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Mali-Niger : retour sur un discours polémique qui occulte le fond du problème

Si le président nigérien, Mohamed Bazoum, semble avoir raison sur la forme, il reste que sur le fond il a refusé volontairement d’aborder les vrais problèmes que sont la mauvaise gouvernance, les inégalités sociales et l’échec de la démocratie en Afrique de l’Ouest francophone.

 

Le président de la République nigérienne, Mohamed Bazoum, a tenu à Paris des propos qui ont provoqué de vives réactions à Bamako, le 9 juillet. « Il ne faut pas permettre que les militaires prennent le pouvoir parce qu’ils ont des déboires sur le front où ils devaient être et des colonels deviennent des ministres et des Chefs d’État. Qui va faire la guerre à leur place ? Ce serait facile qu’à chaque fois qu’une armée, dans nos pays, a des échecs sur le terrain, elle vient prendre le pouvoir. C’est ce qui s’est passé par deux fois au Mali : en 2012, les militaires avaient échoué, ils sont venus faire un coup d’État. Cette année encore, en 2020, ils ont fait la même chose. Ce n’est pas des choses acceptables », a déclaré le président nigérien.

Comme un véritable coup de massue, ces propos ont eu un retentissement fort dans la capitale malienne, provoquant même un communiqué sur le coup du ministère des affaires étrangères qui rappelait la nature historique et amicale des relations entre les deux pays. Les avis divergent dans l’opinion publique nationale. D’aucuns dénoncent la main invisible de la France derrière ces propos, pendant que pour d’autres y voient tout simplement de la vérité crue qu’il faudrait soutenir à l’encontre des militaires putschistes au pouvoir en Afrique. Néanmoins, si le président nigérien semble avoir raison sur la forme, il est reste que sur le fond il se refuse volontairement d’aborder les vrais problèmes que sont la mauvaise gouvernance, les inégalités sociales et l’échec de la démocratie en Afrique de l’ouest francophone.

Un discours polémique

Nous savons tous qu’un tel sommet ne peut avoir pour ordre du jour que des questions d’ordre sécuritaire. Or celui-ci est un sujet qui concerne aujourd’hui l’ensemble des États ouest-africains, qui partagent les uns avec les autres de larges frontières. Dans cet état de fait, le Mali apparait comme le point névralgique du dispositif politique de lutte contre le terrorisme. Par la géographie, la crise sécuritaire au Mali met en mal la stabilité de toute la sous-région. C’est ainsi que les réponses à la crise multidimensionnelle au Mali doivent être globales et concertées tant avec les acteurs nationaux qu’avec les partenaires internationaux. Cela fait à présent huit ans que les forces étrangères, notamment françaises, sont au Mali afin d’appuyer les Forces armées du Mali (FAMa) à faire face aux menaces terroristes et faciliter le retour de l’administration publique dans les zones de conflits.

Cependant, depuis 2013, les résultats ne sont toujours pas au rendez-vous. L’insécurité s’est amplifiée et a même atteint les territoires du centre du Mali. Pendant ce temps, la mauvaise gouvernance, avec son lot de corruption, de clientélisme, de cherté de la vie continuaient à paupériser des millions de citoyens. La grogne sociale alimentée par les grèves intempestives des corporations socioprofessionnelles et les manifestions chroniques du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) rendait impossible la gestion de l’appareil d’État et le bon fonctionnement de ses institutions.

C’est dans ce contexte que l’armée s’est emparée du pouvoir en mettant en place une transition parfaitement taillée sur mesure. Sur les 18 mois initialement préétablis pour la durée de la transition, 10 mois ont été déjà consommés. Le président Bah N’Daw et son premier ministre Moctar Ouane ont été éjectés afin de permettre une plus grande liberté de gestion du pouvoir politique par les membres de l’ex-Conseil national pour le salut du peuple (CNSP), qui a renversé Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août 2020. Une situation qualifiée par le président Emmanuel Macron de « coup d’État dans le coup d’État ».

Face à cette prépondérance des militaires sur la scène politique et, surtout la rupture démocratique et constitutionnelle qu’occasionne à chaque fois cette immixtion, le président nigérien, Mohamed Bazoum, s’est finalement lâché en disant haut et fort ce que beaucoup murmurent tout bas. Ce qu’il a dit est tout vrai. Sauf que la vérité est amère et beaucoup de nos compatriotes, par un orgueil souverainiste, ne sont pas prêts à l’entendre. Sinon dans un État fonctionnant sur les valeurs et principes de la démocratie moderne, la gestion du pouvoir politique est chose civile et non militaire. Sur ce plan, formellement, le président Mohamed Bazoum a tout à fait raison de dénoncer un cycle chronique de coup d’État dans un pays comme le Mali, qui partage des frontières stratégiques avec ses voisins.

Mais si la forme lui donne raison, qu’en est-il du fond ? Le président Bazoum a-t-il oublié que les coups d’État sont dans la plupart des cas la suite logique de la gouvernance chaotique des hommes politiques ? Le président nigérien est-il dans une logique de rapprochement stratégique avec la France afin de faire de son pays un allié intournable comme l’était jusqu’ici le Tchad avant la mort du président Idriss Deby Itno dans la lutte contre le terrorisme ?

Un discours qui occulte le fond du problème

Il est tout aussi évident que, sur le fond, le président Mohamed Bazoum est passé à côté du problème de fond qu’est la mauvaise gouvernance. En réalité, il est en train de prendre la conséquence d’un problème pour sa cause. Avec une telle confusion, le diagnostic apparaitra toujours comme partiel, incomplet ou tout simplement erroné. Il est vrai que, par principe démocratique, il y a lieu de dénoncer les coups d’État en Afrique. Cependant, cette condamnation n’aurait aucun sens s’il n’est pas pour nous le moyen d’une introspection profonde sur notre modèle de gouvernance et notre pratique du pouvoir politique.

En réalité, les coups d’État en Afrique de manière générale sont les conséquences directes d’une mauvaise gouvernance chaotique et d’une pratique opaque du pouvoir politique au quotidien. En trente ans, le Mali a enregistré quatre coups d’État parce que les citoyens n’ont eu droit qu’à une démocratie de façade. Un modèle démocratique qui institutionnalise le président de la République en un véritable monarque qui, dans les faits, ne connait de limite à son pouvoir que sa propre volonté.

Un modèle démocratique qui a ouvert la voie à l’achat de conscience et au truquage des élections. Un modèle démocratique dans lequel les citoyens ne sont consultés que pendant des périodes électorales et où l’on vient au pouvoir non pas pour servir l’intérêt général mais pour se mettre plein la poche. Un modèle démocratique dans lequel l’argent du contribuable ne sert pas à construire des routes, des ponts, des universités et d’autres infrastructures importantes mais pour prendre en charge le financement des partis politiques et l’entretien des professionnels politiques qui ne vivent que de la politique. Un modèle démocratique où la sécurité n’est pas garantie, ni la justice, ni l’État de droit, encore moins la paix.

Voyez-vous qu’à partir de ce constat, les militaires ne sont pas les seuls à blâmer. La faillite des politiques et l’absence totale d’éthique, d’idéologie et de conviction dans le jeu démocratique des hommes politiques, en compétition pour la conquête et la conservation du pouvoir, est la cause étiologique des cycles de coups d’État au Mali, et de manière générale en Afrique. Le manque de vision et l’inexistence d’un projet de développement viable pour la société à travers l’élaboration d’une stratégie globale de lutte contre chômage, la délinquance financière, la corruption sont autant de raisons qui prouvent clairement la responsabilité de l’échec des hommes politiques dans le débat sur les coups d’État en Afrique.

Mais le président Bazoum a clairement et volontairement occulté le rôle et la responsabilité des hommes politiques dans cette situation critique. En cela, ses propos, même s’ils apparaissent véridiques, restent entachés néanmoins par leur caractère sélectifs et partiels. On peut en déduire qu’il n’avait aucunement pour dessein de faire une analyse objective et approfondie de la situation politique du Mali, mais plutôt de désapprouver le pouvoir militaire de Bamako afin de réconforter son hôte (la France) dans sa position critique envers les autorités maliennes de la transition. Cela augure probablement une volonté manifeste du président nigérien de faire de son pays la nouvelle vitrine de la lutte contre l’insécurité et le terrorisme dans le Sahel.

Le but était-il de faire plaisir à Emmanuel Macron ? Ou tout simplement cherche-t-il à redorer l’image de son pays à l’international ? Quoi qu’il en soit, le Mali et le Niger sont dans le même bateau. Et l’incertitude est la seule certitude en politique.

Ballan Diakité est chercheur en sciences politiques.

Source : Benbere

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