L’expert indépendant des Nations unies pour les droits de l’homme au Mali a fait, ce mardi 22 février 2022, le bilan de sa visite dans le pays. Entre le 7 et le 18 février, le Sénégalais Alioune Tine s’est rendu à Mopti et à Tombouctou, il a rencontré les autorités de transition, mais aussi des acteurs politiques et de la société civile. Ses conclusions oscillent entre un enthousiasme encourageant et des constats alarmants.
Alioune Tine a commencé par se réjouir d’une baisse de 27% des atteintes aux droits humains au dernier trimestre, qui sont passés de 594 à 433 cas recensés. On parle là des violences attribuables à tous les acteurs, groupes terroristes jihadistes inclus. Ce qui se traduit par une diminution de 13% du nombre de déplacés internes, passés de 400 000 à 350 000 environ entre septembre et décembre derniers.
C’était avant les derniers combats et déplacements signalés depuis le début de l’année à Niono, dans le centre, ou plus récemment à Tessit, dans le Nord. « Les autorités actuelles veulent des résultats, ils veulent se bâtir une légitimité, et on sent une sur-motivation », note Alioune Tine avec enthousiasme.
Davantage d’écoles fermées, même dans le Sud
L’expert onusien constate cependant que la situation sécuritaire, en dépit de certains succès militaires, reste alarmante. Comme en témoigne le nombre d’écoles fermées qui augmente : plus de 1 300 en janvier 2021, plus de 1 600 douze mois plus tard, non seulement dans le centre et le Nord, mais également, et c’est une source d’inquiétude nouvelle, dans le Sud : régions de Sikasso et Koulikouro.
Avec une augmentation directe des violences faites aux femmes, comme les mariages précoces, et un phénomène d’exode des filles. Alioune Tine appelle donc les autorités de transition à accompagner leur action militaire d’un retour des services de l’État.
Enquêter effectivement sur les allégations d’exactions
Sur les allégations d’exactions formulées contre les Fama, les soldats maliens, ou contre les groupes d’auto-défense impliqués dans des conflits intercommunautaires : l’expert onusien appelle les autorités de transition à ne pas se limiter à annoncer que des enquêtes sont ouvertes, mais à mener effectivement ces enquêtes et à poursuivre en justice les personnes impliquées. Selon, l’ONG Acled (Armed Conflict Location & Event Data, spécialisée dans la collecte de données en terrain de conflit) une cinquantaine de civils auraient été tués par les Fama entre décembre et janvier dernier.
Quant à l’implication de combattants russes, mercenaires de Wagner ou formateurs de l’armée russe, dans ces allégations d’exactions, l’expert onusien explique sobrement qu’il s’en tient « pour le moment » à « la thèse » des autorités sur « une coopération d’État à État », qu’il n’a pas, personnellement, rencontré de combattant russes lors de son séjour et que les allégations rapportées dans plusieurs cas ont été transmises aux autorités.
Restriction de l’espace civique
Autre sujet de « profonde préoccupation » : la « restriction de l’espace civique » et de la liberté d’expression. Alioune Tine relève « de plus en plus de difficultés à exprimer une opinion dissidente sans courir le risque d’être emprisonné ou lynché sur les réseaux sociaux », un « climat délétère » qui conduit à « la peur » et à « l’auto-censure » d’acteurs politiques, de journalistes ou de membres de la société civile, notamment pour la défense des droits humains.
L’expert onusien appelle donc les autorités de transition à prendre des mesures pour éviter les violences et empêcher les appels à la violence, y compris de la part de personnalités directement liées à ces autorités. Une référence aux propos récents de Ben le Cerveau, membre du CNT et soutien indéfectible du président Assimi Goïta, promettant des « brigades populaires » contre les opposants politiques.
La Justice n’est pas un instrument politique
Alioune Tine exhorte les autorités à permettre l’évacuation sanitaire de Soumeylou Boubeye Maïga, conformément aux recommandations médicales liées à la dégradation fulgurante de son état de santé. Plus globalement, Alioune Tine se réjouit de l’ouverture de procédures judiciaires anticorruption, comme celle qui vise l’ancien Premier ministre, des procédures qu’il juge « légitimes », mais il demande « le respect des droits » des personnes soupçonnées, la tenue de « procès équitables », et exhorte les autorités à « ne pas utiliser la justice comme un instrument pour écarter des adversaires politiques ».
Enfin, Alioune Tine déplore la « forte bipolarisation géopolitique qui a poussé au départ de Barkhane et Takuba ». Un « basculement » néfaste selon l’expert onusien qui plaide pour davantage d’« unité », appelle à la poursuite du dialogue entre les autorités maliennes, la Cédéao et toute la communauté internationale, non seulement pour fixer un « délai raisonnable » pour la fin de la transition, mais également « pour éviter tout ce qui pourrait conduire à l’isolement » du Mali.
Source: RFI