L’histoire entre l’Algérie et la Russie ressemble à une vieille amitié forgée dans le feu des luttes anticoloniales. Dès l’indépendance de l’Algérie en 1962, l’Union soviétique fut l’un des premiers États à reconnaître la jeune république et à lui offrir un soutien politique, économique et militaire massif.
Ce partenariat a perduré au fil des décennies, même après la chute de l’URSS. Moscou est resté un fournisseur stratégique d’armes pour Alger, avec des contrats chiffrés en milliards de dollars. Sur le plan diplomatique, les deux pays partageaient une méfiance commune envers les puissances occidentales, et une approche souverainiste des affaires internationales. Pourtant, malgré ces fondations solides, la Russie semble aujourd’hui prendre ses distances avec ce partenaire de longue date.
Des absences qui font du bruit
Lors des récentes célébrations en Russie du Jour de la Victoire, un événement hautement symbolique auquel ont participé vingt-neuf chefs d’État ou de gouvernement venus du monde entier, l’absence de l’Algérie a été pour le moins remarquée. Aucun représentant officiel d’Alger, ni président, ni ministre, ni même une figure militaire, n’a été convié à cette grand-messe diplomatique où Vladimir Poutine a affiché ses alliances du moment. À la place, ce sont des figures notoirement en froid avec Alger qui ont défilé sous les ors du Kremlin : le maréchal libyen Khalifa Haftar, farouche adversaire du président Abdelmadjid Tebboune, et le président burkinabé Ibrahim Traoré, dont le pays fait partie du bloc sahélien en rupture ouverte avec l’Algérie. Ce contraste entre la proximité passée et l’exclusion présente soulève une question essentielle : que s’est-il passé entre Alger et Moscou pour que le premier allié africain de la Russie soit ainsi ignoré ?
Reconfiguration des loyautés africaines
Le contexte régional a changé. La Russie semble désormais se repositionner vers de nouveaux partenaires africains plus alignés sur ses intérêts immédiats. Les régimes militaires du Sahel, notamment au Mali, au Niger et au Burkina Faso, bien qu’isolés sur la scène internationale, se présentent comme des alliés prêts à soutenir la Russie dans sa confrontation ouverte avec l’Occident. Ce sont ces régimes que Moscou met aujourd’hui en avant, en leur offrant une visibilité politique et un soutien sécuritaire. À cela s’ajoute une coopération militaire directe avec des acteurs comme Haftar en Libye, un choix qui illustre clairement une priorisation de l’influence russe dans les zones de conflit actives, plutôt que dans des relations historiques mais devenues plus protocolaires comme celle avec l’Algérie.
L’attitude de Moscou envers Alger peut aussi être lue comme une réponse à la prudence stratégique de l’Algérie, qui continue de jouer sur plusieurs tableaux, maintenant des relations équilibrées avec l’Europe, la Chine, et même les États-Unis. En ne se rangeant pas pleinement du côté de la Russie sur certaines grandes lignes diplomatiques, Alger a pu apparaître aux yeux du Kremlin comme un partenaire moins fiable ou moins utile dans le bras de fer géopolitique actuel.
Le début d’un éloignement durable ?
La Russie, en quête d’alliés résolument engagés dans sa ligne de confrontation, semble donc avoir relégué l’Algérie à un second cercle de partenaires. Ce réalignement n’est pas nécessairement définitif, mais il marque une inflexion. L’amitié historique, aussi forte soit-elle, ne suffit plus à garantir une place de choix dans le cercle rapproché du Kremlin. Dans une géopolitique dominée par des alliances tactiques et des fidélités mouvantes, l’Algérie paye peut-être aujourd’hui le prix de sa posture non-alignée, perçue comme tiède par Moscou.
L’éviction symbolique d’Alger lors d’un événement aussi stratégique peut être interprétée comme un signal envoyé par la Russie à ses partenaires africains : seuls ceux qui prennent des positions claires seront récompensés. Reste à savoir si l’Algérie, forte de son histoire et de son poids régional, choisira de réactiver cette vieille alliance en adoptant une posture plus tranchée, ou si elle continuera à privilégier une diplomatie d’équilibre, au risque d’être marginalisée dans les nouvelles sphères d’influence.
Source : https://lanouvelletribune.info/