C’est ce que suggèrent certains jeunes Ségoviens foncièrement conservateurs. Certains n’hésitent pas à soutenir qu’il s’agit d’une problématique importée de l’extérieur et qui est contraire à nos us et coutumes.
Nous sommes à Pelengana, une commune rurale de Ségou, la 4e région administrative du Mali. Il est 16 heures, nous sommes avec un groupe de jeunes réunis autour du thé. Ces jeunes discutaient de tout et de rien quand soudain nous abordons la problématique des violences basées sur le genre (VBG) notamment la violence conjugale. Et c’est parti pour un débat animé oùchacun s’est mis à expliquer ce qu’il pense de la problématique. Ils sont nombreux les jeunes garçons à avoir soutenu que « c’est un truc de femme » et que les hommes sont accusés à tort d’en être les auteurs.
Kassim Diarra, la vingtaine révolue, était le plus agité. Pour lui, la problématique de la violence dans les foyers ne sera pas résolue tant que les femmes ne comprendront pas qu’elles doivent respect et soumission à leurs maris. « Soit nous sommes chefs de famille, soit nous ne le sommes pas. Je ne peux pas en tant qu’homme tolérer certains comportements de mon épouse. Les femmes sont faites pour être encadrées », lance-t-il. Ira-t-il jusqu’à lever la main sur sa femme ? « S’il le faut, oui », répond-il sans hésiter. A la question de savoir ce qu’il pense des hommes victimes de violences dans le foyer ? Notre jeune garçon indiquera que ceux-ci ne méritent pas l’appellation «homme ». Comme Kassim Diarra, ils sont nombreux au Mali à mal appréhender le concept des violences basées sur le genre notamment dans le foyer. Qu’est-ce que la violence conjugale ? Selon Wikipédia, la violence conjugale est la violence exercée par un des conjoints sur l’autre, au sein d’un couple, s’inscrivant dans un rapport de domination et se distinguant des disputes conjugales entre individus égaux. Elle s’exprime par des agressions verbales, psychologiques, physiques, sexuelles, des menaces, des pressions, des privations ou des contraintes pouvant causer chez la victime des dommages psychologiques, physiques, un isolement social, voire aller jusqu’à la mort.
Amadou, un autre jeune garçon du groupe, ne peut pas comprendre que l’on puisse parler du viol dans un couple officiellement constitué. Pour lui, « refuser le lit à son mari est aussi une forme de violence. Alors il n’y a rien de mal à obliger la femme à faire son devoir conjugal». Mieux, lance-t-il en ironisant : « il y a certaines femmes qui aiment être brutalisées avant qu’elles n’acceptent de satisfaire leurs hommes. Peut-on dans ce cas de figure aussi parler du viol conjugal ? ».
Pour ce groupe de jeunes, le sujet de la violence conjugale est encore une astuce contre nos us et coutumes. «Je me demande dans quelle société nous vivons actuellement. Comment comprendre que je ne peux pas hausser le ton sur la femme que j’ai épousée sans qu’on ne vienne me dire que c’est la violence conjugale », soutient Amadou avec un regard qui en dit long sur son état d’esprit. Qu’en pensent les jeunes filles et femmes ? Elles sont, pour la plupart conscientes de la problématique, mais estiment aussi que l’on ne doit point dénoncer son conjoint pour si peu. Si peu ? Ont-elles conscience qu’elles peuvent y laisser leur vie ou être gravement blessées ? à toutes ces questions, Mme Diarra Kadidia estime qu’à l’image de nombreuses Maliennes, elle a été éduquée pour endurer la souffrance dans le foyer et de faire en sorte que les histoires de couple restent en famille comme dit cet adage populaire : « les linges sales se lavent à la maison ». Elle ira jusqu’à dire que mêmes celles qui se font aider par les associations de défense des droits de la femme, finissent par retirer leurs plaintes sous la pression de la société.
VALEURS ANCIENNES – Que faut-il donc faire ? Faudra-t-il changer de stratégie pour la lutte contre ce phénomène qui prend de l’ampleur dans notre pays ? Notre interlocutrice préconise la sensibilisation des hommes et des femmes. Mieux, elle trouve que nous devons aussi revoir le fondement même de nos unions. « Avant, on ne se mariait pas par hasard dans notre société. Il faudra juste que l’on retourne à nos valeurs anciennes en matière de mariage et de la gestion de conflit dans le couple », propose celle qui pense que les solutions préconisées par les associations de défense des droits de la femme ne conviennent pas à notre société. « Comment trainer devant le juge avec ton mari sous prétexte que tu as été violentée et revenir encore dans ton foyer ? Celles comme moi qui veulent rester dans leurs foyers n’ont d’autre choix que de subir », tranche Mme Diarra.
Dans ces conditions, il n’est donc pas étonnant que les résultats de l’Enquête démographique et de santé au Mali (EDSM-V) révèlent que 69% des femmes ayant subi des violences n’en ont jamais parlé à personne et n’ont jamais demandé d’aide. Parmi elles, seulement 14% ont déclaré en avoir parlé à quelqu’un sans avoir sollicité de l’aide contre 18% qui en ont demandé. Les croyances populaires font penser à tord que la lutte contre les VBG font partie des combats de la femme pour son émancipation. Or, autant les femmes peuvent être victimes de ce phénomène autant les hommes le peuvent. Les hommes en ont-ils conscience ? Ceux d’entre eux qui sont victimes ont-ils le courage de le dénoncer dans une société où même pleurer pour une femme est un signe de faiblesse ? Hélas non. Les victimes des violences conjugales, singulièrement les hommes, souffrent dans la plupart des cas en silence. Mal compris par l’entourage, terrorisées par le conjoint ou la conjointe, certaines victimes désertent la maison.
Malheureusement, dans la ma majorité des cas, la victime finit par craquer et peut commettre l’irréparable. C’est pourquoi, nous assistons impuissants aux assassinats entre conjoints.
Qu’est-ce qui peut pousser l’un des conjoints à donner la mort à l’autre ? Nous sommes face à un malaise social où chacun à son niveau est interpellé et doit agir. En attendant, comprenons que personne n’est à l’abri de ce type de violences. Elle sévit dans toutes les catégories sociales, en milieu urbain comme en milieu rural et quel que soit le contexte éducatif ou religieux.
Dans notre pays, la violence conjugale reste banalisée car les victimes aussi bien femmes qu’hommes ne se plaignent que rarement. Si elles le font, aucune loi ne régit le problème. Les quelques cas qui dégénèrent sont jugés comme des « coups et blessures volontaires ». L’avant-projet de loi sur les VBG peine à être mis sur la table de l’Assemblée nationale. Qu’est-ce qui freine l’adoption de cette loi ?
Notre pays se doit de trouver une solution à cette problématique qui prend de l’ampleur dans notre pays. Il urge d’aider à briser le silence afin qu’aucune femme, qu’aucun homme ne soit violenté, ou ne meurt par la faute de son conjoint ou conjointe.
Mariam A. TRAORé AMAP-Ségou
L’Essor