Un témoignage qui nous a donné l’envie de revisionner (à plusieurs reprises) cette célèbre pièce engagée de Ousmane Sow. Certes l’époque a changé car nous sommes supposés être passés de la dictature à la démocratie, mais le discours est encore d’une actualité terrifiante. Entre le satyrique et l’ironie voire l’autodérision, le scénario de Ousmane Sow expose aux yeux des spectateurs, telle une plaie béante, les tares et les mauvaises pratiques auxquelles le régime en place semblait limiter la gouvernance du pays.
Entre corruption et délinquance financière, une certaine élite vivait sans gêne dans une aisance insolente avec villas, voitures de luxe, vergers… et maîtresses bien entretenues comme des princesses voire des reines… Au même moment, des masses laborieuses sombraient chaque jour dans la misère. Pour la majorité, aucune perspective. Pas de perspective pour les jeunes diplômés, pas de perspective pour le fonctionnaire compétent et intègre, pas de perspective pour des paysans affamés par la sécheresse et le manque de vision des décideurs… Au finish, la paupérisation des centres urbains s’est nourrie de la pauvreté des ruraux.
Il fallait du courage, mieux de l’audace pour venir se tenir devant un public d’officiers (majoritairement membre de cette mafia insatiable) et dénoncer cette réalité. Et, comble de l’audace, au sein d’une formation étatique qu’était le Groupe dramatique national. Oui, il fallait être des hommes avec de vraies c… pour publiquement crier qu’on ne construit pas un pays avec le tchatche, en détournant ou en volant l’argent du contribuable… On ne développe pas un pays par une gouvernance adossée au culte de la médiocrité, de la gabegie et surtout de l’impunité qui permet aux bénis d’un système d’ôter le pain de la bouche de la veuve et de l’orphelin dans les regards desquels l’espoir s’est vite mué en larmes de désespoir.
Nous nous sommes alors battus pour l’avènement de la démocratie. Mais, qu’a-t-elle réellement changé pour la majorité d’entre nous ? Donnez-nous le nom d’une seule mauvaise pratique reprochée à la dictature qui ne s’est pas amplifiée sous l’ère démocratique au lieu d’être éradiquée ? La corruption en est la preuve évidente pour tous. On ne combat pas un tel fléau par des discours. La lutte contre la corruption ne doit pas se limiter à un combat politique, mais à une lutte pour l’exemplarité. Peu importe la stratégie utilisée, sans une prise de conscience générale et une conscience professionnelle de ceux qui sont chargés de la tâche, l’objectif sera difficile à atteindre.
Ainsi, ce n’est pas en digitalisant l’administration que le manque à gagner au niveau du Trésor public va baisser. Pas en tout cas au niveau des contraventions dans la circulation routière par exemple où policiers et usagers trouvent leur «bonheur» à s’arranger aux dépens du trésor. Et même les rares usagers consciencieux qui tiennent à s’acquitter de leur devoir se voient confronter à toutes sortes d’obstacles qui font que cette volonté citoyenne risque de leur prendre au moins une demi-journée parce que ce n’est pas dans l’intérêt de l’agent et son chef.
Alors tant qu’il y a des agents de police ou de la gendarmerie, des juges, des douaniers, des agents des d’impôts, des releveurs d’EDM… des journalistes qui privilégient leurs poches ou leurs comptes en banque aux recettes de l’Etat, la digitalisation va régler peu de choses en matière de corruption parce que ce sont la volonté et la conscience qui poussent à utiliser les moyens mis en place pour cela. Encore une fois, nous nous heurtons à la mentalité du Malien.
A notre humble avis, le problème du Mali n’est pas une question de système politique, de démocratie ou de dictature, mais de mental et de comportement. Il faut nécessairement que l’Homme malien change fondamentalement. Cela repose sur une prise de conscience individuelle et collective, se faire pression et veiller à ce qu’on ne soit pas le seul à trimer pour payer les frais du changement requis. Mais, la justice a un rôle fondamental à jouer parce que l’impunité est le terreau fertile des mauvais comportements et des mauvaises pratiques.
Quand un cadre ou un agent est par exemple conscient que quand on découvrira qu’il a détourné un sou aux dépens de l’Etat que l’étau va se resserrer sur lui pour le contraindre non seulement à rembourser, mais à aussi payer de façon pénale sans complaisance aucune, vous allez voir que la courbe de la corruption va baisser et, par ricochet, sa fâcheuse incidence sur le développement économique, social… du pays.
C’est pourquoi nous sommes encore nombreux à nous demander : est-ce que toutes ces réformes liées à la refondation vont réellement servir à quelque chose ? Autrement, nous éprouvons tous (femmes et hommes) cette crainte récemment exprimée par le Pr. Diola Bagayoko dans une interview, qu’un retour précipité à l’ordre constitutionnel (comme en 2013) ne soit un «retour prématuré à une démocratie abâtardie» qui ne peut que pousser notre pays à replonger dans la servitude vis-à-vis de la France. Nous pensons que seule une prise de conscience pour changer notre mentalité peut nous éviter cet échec.
Revenons à nos moutons, c’est-à-dire à cette célèbre pièce «Wari», le constat est qu’aujourd’hui, cette peur que les comédiens du Groupe dramatique national ont vaincu a refait surface chez nous tous, même si elle se manifeste différemment. Chez la majorité, elle s’abrite aisément derrière le confortable manteau de la… résilience. Et pourtant nos grands paroliers nous rappellent constamment que la peur ne doit pas être l’identité d’un homme car elle n’est pas à son honneur. Quand un gaillard se laisse dominer par sa peur, il ne peut plus aspirer au respect et à la considération des autres ; de sa communauté ; de la société !
Moussa Bolly
Source : Le Matin