Arrêtés respectivement en mars et novembre 2023, Ras Bath et Clément Dembélé croupissent en prison à Koulikoro et à Bamako pour de graves chefs d’inculpation. Le très populaire Mohamed Youssouf Bathily dit Ras Bath est le porte-parole du Collectif pour la défense de la République (CDR) et chroniqueur à la radio Renouveau FM à travers son émission populaire “Grands dossiers”. Quant à l’emblématique Clément Dembélé, il est professeur de son état et président de la Plateforme de lutte contre la corruption et le chômage (PLCC). Que reproche le pouvoir à ces deux figures très connues de la société civile ?
Un audio controversé qui a conduit Clément en prison
Le président de la PLCC est poursuivi pour « menace de mort par le biais d’un système d’information » après la diffusion sur les réseaux sociaux d’un enregistrement dans lequel une voix lui étant attribuée annonce son intention de tuer le président de transition, le colonel Assimi Goïta, et sa famille. Mais d’après le magazine “Jeune Afrique”, une expertise indépendante avait conclu qu’il ne s’agissait pas de la voix de Clément Dembélé. C’est pourquoi ses proches estiment que sa détention est une procédure montée de toutes pièces. « La voix du vocal incriminé n’est pas celui (sic) de l’inculpé ». La conclusion de l’expert judiciaire indépendant date du 8 mars 2024 et est catégorique. Elle conforte la version de Clément Dembélé. Le militant de la société civile, connu dans tout le pays pour ses combats contre la corruption ou les coupures d’électricité, nie, depuis le début, avoir tenu les propos qui lui valent de dormir en prison depuis dix mois. Ses avocats avaient, d’ailleurs eux-mêmes, avant cette expertise, déposé plainte pour imitation de voix et fait le choix de rester discrets sur leur démarche, vraisemblablement par souci d’apaisement. Au regard de cette nouvelle donne dans le dossier, une ordonnance de mise en liberté sous contrôle judiciaire avait été signée, le 29 avril 2024, par le juge d’instruction Moussa Diarra en charge du dossier. Mais cette demande n’avait pas eu l’assentiment du procureur du Pôle judiciaire chargé de la lutte contre la cybercriminalité, Adama Coulibaly. L’expertise, qui blanchit Clément Dembélé, n’a pas valeur de jugement. Et une demande de contre-expertise aurait, d’ailleurs, été formulée par le procureur. Le dossier a, depuis, été transmis à la Cour d’appel. Celle-ci a décidé de maintenir Clément Dembélé en prison. Cette décision a été communiquée à RFI, le mercredi, 24 juillet 2024 par l’entourage du président de la PLCC.
Malgré cette décision, aucune date n’a été fixée pour son procès, car son avocat n’a pas encore reçu l’arrêt de la chambre d’accusation. Il faut noter qu’à la veille de son arrestation, Clément Dembélé s’apprêtait à tenir une conférence de presse sur les coupures d’électricité, après que sa demande de tenir un meeting ait été rejetée par les autorités de la ville de Bamako.
Ras Bath en prison pour divers chefs d’inculpation
Le samedi 11 Mars 2023, lors de la conférence du parti ASMA-CFP ( Alliance pour la Solidarité au Mali-Convergence des Forces Patriotiques dont le président était Soumeylou Boubèye Maïga), Ras bath a tenu ces propos : « […] Boubèye Maiga a été assassiné […] , […] malgré les messages et les communiqués d’alertes de la famille de Boubèye, de ses médecins, de ses avocats sur son état de santé et de l’urgence de son évacuation sanitaire, le CNT, organe législatif chargé de contrôler l’action gouvernementale dont celle du ministère de la justice et des droits de l’homme, n’a pas interpellé le ministre de la justice […] , […] les Militants du parti ASMA, présents au CNT avec la bénédiction de Boubèye, ont brillé par l’inaction […] , [….] les membres des partis dits du mouvement démocratique, garants des droits et libertés fondamentaux, n’ont également pas interpellé le gouvernement jusqu’à la survenance de l’irréparable : la mort de Boubèye Maïga […] » Suite à ces propos, le chroniqueur et responsable de la communauté des rastas du Mali (CORASMA) a été interpellé le 13 mars 2023.
Dans un premier temps, le procureur du tribunal de grande instance de la commune IV du district de Bamako, Idrissa Touré, l’a poursuivi pour simulation d’infraction. Le 28 mars 2023, le procureur Touré saisit son juge d’instruction, Sidi Maiga, avec de nouvelles charges : association de malfaiteurs, offense au chef de l’État, atteinte aux bonnes mœurs. Ce n’est pas tout, on retrouve sur le mandat remis à la Maison Centrale d’Arrêt (MCA) de Bamako les charges d’atteinte au crédit de l’État, propos à caractère racistes et; puis sur le mandat de renouvellement remis à la MCA de Koulikoro l’infraction d’escroquerie. Ainsi, de Mars 2023 à septembre 2023, soit 6 mois, le procureur Touré et son juge d’instruction, Sidi Maiga, n’auraient posé aucun acte d’instruction au fond. Pire, toutes les demandes de mise en liberté ont été refusées. C’est dans ce contexte que le dossier s’est retrouvé à la Cour d’appel. Ainsi pendant 6 mois, de septembre 2023 à mars 2024, le Procureur de la Cour d’appel, Hamadoun dit Balobo Guindo, a géré le dossier qu’il a fini par transmettre au doyen des juges d’instruction du Pôle de la cybercriminalité, Moussa Diarra.
De mars 2024 au 13 juillet 2024, soit près de 5 mois, le dossier n’aurait connu aucun traitement. Car à ce jour, tout comme dans le cas des juges du tribunal de la commune IV, le Procureur du pôle de cybercriminalité, Adama Coulibaly et, le juge d’instruction Moussa Diarrra n’ont pas interrogé Ras Bath.
Selon des sources proches des avocats de Ras Bath que sont Me Bathily et Me Tapo, le Procureur, Adama Coulibaly, dit vouloir personnellement assister à l’interrogation au fond. Et, il aurait demandé au juge d’instruction, Moussa Diarra, de bien vouloir sursoir à programmer Ras Bath pour l’instant car, lui, Adama, n’est pas encore disponible. En attendant que le procureur Coulibaly soit disponible, Ras Bath croupit en prison et le 13 novembre prochain, il bouclera son vingtième mois de détention.
Certes, le temps de la justice n’est pas celui des justiciables. Toutefois, le cas de décès de deux figures emblématiques de la contestation laisse à méditer. Beaucoup d’autres leaders ont été arrêtés, jugés et condamnés alors que ces deux étaient déjà derrière les barreaux.
Cyrille Coulibaly