Alors que l’armée a annoncé, mardi, la destitution du chef de l’Etat et du premier ministre de transition, les maliens s’interrogent sur l’avenir de leur pays. Il y a neuf mois, à ce même endroit de cette ruelle caillouteuse de Badalabougou, un quartier de la classe moyenne de Bamako, la capitale, où se trouve son “grain”, ce traditionnel lieu de rendez-vous où les maliens de même génération aiment se retrouver les après-midis pour discuter de tout et de rien, Cheik Togo se disait indifférent au coup d’état militaire qui venait alors de renverser le président Ibrahim Boubacar Keïta dit IBK pourtant réélu démocratiquement deux ans auparavant. Mardi 25 mai, alors qu’un nouveau putsch vient d’être annoncé par la télévision nationale, le jeune homme affirme encore être insensible à cette nouvelle secousse politique qui frappe le Mali. “Tous les hommes du pouvoir maliens sont pareils. Qu’ils soient civils ou militaires. Ce sont tous des caïmans. Ils nagent et mangent dans le même marigot”, philosophie cet employé de cette petite auberge située juste à côté qui se dit intéressé uniquement par les ‘condiments’, en allusion à sa nourriture quotidienne,’ le seul vrai souci’, selon lui, de la majorité des 18 millions environ de maliens. Dans cette ancienne colonie française grande comme deux fois et demi la France, cette nouvelle crise au sommet du pouvoir est pourtant, selon le jeune homme,,” tout sauf un pas de plus” vers la normalisation de la vie politique dans ce pays profondément meurtri par une très violente insurrection jihadiste qui dure depuis neuf ans et qui réduit drastiquement la portion de territoire encore soumise à l’autorité de l’Etat ou ce qui lui ressemble. Selon un communiqué signé par le colonel-major Assimi Goita, chef de la junte qui a renversé IBK en août et vice-président dans l’architecture du pouvoir mise en place dans la foulée pour conduire le pays vers un retour à “un ordre constitutionnel normal”, l’armée a destitué le président Bah Ndaw et le premier ministre Moctar Ouane. Dans sa déclaration lue par un officier en uniforme dans la matinée à la télévision nationale dont les programmes étaient suspendus depuis plusieurs jours en raison d’une grève qui paralyse la majorité des services publics, le colonel putschiste, qui assume désormais la fonction de chef de l’Etat, accuse les deux hommes d’une ‘intention avérée de sabotage” et de “violation de la charte de transition”, un texte qu’il a largement inspiré et qui, selon son communiqué, lui donne, à titre de vice-président, un droit de regard sur la composition du gouvernement, notamment au niveau des fonctions de ministres en charge des questions de défense et de sécurité. C’est un différend principalement sur ces deux postes qui est à l’origine de ce nouveau putsch. Le premier ministre qui avait été reconduit une dizaine de jours plus tôt après la démission de sa première équipe gouvernementale a rendu public, lundi, un nouveau cabinet dont sont exclus deux colonels qui occupaient jusque-là le ministère de la défense et des anciens combattants et celui de la sécurité et de l’administration territoriale: Sadio Camara et Modibo Koné, deux proches du colonel-major Assimi Goita qui tenait absolument à les maintenir en place. Conduits au camp militaire de Kati, près de Bamako et épicentre traditionnel des coups d’état au Mali, le président, le premier ministre et certains de leurs collaborateurs s’y trouvaient toujours mardi en fin de journée. “La situation était tendue depuis quelque temps. Les divergences sur la composition d’un nouveau gouvernement étaient profondes au point qu’une partie des militaires souhaitaient le départ pure simple du premier ministre Moctar Ouane. Le renvoi des deux officiers titulaires des portefeuilles de la défense et la sécurité publique dans le nouveau cabinet annoncé par le premier ministre lundi a précipité la rupture”, explique le jeune chercheur Bokar Sangaré, un des analystes les plus brillants du pays. Selon lui, les militaires ont voulu coûte que coûte remporter la partie, quitte à jouer sur des registres secondaires comme le climat social. “En décembre déjà, une première grève lancée à l’appel de la principale centrale syndicale du pays, l’Union nationale des travailleurs du Mali, UNTM, avait été déclenchée, rappelle le chercheur. Un accord avec le gouvernement avait été signé. Mais sa mise en œuvre a connu des retards qui ont conduit à une nouvelle grève décrétée à la mi-mai, finalement suspendue mardi soir dans la foulée de l’éviction du président et du premier ministre de transition. Dans sa déclaration lue mardi matin à la télévision, le colonel Assimi Goïta a d’ailleurs fait référence à cette situation, même si elle n’a pas forcément été déterminante dans sa décision de destituer les deux hommes.” “C’est dommage que l’on en arrive à cette situation. Le pays risque de connaître des lendemains difficiles.. C’est un grand coup de frein à la transition. Le Mali court le danger de connaître davantage de divisions alors qu’il fait encore face à une menace jihadiste toujours inquiétante. regrette son confrère Mohamed Maiga. Cet enseignant-chercheur en sciences sociales et directeur du cabinet Aliber Conseil ne croit guère à la promesse du colonel-major de respecter le calendrier électoral censé conduire le pays vers l’élection d’un nouveau parlement et la désignation d’un futur président au plus tard courant 2022.