Les assassinats des deux journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, par un groupe encore non-identifié près de Kidal, dans le nord du Mali, a révélé une fois de plus que la menace terroriste n’a pas disparu et que les combattants n’ont pas déserté le pays – à supposer que certains pensaient le contraire. En guise de symptôme, les attaques et les accrochages se sont multipliés depuis début octobre contre les forces maliennes et onusiennes. Certaines incursions, comme celle qui a tué deux soldats tchadiens à Tessalit au nord de Kidal, ont été revendiquées par des groupes djihadistes liés à Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi).
Les enlèvements et les exécutions des deux Français, n’ont pour l’heure pas été revendiqués, ce qui est très rare. Selon plusieurs experts, le modus operandi, en pleine journée, est surprenant, tout comme l’issue de l’attaque, quand on sait que les otages enlevés n’ont de valeur que vivants… Reste que Kidal, fief des insurgés touaregs, a été un temps aux mains des islamistes djihadistes, qui ont activement participé à la déstabilisation du pays en janvier 2012. C’est tout naturellement que les soupçons se tournent vers ces derniers. Le ministre des Affaires étrangères français, Laurent Fabius, a assuré que les assassins sont les groupes terroristes “que nous combattons”. Le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), de son côté, pointe également les groupes affiliés à Aqmi.
Aqmi, Ansar Dine, al-Mourabitoun…
L’opération Serval avait pourtant donné un coup d’arrêt à leur volonté d’expansion, détruisant une bonne partie de leur arsenal et faisant fuir les survivants vers le nord du Niger, dans le sud libyen et au sud de l’Algérie, quand ils ne se sont pas fondus dans la population. Les militaires français estiment la perte des combattants islamistes “entre 500 et 600” sur 2.000 hommes, dont Abou Zeïd, l’un des leaders du réseau. Cependant, il existe toujours des poches de résistance et les djihadistes ont gardé une capacité de nuisance importante dans un territoire très vaste et très difficile à contrôler.
A quoi ressemble la nébuleuse djihadiste ? Depuis peu, les groupes se sont recomposés. Interrogé il y a quelques jours, le spécialiste des mouvements terroristes, Mathieu Guidère, expliquait que paradoxalement, cette recomposition avait conduit à un affaiblissement très important d’Aqmi. “Parmi les combattants de la mouvance terroriste, globalement, il ne reste plus qu’un groupe aujourd’hui dirigé par Abou al-Hammam, qui a succédé à l’ancien chef Abou Zeïd”.
En revanche, il estimait que la concentration des efforts français contre Aqmi avait profité à d’autres brigades, moins visées directement et qui ont pu fuir : “Il s’agit du groupe de Mokhtar Belmokhtar – dit les ‘enturbannés’ -, le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest) et le mouvement touareg islamiste, Ansar Dine. Le Mujao et les ‘enturbannés’ se sont unifiés et ont donné naissance à un groupe djihadiste important, beaucoup plus important qu’Aqmi : al-Mourabitoun (les Almoravides), du nom d’une dynastie berbère qui a régné au XIe et XIIe siècle sur l’intégralité du Maghreb qu’elle avait unifié. C’est contre ce nouveau groupe que se battent principalement les armées françaises et africaines.” Mais elles doivent aussi faire face à Ansar Dine qui, d’après les journalistes et les experts, a fait un retour en force à Kidal et dans sa région ces derniers temps.
Ces groupes terroristes ont démontré plus d’une fois leur force en nombre de combattants, en expertise militaire et en équipements. “Ils regroupent l’ensemble de la palette de l’insurrection militaire : des éléments kamikazes, suicidaires qui viennent du Mujao, des éléments spécialisés dans les opérations commando et les accrochages venant de la brigade de Belmokthar et des éléments insurrectionnels et de rébellion venus des rebelles touareg d’Ansar Dine”, analysait encore Mathieu Guidère.
Les groupes indépendantistes à la marge
Dans une très moindre mesure, les soupçons se sont aussi portés sur des groupes liés aux indépendantistes touaregs. Les responsables du laïc MNLA, du HCUA (Haut conseil pour l’unité de l’Azawad) et du MAA (Mouvement arabe de l’Azawad) sont pressés par leur base, les plus jeunes notamment, pour maintenir la pression pour obtenir une large autonomie de l’Azawad (le nom donné à la région du Nord Mali peuplé principalement par les Touaregs). Le “Nouvel Observateur” faisait état fin septembre des tensions qui existaient au sein des différentes composantes, la première crainte étant une offensive sur les armées maliennes, et avec, une occasion rêvée pour les djihadistes de revenir sur le devant de la scène.
Par ailleurs, d’anciens éléments d’Ansar Dine sont de retour sur la scène politique à travers le HCUA. L’ancien numéro 2 d’Ansar Dine et son fondateur font partie du HCUA et circulent librement à Kidal.
Face à la détermination des combattants, il reste difficile d’éradiquer totalement le terrorisme, malgré l’ambition affichée par le chef de l’Etat, François Hollande, et son ministre des Affaires étrangères. L’armée française a cependant souhaité signifier qu’elle ne comptait pas abandonner le champ de bataille de si tôt. 1.500 soldats français, maliens et onusiens (la Minusma), participent depuis le 20 octobre, à l’opération “Hydre” dans le nord du Mali.
Parallèlement, les négociations à propos du problème touareg sont au point mort et pour de nombreux observateurs, tant que cette question ne sera pas réglée, difficile d’imaginer un seul instant que la situation sécuritaire puisse s’améliorer.