Avec plus de 17 groupes polico-militaires, en dehors même de la nébuleuse djihadiste, l’Etat a perdu depuis longtemps le monopole de la force légitime. Ces groupes, qui reconnaissent – sur le papier- l’unité nationale et l’intégrité territoriale (contrairement aux terroristes) aurait dû être immédiatement neutralisés ou au moins contraint à un désarmement immédiat. Il est aujourd’hui trop tard. Ces groupes se sont multipliés comme des métastases dans les régions nord et sud. Tandis que l’armée régulière malienne, avec un effectif de deux combattants pour mille habitants, n’est pas en mesure de faire autorités ni de désarmer ces groupes. C’est même le contraire. Les groupes imposent le tempo en gagnant suffisamment de temps pour poursuivre leurs lucratifs trafics d’êtres humains, d’armes et de drogues tout en proposant, au compte-goutte et pour créer l’illusion de la paix, des listes de combattants pour servir le processus de désarmement de réinsertion conformément à l’Accord pour la paix signé en 2015. Des combattants qui ne le sont d’ailleurs pas toujours. On retrouve dans ces listes de combattants des éleveurs ou agriculteurs ayant payé les groupes armés pour obtenir le statut de combattant qui leur permettra une insertion dans l’armée régulière ou dans un programme de réinsertion socio-économique. Les vrais combattants eux, continueront de rire sous cape.
Le processus de désarmement, démobilisation et réinsertions (DDR) a du plomb dans l’aile et sans doute encore pour longtemps. Dans ce contexte, le projet politique de l’actuel gouvernement visant à sécuriser les régions nord et centre par l’armée régulière comme condition au redéploiement de l’administration et des services de base est sans doute trop ambitieux par rapport à ses capacités réelles. Car, à la faiblesse des effectifs de l’armée s’ajoute des moyens financiers et humains passablement limités. La dépense publique malienne dans son budget 2018, avec 2 330 milliards de FCFA représente 129 444 FCFA (197 euros) par habitant et par an, avec 1 364 milliards de dépenses ordinaires (fonctionnement) et seulement 966 milliards de FCFA de dépenses en capital (investissement) qui ne représentent plus alors que 53 666 FCFA par habitant et par an, soit 81 euro. Quelles infrastructures ou services peut-on bien offrir aux populations avec de tels montants ?
La question qui découle de ces observations est simple : l’Etat malien a-t-il les moyens de sa politique et si non, quelle serait alors la politique de ses moyens ? La question est bien entendue dans la réponse. Par conséquent, ne conviendrait-il pas de réduire la distance manifeste entre les objectifs politiques et les capacités réelles à les atteindre ? N’est-il pas temps de réduire la voilure des ambitions toute théorique d’un Etat gendarme et providence, de sortir des modèles d’organisations institutionnelles d’ailleurs basés sur du copier/ coller de l’administration française et se consacrer à des solutions au niveau micro sans passer, au moins dans l’immédiat, par l’artillerie militaire ni l’injonction au redéploiement de l’administration ? L’Etat n’aurait-il pas une carte à jouer en revenant dans ces régions par la petite porte, pour se consacrer à des solutions au plus près des réalités locales et appuyer les dialogues inter-communautaires, animer les médiations, fournir des projets de cohésion-sociale à impact rapide et combattre ainsi les djihadistes sur le front de la démonstration pratique des idées et des actions concrètes ?
Car le cœur du problème, sa racine même, n’est que la difficulté croissante des populations à avoir accès aux ressources (au sens large c’est à dire financières, foncières, hydrauliques, etc.). L’absence d’opportunité et d’espoir de vie meilleure dans des zones de plus en plus peuplées et parallèlement sous contraintes d’une forte diminution des ressources agricoles et d’élevages due notamment au changement climatique, ne peut définitivement pas avoir pour réponse de l’Etat le déploiement de sa force armée. Cette réponse est hors sujet. Les vraies réponses se situent au niveau de la gestion des ressources naturelles et des opportunités économiques. Elles sont les seules de nature à réconcilier les populations et l’Etat et à permettre, à terme, le redéploiement des services de bases. Un processus de longue haleine qui implique bien évidemment, c’est consubstantiel, de mettre en œuvre la décentralisation.
En effet, malgré le manque de ressources, la décentralisation aurait l’avantage d’impliquer et par conséquent de mieux informer et rendre compte aux populations. Car, cela est bien connu, la légitimité de l’Etat ou plus généralement des administrations publiques ne se gagne qu’à condition qu’elle soit inclusive. Autrement dit, si le gouvernement et les autorités locales (et non les ONG qui effritent la légitimité de l’Etat) n’interrogent pas les populations sur leurs véritables besoins, inutile de faire des routes, hôpitaux ou écoles sans les impliquer dans les choix et contrôle des projets mis en œuvre. Cela est tout à fait logique, les populations ont besoin de trouver les solutions et moyens (même limités) à leurs problèmes.
A défaut, la nature ayant horreur du vide, les groupes politico-armés laïques ou djihadistes continueront de se substituer à l’Etat absent en contribuant à la résolution des conflits inter-communautaires ou en apportant un semblant de réponse au déficit de services publics. Se faisant, ils conquièrent le coeur des populations (dont ils font généralement peu ou prou partie) et alimentent, autant qu’ils le souhaitent, les velléités sécessionnistes.
Source: mediapart