Aminata Traoré et Martine Aubry à l’Université d’été du PS à La Rochelle en 2010 (BISSON/JDD/SIPA)
La France a-t-elle refusé un visa à l’ancienne ministre malienne Aminata Traoré, qui critique vivement la politique française vis-à-vis de son pays ? L’affaire fait grand bruit dans une partie de l’opinion, choquée que la France refuse d’entendre une des voix plurielles de ce pays tout en affirmant l’avoir sauvé.
L’affaire est toutefois plus complexe qu’un simple refus de visa. Vincent Floréani, porte parole adjoint du Quai d’Orsay, déclare à Rue89 :
« Mme Traoré n’a déposé aucune demande de visa à l’ambassade de France. Il n’y a pas d’opposition politique à sa venue en France ».
Contactée par Rue89, Aminata Traoré en convient : ce n’est pas à la France qu’elle avait demandé un visa, mais à l’Allemagne, pour répondre à une invitation de la Fondation Rosa Luxembourg, liée au parti de gauche Die Linke. Elle devait ensuite venir à Paris pour participer à une réunion publique, coïncidant avec le débat parlementaire sur le prolongement de l’opération Serval.
Pas de visa Schengen
C’est là que s’est produit le problème. Au lieu d’avoir un visa Schengen, lui permettant de circuler ailleurs en Europe, elle s’est vue délivrer un visa exclusif pour l’Allemagne, avec obligation de se présenter à l’ambassade allemande à Bamako dès son retour pour prouver qu’elle avait respecté l’interdit. Une mesure qui l’a obligée à modifier son itinéraire via Istanbul au lieu d’Amsterdam comme prévu.
Aminata Traoré a été informée officieusement que c’est la France qui a mis son véto, comme elle en a le droit, à l’extension Schengen de ce visa pour l’Allemagne. Au Quai d’Orsay, on déclare ne pas être au courant…
Alors initiative locale d’une ambassade trop zélée, ou décision politique du gouvernement français ne souhaitant pas avoir cette voix dissonante à Paris au moment du débat parlementaire ?
L’ancienne ministre malienne, agée de 66 ans et qui a fait ses études à Caen, est d’autant plus surprise, déçue, et même, nous a-t-elle dit, « humiliée » (un mot qui évoque l’un de ses livres, « L’Afrique humiliée ») par cet interdit, qu’elle était hier encore invitée et fêtée par le PS.
Martine Aubry, alors premier Secrétaire, l’avait invitée à l’université d’été de La Rochelle en 2010, où elle avait cotoyé Laurent Fabius, aujourd’hui ministre des Affaires étrangères et donc responsable de l’administration consulaire… Et elle se souvient d’avoir hébergé chez elle Danielle Mitterrand lors d’un Forum social mondial à Bamako.
Voix dissonante
L’affaire n’est pas anodine. Jeudi, François Hollande a démarré sa conférence de presse par une référence au Mali, et il se trouvait la veille à Bruxelles pour une réunion internationale qui a généré 3 milliards d’euros d’aide au Mali.
Or Aminata Traoré, altermondialiste engagée, personnalité de la société civile malienne qui n’a pas peur des polémiques et des combats politiques, s’insurge contre la manière dont la France dicte les termes du processus politique au Mali.
Sans nécessairement être d’accord avec elle, il faut écouter ce qu’elle a à dire sur la manière dont Paris, comme s’en est encore félicité jeudi François Hollande, bâtit une démocratie de façade à Bamako, dont le point d’orgue sera l’élection présidentielle de juillet.
Aminata Traoré s’insurge contre ce scrutin qui, selon elle, ne résoudra rien :
« Nous avons eu pendant plus de deux décennies le titre de démocratie exemplaire. Nous étions les bons élèves de la démocratie et du FMI, les bons élèves d’un libéralisme dont nous n’avions pas les moyens…
Le Mali a engrangé un maximum de soutiens financiers entre 1992 et 2002, mais qu’ont-ils fait de cet argent ? Il est allé à des projets qui n’ont créé ni richesses ni emplois.
La démocratie libérale telle qu’elle est définie par l’Occident, nous n’en voulons plus. Nous préférons nous poser la question de savoir comment démocratiser autrement, donner un vrai contrôle aux citoyens. »
« Pour élire qui ? »
Aminata Traoré, qui a été ministre de la Culture de 1997 à 2000 avant de démissionner pour récupérer sa liberté de parole, met en cause la décision d’organiser les élections en juillet, en pleine saison des pluies, en plein mois de ramadan, avant même le retour des réfugiés.
« Et pour élire qui ? » s’interroge Aminata Traoré qui dénonce la classe politique malienne dont elle estime qu’elle n’est pas crédible aux yeux de la population.
La pasionaria malienne pense que la France a surtout besoin, pour son opinion publique, de « faire coincider le temps politique avec le temps militaire, afin de compléter ce qui est considéré comme un succès militaire ». Elle a manqué de s’étrangler en entendant François Hollande dire qu’il serait « intraitable » sur le respect du calendrier électoral.
Et elle dénonce la « volte face » de tous ceux qui étaient contre cette date de scrutin, dès lors qu’il y a eu de l’argent sur la table.
« On va voter pour 3 milliards d’euros ! Etonnant comment l’Occident parvient à obtenir ce qu’il veut en mettant de l’argent dans la balance. Nous allons vendre notre âme au diable »…
On peut comprendre que le gouvernement français n’apprécie pas ce discours, et soit même en désaccord ouvert sur la conception de la démocratie de cette altermondialiste malienne.
Mais la France peut difficilement prétendre avoir sauvé le Mali du fondamentalisme et de l’obscurantisme, et dans la foulée refuser son territoire à l’une des voix de la société malienne, même dérangeante et accusatrice.
rue89.com/2013/05/17/