Les membres de la commission électorale étaient en train de réfléchir aux prochaines élections quand le décret de dissolution est tombé. Daté du 1er février, signé par le Premier ministre, Moctar Ouane, et par le ministre de l’Administration territoriale, Abdoulaye Maïga, le texte en question leur a signifié l’abrogation de leur décret de nomination.
Constituée de quinze membres, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) est par définition un organe provisoire, dont la loi prévoit la disparition dans les trois mois qui suivent la proclamation des résultats du scrutin qu’il était chargé d’organiser. Dans les faits, le mandat des membres de la Ceni avait donc expiré en juillet 2020 – soit trois mois après l’annonce des résultats des dernières législatives.
Mais cette dissolution soudaine a soulevé une vague de critiques au sein des partis politiques et de la société civile, qui craignent un renforcement du poids de l’administration dans l’organisation des élections – les prochains scrutins se tiendront en 2022 selon la charte de la transition. Un reproche adressé de manière récurrente aux autorités de transition, soupçonnées d’être sous l’emprise de la junte qui a renversé l’ex-président Ibrahim Boubacar Keïta, le 18 août dernier.
Organe unique et indépendant
Les membres de la commission ont appris leur éviction alors qu’ils étaient en train de réfléchir à une possible réforme du système électoral, confie son président, Amadou Ba. « Nous avions même demandé un renforcement de nos pouvoirs afin de pallier les défaillances constatées lors des précédents scrutins », explique le magistrat.
Jusqu’à présent, trois structures différentes étaient impliquées dans les processus électoraux : la Ceni, « gendarme des élections », était chargée de les superviser ; le ministère de l’Administration territoriale, de les organiser ; restait enfin une structure autonome, la Direction générale des élections (DGE), qui était, elle, responsable du fichier électoral. Amadou Ba s’inquiète de la représentativité du nouvel organe, compte tenu du fait « qu’il n’y a plus ni opposition ni majorité au Mali ». Il doute aussi de la possibilité « de le déployer sur l’ensemble du territoire national » en seulement quelques mois.
Temps compté
Les participants au dialogue national organisé fin 2019 étaient certes convenus de la nécessité de créer un organe indépendant et unique. « La dissolution de la Ceni marque le début d’un processus nécessaire et répond à une demande importante, affirme d’ailleurs le porte-parole du parti Yelema, Hamidou Doumbia. Les politiques n’avaient plus confiance dans le système actuel. Il était nécessaire de le modifier. »
Le 4 février, le comité exécutif du Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) appelait lui aussi à « convenir des modalités de création d’un organe unique et indépendant de gestion du processus électoral afin de réussir la tenue d’élections transparentes, régulières et crédibles », par la voix de l’un de ses dirigeants, Choguel Maïga. Une manière « d’éviter le scénario d’une simple formalité pour une cession du pouvoir par la junte à des complices », ajoutait ce dernier.
Mais rares sont ceux qui croient les autorités de transition capables de mettre en place une telle structure dans les temps. « On aurait pu voter une loi instituant un organe unique, tout en renforçant les structures existantes en attendant sa mise en place, insiste Amadou Ba. En tout cas, les partenaires internationaux et les partis politiques sont d’accord pour dire que le ministère de l’Administration territoriale ne doit plus organiser les élections. »
L’ÉTABLIR EN SI PEU DE TEMPS ME SEMBLE IRRÉALISTE VOIRE INFAISABLE
« Cette idée d’organe unique marche fort au Mali en ce moment, mais l’établir en si peu de temps me semble irréaliste, voire infaisable, tranche le juriste Ibrahima Fomba. Réfléchir à un organe autonome, c’est bien. Mais le Mali manque de moyens matériels et humains pour le déployer. »
À contre-courant
Dans ce contexte, la création d’une cellule d’appui au processus électoral qui dépendrait du ministère de l’Administration territoriale inquiète. La Ceni s’offusque de ne pas avoir été consultée. Ibrahima Fomba évoque, quant à lui, « un renforcement de la mainmise du gouvernement sur les élections » : « Le ministère organise déjà les élections, il dispose des services de la DGE, des représentants de l’État… Pourquoi créer une cellule additionnelle, dont le chef est nommé par le ministre lui-même ? »
L’ADMINISTRATION DOIT ÊTRE PLUS TRANSPARENTE
« La cellule est a uniquement pour but d’appuyer le ministre dans ses attributions, rétorque Brahima Coulibaly, conseiller chargé des élections à l’Administration territoriale. Elle n’a pas pour objet de se substituer à d’autres structures et ne préfigure pas la création d’un organe unique. »
Selon Brahima Coulibaly, elle se contentera de contribuer aux activités du ministère, notamment en matière logistique. Créée par décision du ministre le 15 décembre dernier, elle sera constituée d’une vingtaine « d’experts » qui devraient être nommés bientôt. Son dirigeant, un certain Mady Ciré Touré, a déjà été désigné.
« Cette cellule va à contre-courant de ce dont la transition a besoin, conclut Ibrahima Fomba. L’administration doit être plus transparente et impliquer davantage les différentes sensibilités et certainement pas se renforcer elle-même. »