Afrique du Sud de créer des emplois, d’exporter et de garder sa place au sein des BRICS (le bloc des pays émergents formé avec la Russie, la Chine, l’Inde et le Brésil, ndlr), il est facile de voir que le dalaï-lama a très peu de chances de remettre jamais les pieds par ici », ajoutait-il.
« Maintenant la question centrale qui se pose dans les arènes diplomatiques de l’Afrique du Sud, c’est: +qu’est-ce qu’on y gagne ?+ », confirme David Zounmenou, chercheur à l’Institut des Etudes de Sécurité (ISS, Pretoria).
N’en déplaise aux chancelleries occidentales dont la montre s’est arrêtée à l’heure de Nelson Mandela et qui continuent de voir en l’Afrique du Sud la patrie africaine des droits de l’Homme, l’axe diplomatique a changé depuis 2009.
« Sous Mandela et sous son successeur Thabo Mbeki également, les questions de moralité et de gouvernance étaient essentielles. Avec Zuma, on ne fait plus vraiment mention des questions de droits de l’Homme », souligne M. Zounmenou.
Dans sa relation à la Chine, l’Afrique du Sud n’est pas directement gagnante économiquement.
La Chine est certes son premier partenaire commercial après l’Union européenne, mais cela profite pour l’instant surtout aux usines chinoises, qui prennent aussi des parts de marché aux Sud-Africains sur le reste du contient.
Pèsent en fait d’autres liens de nature historique et idéologique. « L’ANC attache beaucoup de prix au soutien reçu de la Chine pendant la lutte de libération », souligne le chercheur, et gouverne avec le parti communiste (SACP).
« M. Zuma a voulu faire du regroupement Sud-Sud un des piliers centraux de sa gouvernance, et se mettre à la disposition des BRICS pour faire un pied de nez aux Occidentaux », observe-t-il.
Et plus prosaïquement, ajoute-t-il, « pour l’élection de Jacob Zuma (à la tête de l’ANC), la Chine était le bailleur numéro un, même si les chiffres ne sont pas officiels ».