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Mali : Lenali, ce réseau social pas comme les autres qui fait la différence

Invention de Mamadou Gouro Sidibé, informaticien malien de haut niveau, Lenali est un réseau social vocal en langues locales. Révolutionnaire.

Lenali est né de l’interrogation simple que s’est faite Mamadou Gouro Sidibé, docteur en informatique, un jour à Bamako. « Le propriétaire d’une boutique où j’avais mes habitudes me demande de lui lire un message en français. Je pensais qu’il savait lire, même si je n’ignore pas le problème d’alphabétisation au Mali. » Un réseau social accessible en langues locales et aux personnes analphabètes est né de ce constat. « On était en train de courir après les géants mondiaux qui utilisent des langues internationales, mais tout le monde ne les lit pas. » Mamadou Gouro Sidibé crée alors une application qui propose des guides vocaux en langues locales pour installer l’application. « Ces guides ont d’abord été proposées dans les trois langues principales du Mali : bambara, soninké, songhaï. Puis en wolof du Sénégal, moré du Burkina et français. Les problèmes du Mali sont les mêmes que ceux de la sous-région, donc le modèle est transposable. »

L’interface de cette application, primo-modèle de celle de Lenali, est très simple. Une fois la langue choisie, une voix féminine explique le mode d’emploi de l’application. « Ce sont des amis qui nous ont prêté leur voix et lisent les instructions. Il est encore difficile d’utiliser l’intelligence artificielle pour les langues locales africaines car une même langue peut disposer de plusieurs dialectes. » La première étape vers Lenali est amorcée.

Mamadou Gouro Sidibé est donc aujourd’hui un homme heureux. Concentré aussi. Car Lenali est l’œuvre de sa vie. Ce docteur en informatique, après la recherche dans un laboratoire versaillais du CNRS, aurait pu continuer sa route paisible et prévisible dans de grands projets européens de recherche et développement. Mais cet inventeur et entrepreneur né a voulu allier innovation, pratique concrète et d’utilité sociale. Lenali est né de ce désir – faut-il dire vision ? –, tant Mamadou Sidibé met de la chaleur à décrire ce réseau social génération 3.0.

Le cheminement vers le paradigme de la « femme de ménage »

Au Mali, en 2018, sur 18 millions d’habitants, la possibilité d’être connecté concerne plus de 50 % de la population, mais seulement 9 % de la population est active sur Facebook, par exemple. S’en suit un raisonnement simple pour l’informaticien : « Il est toujours possible d’élargir la couverture internet, donc la possibilité d’accès pour la population. Les portables, en outre, sont de moins en moins chers. La raison à cette faible fréquentation n’est donc pas technique ou pécuniaire. Ce sont les réalités socio-économiques et culturelles qui restent difficiles à combler : 39 % de la population sait lire et écrire, 48 % pour les hommes et 29 % pour les femmes. Il existe une nette corrélation entre l’utilisation d’Internet et l’alphabétisation. Autre point, au Mali, on parle une multitude de langues. De plus, l’oralité y est une culture aussi. Aucun Malien ne maîtrise toutes les langues du pays. Tout cela combiné se résout dans le totalement vocal. »

À Bamako, il décide de tester ses idées auprès d’une jeune femme, Ada, qui vient nettoyer les bureaux de Lenali. « Ada ne sait ni lire ni écrire. Je lui ai demandé d’ouvrir un profil sur Lenali. Il fallait intégrer nom et prénom, mais elle n’a pu le faire. J’ai donc intégré un enregistreur vocal qui lui a permis d’enregistrer simplement sa voix. La seule chose à faire est d’enregistrer son numéro de téléphone, une seule fois. L’utilisation est instinctive, à base de messages vocaux. » Pour le reste, l’interface de Lenali ressemble à un réseau social classique, à coup de posts, likes, commentaires (vocaux eux aussi), tout cela en français ou langues locales.

Autre constat simple : le profil des réseaux sociaux est un outil de communication en soi. « Pourquoi ne pas l’utiliser pour dire, par exemple, que je suis plombier et j’offre mes services ? Toute personne qui est sur Lenali, et c’est cela la différence avec les autres réseaux sociaux, peut intégrer des messages vocaux », explique Mamadou Sidibé. Il a été possible pour Ada de passer des petites annonces, offrant ses services. « Dans un pays où plus de la moitié du travail est peu qualifié, cela peut servir de CV local et vocal. »

La fibre féministe de Lenali

Ada sera utile pour développer d’autres idées. « Quand Lenali est sorti, je lui ai demandé si elle achèterait un smartphone. Sa réponse fut négative. Je lui en ai offert un. Mais elle ne pensait utiliser Internet que gratuit et refusait, disait-elle de perdre son temps avec les bêtises des autres sur les réseaux sociaux. Ada vend aussi des fruits et légumes en étal. Je lui ai expliqué qu’elle pourrait, par Lenali, avec des photos de ses produits et des annonces vocales, offrir de livrer des fruits et légumes à des clients. Avec la possibilité de multiplier son chiffre d’affaires par trois. » Dès lors, Ada accepte l’idée d’acheter un portable (40 euros soit un mois de salaire pour elle) et des forfaits internet si cela peut lui permettre de mieux gagner sa vie.

Sur son profil, Ada apparaît devant son étal. Elle a enregistré un message précisant qu’elle n’a jamais été scolarisée et qu’il faut lui parler bambara. Ada propose ses services de femmes de ménage et sa marchandise à vendre. Son annonce sera vue par 15 000 personnes, 243 likes et 42 commentaires, où pêle-mêle, les utilisateurs demandent des précisions sur ses horaires et tarifs. Le pari est gagné, symboliquement, pour Lenali.

Quoi faire pour que l’Internet devienne aussi un outil pour les femmes et combler ainsi l’inégalité structurelle liée à l’alphabétisation faible ? « L’Internet vocal n’exclut pas l’écrit, mais y amène », devient le credo de Mamadou Sidibé.

Très vite, il décèle l’utilité sociale que peut constituer le réseau tout juste créé. Là encore, Ada lui permettra de mesurer cette utilité potentielle : « Je lui avait proposé de financer ses cours d’alphabétisation mais elle n’en voyait pas l’utilité concrète. La vraie question au Mali et ailleurs est de comprendre pourquoi malgré énormes efforts des acteurs de l’alphabétisation, les gens ne suivent pas les campagnes d’alphabétisation. Tout simplement car ils n’y voient pas de débouchés matériels. J’y suis sensible car je me dis que si les femmes travaillent et sont alphabétisées, la société s’en portera mieux. » L’application Lenafemme offre ainsi la possibilité de cours d’alphabétisation en ligne et en langues locales. Des photos de lettresdéfilent et une voix explique la différence entre « lettres majuscules » et « lettres minuscules » : « En rouge c’est A, en bleu c’est B, en jaune c’est C… » La plateforme offre aussi des cours de santé et de planning familial.

Mamadou Gouro Sidibé admet la part affective de son action : « Je veux faire quelque chose pour une certaine population. Que Lenali soit considéré comme un Facebook africain ne me fera pas gagner mon pari. Je l’aurais gagné quand j’aurais montré à une certaine jeunesse qu’une autre voie est possible que l’émigration. Le numérique est l’avenir et est porteur d’énormes bénéfices et de possibilités de créer des emplois. Pas besoin de créer des avions, il suffit d’avoir un ordinateur. Il s’agit d’apporter aux populations locales des solutions locales. »

Des applications multiples

Les utilisations de Lenali sont exponentielles. Ainsi, Mamadou Gouro Sidibé a inventé l’appel navigation GPS, idée née du constat que, au Mali, les rues sont très mal indiquées. Si, par exemple, la désormais célèbre Ada veut préciser à un acheteur où se trouve son étal, elle n’a plus qu’à déclencher l’appel navigation GPS. L’acheteur potentiel est alors mené vers Ada. Cette idée peut évidemment servir pour des appels au secours, en cas d’accident ou violences conjugales mais également pour fixer des rendez-vous pour diverses professions.

Autre utilisation, le développement du commerce électronique. « Le principal frein au décollage de ce commerce est la non-compréhension de l’outil numérique et l’inadaptabilité de ce même outil. Un portable est tout à la fois un ordinateur, un téléphone, une carte bancaire. Mais cela est compliqué pour un pays avec plusieurs langues et une population peu alphabétisée. » Lenamarket a alors été pensé comme une véritable boutique virtuelle, personnalisable à chaque utilisateur. Des solutions ont été pensées pour vocaliser tous les outils de bancarisation.

Lenali constitue ainsi une porte d’entrée unique vers tout Internet. Slack, Facebook, Messenger, navigation GPS, appel vidéo et audio, vidéo sur le mode YouTube, tout cela concentré sur une seule interface. « On a réinventé l’Internet ; nous aurons toujours de l’avance sur les grandes sociétés d’informatique qui travaillent en laboratoire, déconnectées des réalités. Je passe beaucoup de mon temps à parler avec les gens, je note leurs difficultés face à l’instrument numérique. Je crois en l’innovation. Les grands d’Internet couvrent tout le monde de façon générale, moi je couvre les questions locales. J’ai un boulevard devant moi. »

Lenali recréé aussi la place du village. Il peut devenir un outil de podcast, avec la publication d’articles de presse, de vidéos, avec “débat du jour”, commentaires audio en langue locale. « Des modérateurs surveillent les posts, mais chacun peut signaler des posts vocaux ou vidéos gênants. »

Chaque utilisateur peut aussi créer sa plateforme ou rubrique personnelle, la personne disposera alors de toutes les applications développées par la société de Mamadou Sidibé. Et évidemment, sur Lenali emploi, chacun peut créer sa page avec son offre spécifique.

Lenali compte déjà plus de 45 000 utilisateurs, 30 % au Mali, 15 % en France, 10 % en Italie. « La diaspora représente deux tiers des utilisateurs, le reste est au Mali. La langue la plus utilisée est le bambara. C’est aussi une façon aussi d’unifier le Mali, car nous ne voulons pas enfermer les gens dans les langues locales. Il est possible de s’élargir vers d’autres langues, communautés. »

Si, pour le moment, Lenali a été créé sur fonds propres, le modèle économique est tout entier dans l’accroche du site : « Communicate freely », ou “Communiquez librement mais aussi gratuitement”. « Comme pour les autres réseaux sociaux, la pub et la récolte de données permettront d’engranger des revenus. Si un investisseur veut s’implanter dans telle région, on pourra l’aider à comprendre le marché local grâce aux datas disponibles. Il nous est possible aussi de créer des applications vocales et sociales pour des demandes spécifiques. » Déjà, une équipe de dix-huit personnes, dont treize femmes, œuvrent au développement du site autour d’un homme décidément pas comme les autres : Mamadou Sidibé.

Un parcours prédestiné ?

Il faut dire que Mamadou Gouro Sidibé a toujours voulu comprendre. Petit, à Bamako, entouré d’une mère au foyer et d’un père vétérinaire, il mettait ses grands frères en rage en démontant systématiquement les objets électriques neufs : « Je faisais sans le savoir du reversing engineering. Au lycée technique, j’ai refait sans le savoir l’expérience de Hertz, qui avait démontré l’existence des ondes magnétiques. J’ignorais encore les théories mathématiques, mais je tâtonnais », détaille-t-il.

Après l’obtention d’une bourse, le voici en Russie. Saint-Pétersbourg, septembre 1991, l’URSS est alors en pleine déréliction. « J’y suis resté dix ans et ai vécu cette période de transition. Ce fut comme une formation militaire accélérée, car tout y était difficile. » Parfaitement russophone, Mamadou Gouro Sidibé y rencontre son épouse, Elena, infirmière, à qui il a dédié le nom de son réseau social, “Lena”, diminutif d’Elena, et “Li” pour évoquer le Mali avec les deux dernières lettres du nom de son pays.

En 2001, le couple vient en France et l’ingénieux Malien passe un doctorat en informatique. « Mon directeur de thèse travaillait sur des projets européens et j’ai intégré ses recherches. » Un chemin tracé sur lequel Mamadou Sidibé s’ennuie vite. « J’aimais la recherche mais je voulais appliquer les théories. »

Un chemin de défis à relever

En France, Mamadou Gouro Sidibé note que les frais de téléphone avec sa famille malienne sont très élevés. « Skype existait mais a un inconvénient, il faut intégrer un e-mail. Or cela peut être compliqué pour les populations maliennes, surtout âgées. J’avais créé en 2010 un système de communication avec l’utilisation du numéro de téléphone en guise d’identifiant. Je l’ai installé chez les membres de ma famille. On a pensé le développer de façon commerciale. Mais il fallait disposer d’un numéro fixe et d’une connexion. Or, l’Internet au Mali était très cher. Puis le fixe était passé de mode. J’ai donc pensé créer une application, avec toujours ce numéro de téléphone comme identifiant. J’ai expliqué cette idée à des amis qui m’ont dit que je ne gagnerai pas d’argent ou que c’était du Skype en moins bien. »

L’informaticien, découragé, renonce. Six mois plus tard sort Viber, l’application qui permet de téléphoner gratuitement. Exactement la même idée qu’il avait eue. À chaque idée qu’il aura par la suite, un Viber malien adapté à un pays où l’Internet est peu puissant et aléatoire, puis un réseau social avec une messagerie intégrée, Mamadou Sidibé est pris de vitesse par les mastodontes mondiaux. « À chaque fois, c’était 30 000 euros sur fonds propres. J’ai eu la tentation de tout abandonner. » Heureusement, l’idée de Lenali est venue. Réseau social vocal et en langues locales, il a permis à Mamadou Gouro Sidibé d’apporter à ses recherches une dimension d’inclusivité qui a fait la différence.

 

Source: lepoint

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