Le Mali est en passe de devenir le pays de l’instabilité et des révolutions inachevées dans lequel le régime en place, par ses errements, fait toujours regretter le précédent.
Pour aider la Transition en cours qui peine à négocier certains virages importants pour sortir le pays de l’ornière, le temps n’est-il pas venu d’engager les réformes pour corriger le manque d’engagement citoyen, la vénalité des hommes politiques, mais aussi la personnalisation excessive du pouvoir ?
UNE SUITE DE REVOLUTIONS INACHEVEES
Modibo Kéita a été par moments réclamé par la rue pendant le règne de Moussa Traoré, son tombeur qui avait été pourtant fort applaudi en novembre 1968. Sous les différents régimes de l’ère dite démocratique, on a par moments regretté Moussa Traoré aussi, pourtant présenté en mars 1991 comme un dictateur et un tyran. Les principaux responsables de la Transition ne trouvent plus grâce aux yeux de ceux qui les accusent de faire du IBK sans IBK. Comment expliquer ses désamours à répétition? Un retour dans le passé pourrait aider à lever un coin de voile sur la problématique. En effet, malgré la reconnaissance par tous du nationalisme et du patriotisme de Modibo Kéita et leur impact positif sur le système éducatif malien, après le coup d’état du CMLN les militaires ont choisi de jeter le bébé avec l’eau du bain, en interdisant toute référence valorisante au régime RDA, sonnant du coup le glas de l’expérience socialiste et de ses acquis. Comme les militaires ne sont ni politiques, ni économistes, ils n’ont pu proposer aucun programme cohérent et ont fini par se fourvoyer. Lorsque Modibo Kéita meurt dans des circonstances troubles au mois de mai 1977, le communiqué officiel annonce le décès d’un instituteur à la retraite. N’est-ce pas méchant pour celui qui a été le père de l’indépendance du Mali ? Toujours sous Moussa Traoré, lors d’une réunion des cadres du parti UDPM dans le centre du pays, un commerçant à la langue bien pendue a avoué que ce sont des commerçants qui ont appris aux fonctionnaires à gagner de l’argent facile, mais que ceux-ci étaient en voie de les supplanter purement et simplement parce qu’ils sont passés maitres dans les montages tordus pour orienter les marchés et piller les finances publiques. Entre les surfacturations scandaleuses, les retro-commissions et la gestion des fonctionnaires fictifs, combien de milliards ont été distraits des caisses de l’Etat ? Combien de fonctionnaires vivent ostentatoirement au-dessus de leurs moyens sans crainte des structures de contrôle ? La gangrène a pris à un point tel que ce sont les dénonciateurs qui se trouvent traqués pour contenter les criminels « généreux ».
LA NÉCESSAIRE REFONDATION DU PAYS
Malheureusement, d’Alpha Oumar Konaré à Ibrahim Boubacar Kéita en passant par Amadou Toumani Touré, au lieu de corriger ces tares, le système s’est diaboliquement amélioré, pour emprunter la voie d’un corporatisme de mauvais aloi, avant de devenir une arme de destruction massive qui a tué la morale et la compétitivité au Mali. Le népotisme et le trafic d’influence ont pris le contrôle des promotions et autres marchés publics, sans égard pour la compétence et le professionnalisme, afin que les bénéficiaires soient reconnaissants. L’impunité est devenue la règle et les criminels à col blanc n’ont rien à craindre dès lors qu’ils savent repartir le butin. L’économie criminelle ainsi développée dans les régies financières de la capitale s’est tristement s’invitée dans le nord du pays abandonné, qui se transforme dès lors en paradis pour les trafiquants d’armes, de drogue et les preneurs d’otages. Le résultat est que le Mali est devenu un pays désaxé et occupé par des milices incontrôlées, les forces internationales sont plus préoccupées par des enjeux géostratégiques que par le sort des maliens, les responsables politiques restent insouciants et toujours accapareurs, pendant que les populations désemparées ne sachant plus à quel saint se vouer, sont la proie des vendeurs d’illusions. Ce qui est donc en cause aujourd’hui, c’est ce système mafieux devenu un monstre qui façonne tout à son image, éjectant purement et simplement les non-initiés et ceux qui manifestent des états d’âme. Il repose sur deux piliers reliés à un levier politique tenu de haute main. Le premier pilier est l’Administration générale, cadre des nominations et de la gestion des ressources publiques. Le second est constitué par les structures de contrôle et de répression, totalement anesthésiées depuis le levier politique. Le délit d’initié fait partie des prérogatives des décideurs qui en usent et abusent. Les rapports du Bureau du Vérificateur Général sont devenus un simple moyen d’intimider les adversaires politiques ou des alliés devenus encombrants. Voilà comment au fil des ans, le Mali est devenu un corps malade qui n’arrive plus à éliminer ses propres déchets, à cause d’un régime politique de type plutôt « présidentialiste » qui permet au souverain tout puissant et à sa famille de jouer avec les règles. La frustration est générale et tous les chefs d’Etat de l’ère démocratique en ont plus ou moins fait les frais. A part Alpha Oumar Konaré qui est descendu de Koulouba dans un calme relatif parce qu’il a évité de mêler sa famille à la gestion politique du pays, tous les autres sont sortis avec fracas par des portes dérobées.
Existe-t-il un système conventionnel approprié pour sortir le pays de cette situation qui semble frappée du sceau de la malédiction ? Rien n’est moins sûr tant les acteurs sont corrompus. C’est pourquoi, le Mali a besoin dans un premier temps d’un régime d’exception capable de conduire une véritable révolution à son terme, avec le seul souci du retour à une gouvernance vertueuse quel qu’en soit le prix. Ensuite seulement, on pourrait revenir à une situation normale en faisant en sorte que le président de la république devienne non un monarque absolu, mais un mandataire obligé devant répondre de sa gestion.
Mahamadou Camara
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