Des femmes continuent de mourir de causes liées à la grossesse. La mortalité maternelle est un drame.
Cet article a d’abord été publié par le journal Mali Tribune.
Selon l’enquête démographique et de santé (EDS), réalisée en 2018, plus 325 femmes perdent la vie sur 100 000 accouchements. Lors de la célébration de la journée internationale de la Confédération internationale des sages-femmes (ICM), ces dernières ont pris le ferme engagement à atteindre les objectifs du développement durable, parmi lesquels la réduction du ratio de mortalité maternelle mondiale d’ici 2030. Elles se sont engagées aussi à plaider en faveur d’investissements dans les soins de pratique de qualité partout dans le monde pour améliorer la santé sexuelle, reproductive, maternelle, néonatale, infantile et adolescente.
« Dans notre pays, explique un gynécologue qui a voulu rester anonyme, il y a ce qu’on appelle la politique norme et procédure dans laquelle le suivi des femmes enceintes est standardisé. Les CPN [consultations prénatales] permettent de détecter les grossesses pathologiques, prévenir les complications ou leur prise en charge pendant la grossesse, l’accouchement ou dans le postpartum. Les sages-femmes, infirmières ou même matrones peuvent faire des CPN. »
Il ajoute que dans les normes, le cas des grossesses à risque est déterminé par un gynécologue. Bien que certaines femmes n’ayant pas de facteur de risque puissent développer des complications pendant l’accouchement. « En cette période de Covid-19, il faut reconnaître que beaucoup de femmes enceintes ne se faisaient plus suivre par peur d’aller à l’hôpital et de choper le virus. Ce comportement a été la cause du décès de bon nombre d’entre elles, car elles ont contracté des pathologies ou encore des difficultés liées durant leur grossesse », a souligné le gynécologue.
Les décès après accouchement surviennent, en général, en cas d’hémorragie dont la prise en charge dépend en premier lieu d’un personnel qualifié : dépister les femmes à risque depuis les CPN, bien surveiller le travail et le postpartum pour dépister très tôt une hémorragie, une douleur et la prise en charge.
Envisager ou décider en avance qui pourra donner du sang
Le retard dans la prise en charge est souvent lié au plateau technique. Par exemple, ` n’est pas prise en charge dans un CSCOM où il n’existe pas de bloc opératoire. Ce qui nécessite une évacuation dans un Centre de santé de référence, et que retarde parfois la prise en charge, poursuit le gynécologue.
Selon une sage-femme, il est conseillé aux femmes enceintes au minimum 4 consultations prénatales durant la grossesse et une dernière dans la dernière semaine pour les pronostics de l’accouchement, notamment pour celles vivant dans les zones difficiles d’accès. En ce qui concerne les femmes vivant dans les centres-villes et même dans les régions, il est impératif de faire une consultation chaque mois parce toutes les conditions sont réunies. « Dans la majorité des cas de décès, dit-elle, plus de 80% survenus dans l’immédiat ou au plus tard 40 jours après l’accouchement sont
liés au fait que les femmes enceintes ne font pas le suivi ou encore ont accouché à la maison. C’est important de faire le suivi et d’accoucher dans un milieu hospitalier. Même dans les CSCOM, on fait la prévention, l’antibiothérapie pour prévenir les infections postpartum et le complément des nutriments que l’on administre aux femmes. »
Elle insiste sur la nécessite de demander dans une consultation prénatale avancée, à la femme la personne qui doit l’accompagner lors de l’accouchement, d’envisager ou de décider en avance celle qui pourra donner du sang en cas de complications (hémorragie) pendant ou après l’accouchement.
Facteur déclencheur de l’hémorragie
Les deux membres du corps médical se rejoignent et se complètent sur les causes de l’hémorragie suite aux couches. Pour la sage-femme, l’hémorragie immédiate postpartum, qui intervient généralement dans les 6 heures premières, est due au placenta qui reste dans l’utérus. Ces hémorragies ont beaucoup de causes, selon le gynécologue, qui sont notamment l’atonie utérine, des lésions génitales. Toutes ces complications doivent être détectées très tôt par un agent qualifié pour sauver la vie de ces femmes.
Éric K. a perdu sa femme huit heures après son accouchement. Pourtant, la grossesse s’est bien passée. Elle a accouché en sept minutes. Puis, ensemble, ils ont fait des photos avec le bébé. « Comme je devais m’occuper de notre premier garçon, raconte Éric, c’est elle-même qui m’a demandé de rentrer et que tout allait bien. A peine rentré, vers 1h du matin, elle m’a envoyé un message me demandant de venir le plus tôt possible, et qu’elle avait des douleurs atroces au ventre. A mon arrivée, je vois à quel point elle saignait et pleurait de douleurs. J’ai demandé au médecin de faire quelque chose pour calmer la douleur. Il lui a fait une injection de morphine et lui ont branché des appareils. J’étais là dans l’incapacité de faire quoi que ce soit pour mon amour. ».
Revoir le plateau médical
Éric estime que c’est parce que sa femme a perdu énormément de sang et qu’il était difficile d’avoir du sang dans la nuit. Cet événement a été un choc pour lui et a bouleversé sa vie. Il a une demande aux autorités : revoir le plateau médical de notre pays pour que plus aucune femme ne meure en donnant la vie.
Kadidia S., elle, confie avoir frôlé la mort. Après neuf mois de grossesse, bien suivie, elle a pu accoucher au bout de trois jours dans un hôpital public pour découvrir que l’enfant est mort-né. Elle a perdu énormément de sang et est restée inconsciente plusieurs semaines. « C’est vraiment la grâce divine qui m’a sauvée. J’ai failli mourir par négligence des médecins. », a dénoncé Kadidia S..
Après le décès de la journaliste Togola Awa Semega, la toile malienne s’est enflammée avec les dénonciations de femmes enceintes, victimes échappées par la grâce de Dieu. Les témoignages étaient nombreux et allaient dans tous les sens : des femmes ont été abusées par des gynécologues, certaines ont parlé de leur mercantilisme. Pour d’autres, c’est le manque de respect, de considération, d’incompétence ou encore d’équipement.
Les témoignages étaient poignants et méritent d’être pris en compte à la fois par le gouvernement, les gynécologues et l’ordre des médecins. Le constat est sans appel : le système sanitaire du Mali est malade. Et il est malade de ses animateurs, du manque de rigueur, du manque de sanction, de la volonté de certains de se faire plus d’argent.
Source : Benbere