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Mali – Ibrahim Boubacar Keïta : Ia tentation du second mandat

Sécurité, autorité de l’État, réformes, développement… Ces derniers mois, il a pu mesurer les espoirs, les impatiences, mais aussi les motifs de contrariété de ses concitoyens. À moins d’un an de la présidentielle, c’est l’heure du bilan pour Ibrahim Boubacar Keïta.

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«En tant que croyant, je m’en remettrai à Allah. Je ne suis que l’humble instrument de sa volonté », déclarait en mai le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) en parlant de son éventuelle candidature à la présidentielle de 2018. Quelques semaines auparavant, le 8 avril, conscient de l’érosion de sa popularité alors que, dans le centre de Bamako, se succédaient les manifestations – contre son « immobilisme », contre l’insécurité, contre la « mal-gouvernance » et la « corruption », contre la révision constitutionnelle –, IBK avait nommé un nouveau Premier ministre à la tête d’un « gouvernement de combat ».

Fidèle d’entre les fidèles, membre fondateur du Rassemblement pour le Mali (RPM) et ancien « dircom » de campagne du candidat IBK en 2013, le discret Abdoulaye Idrissa Maïga a donc été chargé de prendre le taureau par les cornes, avec pour principal objectif de faire en sorte que l’accord d’Alger, indispensable préalable à une paix durable et au retour des investisseurs, soit enfin respecté sur tout le territoire, deux ans après sa signature.

Accords et projets

Pour couper l’herbe sous le pied des terroristes, l’exécutif intensifie sa « politique de désenclavement », qui semble être la terminologie à la mode du côté du palais présidentiel. En juillet, par la voix de son ministre des Finances, Boubou Cissé, le gouvernement a lancé un vaste plan de développement des régions du Nord, d’un montant global de 2 000 milliards de F CFA (3 milliards d’euros), reposant sur trois axes stratégiques : l’amélioration de la gouvernance, l’accès aux services sociaux de base et le développement de l’économie et des infrastructures. Faute de garanties en matière de sécurité, ce programme peine cependant à trouver des financements.

Un engagement pour le développement social et économique qui prouve qu’IBK entend l’exaspération de la rue
Parallèlement, l’État a signé avec la Banque mondiale un accord d’un montant de 40,6 milliards de F CFA pour financer le Projet d’amélioration de l’accessibilité en milieu rural (Paar). Ce dernier, dont l’objectif est de relancer l’activité économique, doit bénéficier à 650 000 personnes vivant aux abords d’axes routiers à réhabiliter, en commençant par les régions de Koulikouro (autour de Bamako) et de Sikasso (Sud). Le Paar prévoit la remise en état de 1 700 km de pistes rurales, l’aménagement de périmètres maraîchers contribuant à l’autonomisation des femmes, ainsi que la construction d’écoles, de centres de santé et de hangars pour les marchés agricoles. Un engagement pour le développement social et économique qui prouve qu’IBK entend l’exaspération de la rue. Mais n’est-ce pas un peu tard, quatre ans après l’arrivée à Koulouba de celui qui promettait un « Mali uni » ?

Dans le Nord, les autorités intérimaires commencent à peine à prendre leurs fonctions, et les patrouilles mixtes n’ont pas dépassé le stade expérimental. Et le discours religieux radical trouve de nouveau un écho favorable, principalement dans les zones rurales, qui s’estiment abandonnées par l’État.

Négociation avec le Nord

Pis, pour recréer le lien avec le Nord, Bamako a fait un pari risqué en s’appuyant sur une médiation religieuse. Fin juillet, Mahmoud Dicko, le très populaire et très controversé président du Haut Conseil islamique du Mali, était en visite à Kidal dans le but de négocier « discrètement » le retour de l’administration malienne sur place. Piloté par la présidence, il a rencontré les chefs de tribu, des notables, des leaders religieux, des cadres et des responsables militaires de la région. La démarche a été considérée par certains comme une preuve de pragmatisme de la part de l’exécutif, dans un pays à 90 % musulman, mais d’autres y ont vu « une dangereuse dérive religieuse » du pouvoir.

L’opposition et le mouvement An tè a banna ! estimaient que le texte proposé favorisait au contraire « le début de l’autonomie au Nord »
« Nous déplorons le complot entre le politique et le religieux », dénonçait ainsi Mohamed Youssouf Bathily, alias Ras Bath, chroniqueur de la radio Maliba FM, qui fut le porte-étendard d’An tè a banna ! Touche pas à ma Constitution !, plateforme constituée de partis d’opposition et de mouvements de la société civile ayant multiplié les actions contre le projet de révision.

Même si, le 21 juin, le gouvernement a décidé de reporter le référendum constitutionnel initialement prévu le 9 juillet, il a été sous le feu des critiques durant deux mois. Jusqu’à ce que, le 18 août, à l’issue d’une médiation conduite notamment par les chefs religieux et traditionnels, IBK annonce dans un message diffusé par la radio-télévision nationale qu’il décidait, « en considération de l’intérêt supérieur de la nation et de la préservation d’un climat social apaisé […], en toute responsabilité, de surseoir à l’organisation d’un référendum sur la révision constitutionnelle ».

IBK critiqué

Le chef de l’État en avait pourtant fait l’un des points forts du programme sur lequel les Maliens l’ont élu à plus de 77 % des suffrages exprimés, en août 2013. Il s’engageait alors à changer radicalement la vie politique du pays, à donner un meilleur ancrage à la démocratie, à renforcer les institutions et à garantir l’application de l’accord de paix dans le Nord, grâce notamment au rôle des collectivités territoriales .

Mais l’opposition et le mouvement An tè a banna ! estimaient que le texte proposé favorisait au contraire « le début de l’autonomie au Nord », renforçait dangereusement les pouvoirs du président de la République et violait l’article 118 de l’actuelle Constitution, qui n’autorise pas de révision si le pays ne jouit pas de son entière intégrité territoriale.

« Ibrahim Boubacar Keïta : président mal aimé ou mal compris ? » interrogeait fin juillet Le Journal du Mali, relatant le malaise de nombreux Maliens et partenaires étrangers, désabusés autant par l’obstination du chef de l’État à présenter son projet que par l’acharnement des meneurs d’An tè a banna ! à rejeter tout en bloc, qui voient les tensions s’exacerber.

Un président affaibli

Pour beaucoup, cet épisode a par ailleurs souligné le manque de visibilité de l’action de l’exécutif, la maladresse de sa communication, voire son déphasage par rapport aux préoccupations de la population. Des reproches auxquels IBK n’a pas manqué de répondre dans son adresse à la nation du 18 août, où il a multiplié les formules montrant un président à l’écoute : « J’ai enregistré avec inquiétude la montée des radicalités. Ces alarmes, nous les avons partagées, vous et moi. Je vous ai entendus exprimer vos craintes de voir notre cher pays dériver vers des affrontements tragiques. »

Si, comme beaucoup le supposent, il envisage de renouveler son bail à Koulouba dans moins d’un an, pourra-t‑il rebondir et regagner la confiance des Maliens ?

Plus question de référendum, donc. Un nouveau projet de révision sera préparé, mais à l’issue de consultations nationales inclusives, ce qui suppose qu’il ne sera ni soumis à l’examen des députés ni au vote des Maliens avant longtemps et probablement pas avant la présidentielle. En première ligne dans cette bataille, IBK y a perdu beaucoup de plumes, d’énergie et de crédibilité.

Si, comme beaucoup le supposent, il envisage de renouveler son bail à Koulouba dans moins d’un an, pourra-t‑il rebondir et regagner la confiance des Maliens ? Alors que les programmes engagés pour rétablir la sécurité et assurer le développement tardent à donner des résultats, sa capacité à mobiliser assez de moyens humains et financiers pour les accélérer sera déterminante.


Points de suspension d’une révision

Le projet de révision constitutionnelle, tel qu’il avait été adopté par l’Assemblée nationale le 3 juin, proclamait dans son préambule « le principe intangible de l’intégrité du territoire national et la souveraineté nationale », précision qui ne figure pas dans la Constitution de février 1992. Tout en consacrant ainsi la cohésion du pays face aux tentations séparatistes, le texte accordait cependant des prérogatives aux collectivités territoriales (communes, cercles, régions, districts) pour qu’elles soient librement administrées par des conseils d’élus (article 136).

Il prévoyait par ailleurs la création d’un Sénat (art. 59) et, pour mettre fin au nomadisme des élus, que « tout député qui démissionne de son parti en cours de législature [soit] automatiquement déchu de son mandat » (art. 56) – un dispositif qui s’appliquerait aux futurs sénateurs et aux élus locaux.

Mais c’est surtout le renforcement des pouvoirs du chef de l’État qui a exacerbé les griefs. Le projet lui permettait entre autres de nommer un tiers des sénateurs (deux tiers étant élus au suffrage universel indirect – art. 61) et le président de la Cour constitutionnelle (jusqu’à présent élu parmi ses membres), ou encore de faire procéder à une révision de la Constitution directement par voie parlementaire, sauf dans le cas d’une modification de la durée ou du nombre des mandats du président de la République ou des parlementaires.

 

Source: jeuneafrique

 

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