« Bamako est en fête, qui met tout son cœur pour vous accueillir. » Le président Modibo Keita, lui aussi, met tout son cœur pour souhaiter la bienvenue à son « frère et ami pour lequel le peuple malien éprouve une affectueuse et sincère admiration », le président tanzanien Julius Nyéréré, arrivé à Bamako le 12 avril 1965 pour une visite officielle de 4 jours dans notre pays.
Notre pays et la Tanzanie, un pays d’Afrique de l’Est, étaient liés à l’époque par des liens très étroits du fait de l’orientation socialiste et progressiste des deux dirigeants et de leurs profondes convictions panafricanistes, voire internationalistes.
Modibo Keita et Julius Nyéréré se vouaient beaucoup d’admiration et de respect. Ils étaient, tous deux, des porte-étendards de la lutte pour l’émancipation des peuples africains. « Champions de l’indépendance, champions de l’unité africaine, tels sont nos frères de Tanzanie, avec à leur tête le prestigieux président Julius Nyéréré », a lancé le n°1 malien à l’illustre visiteur. La réponse de celui-ci est sans équivoque sur son estime pour le président Keita et pour le Mali. « Votre pays n’a pas son pareil en Afrique dans la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme. C’était mon espoir de venir au Mali pour vous faire un témoignage public du rôle et de la tâche que vous accomplissez en Afrique », a assuré Julius Nyéréré, surnommé le « Mwalimu » (l’instituteur).
Pour le président Keita, à qui l’on aurait pu attribuer le même surnom, les qualités personnelles du leader tanzanien sont pour beaucoup dans les actions de son pays dans le cadre de la lutte pour la décolonisation de l’Afrique. « Face à l’action criminelle de l’impérialisme au Congo, territoire à partir duquel les forces rétrogrades veulent étrangler toute l’Afrique, il est impérieux de resserrer nos rangs. Dans cette lutte sacrée pour la survie de notre continent, nos frères de Tanzanie sont à l’avant-garde », s’est réjoui le chef de l’Etat malien qui est en admiration devant l’engagement panafricaniste de son hôte tanzanien. « Vous considérez que l’indépendance de la Tanzanie n’est pas totale tant qu’une parcelle de l’Afrique restera encore sous la domination du colonialisme. Ce n’est pas un hasard que Dar-es-Salam a été choisie comme siège du Comité de décolonisation de l’OUA. »
Ces éloges ne font pas oublier sa modestie au « Mwalimu ». « Vous avez mentionné le petit rôle que nous, en Tanzanie, nous jouons également. Il se trouve que pour des raisons historiques et géographiques, mon pays se trouve à l’avant-garde de cette lutte », tempérera le père de l’indépendance de la Tanzanie qu’il dirigea de 1962 à 1985. Nyéréré a choisi de quitter volontairement le pouvoir avant de décéder à Londres en 1999. Son héritage panafricaniste n’est pas encore tombé aux oubliettes dans son pays. La contribution de l’armée tanzanienne a, ainsi, été décisive quand l’ONU a décidé d’en finir avec la rébellion du M23 en RD Congo avec une brigade spéciale d’intervention.
Pour revenir à la visite historique du « Mwalimu » chez nous, après la réaffirmation des convictions progressistes et panafricanistes, le président tanzanien est descendu sur le terrain pour visiter les réalisations de ses camarades socialistes du Mali. Il visitera ainsi les chantiers du barrage hydroélectrique de Sotuba, des Abattoirs frigorifiques et de la Fabrique d’allumettes et de cigarettes, ainsi que le Stade Omnisport qui ne portait pas encore le nom du premier président du Mali. Le nom de Modibo Keita a été donné à l’installation sportive après la Révolution de mars 91, lors du premier mandat du président Konaré.
Le 15 avril 1965, les deux présidents arrivent à Ségou et Markala. « C’est aux sons des tam-tams, balafons et autres instruments de musique que les villes de Ségou et Markala ont accueilli en liesse les illustres hôtes. Les grandes artères de la capitale de la 4è Région regorgeaient de monde venu acclamer les deux dirigeants. Un important arc de triomphe, bariolé des couleurs nationales des deux pays, souhaitait la bienvenue. Escorté par des motards et la cavalerie, la décapotable présidentielle, battant pavillon des deux Etats, transportait les deux leaders debout côte à côte », l’édition du 16 avril 1965 de L’Essor plantait ainsi le décor de l’accueil grandiose réservé à Modibo Keita et Julius Nyéréré dans la capitale des balanzans. Les deux leaders ont ensuite visité le barrage de Markala et les installations industrielles des Ateliers centraux, spécialisés dans la construction métallique.
Le député-maire de la ville de Ségou, Dramane Coulibaly, a dressé du Mali et de la Tanzanie, le portrait de pays jumeaux. « L’histoire a placé le Mali et la Tanzanie à la croisée des civilisations. Ce sont des creusets de nombreuses races, des berceaux de langues puissantes et des individus qui se ressemblent physiquement. Tanzaniens et Maliens sont véritablement des frères », décrit-il.
En réponse, l’illustre visiteur, après avoir souligné « l’admiration du peuple tanzanien pour le Mali », insistera sur les traits de ressemblance politiques des deux peuples. « Tanzaniens et Maliens, en tant que peuples progressistes de l’Afrique, ont trois tâches à accomplir : libérer le continent du joug colonial, reprendre leur destinée en main, réaliser l’unité de l’Afrique. Le Mali est à l’avant-garde dans tous ces domaines », développera le « Mwalimu ».
Ce chantre de l’unité de l’Afrique a utilisé une métaphore qui illustre de façon expressive la nécessite pour les peuples africains de s’unir. « Trente-six bâtonnets de bois séparés peuvent se briser chacun sous le poids d’un lourd fardeau, mais qu’advient-il si ces 36 bâtonnets de bois sont liés ensemble. Alors, le fardeau peut être transporté sans risque et chaque bâtonnet demeurera entier. Cependant, nous ne sommes pas des bâtonnets de bois et il n’y a point de fermier pour nous lier ensemble. Nous devons nous lier nous-mêmes ensemble et cela n’est pas aussi facile. » Julius Nyéréré avait conscience que son idéal de l’unité de l’Afrique n’était pas une entreprise aisée et ne serait pas réalisé de si tôt. Malgré le volontarisme panafricaniste des leaders des années de l’indépendance comme Modibo Keita, Julius Nyéréré, Kwamé Nkrumah…, le continent est aujourd’hui encore à la recherche de son unité.
B. TOURE
source : L Essor