Au commencement était le verbe. Le roman de 120 pages se lit d’un trait. Tout au long de ce troisième ouvrage, l’auteur, Bréhima Touré dépeint au prétexte de la narration romanesque une situation d’une extrême complexité. Bouba, héros principal de cette œuvre fictive, préfet de son état, paie la facture très salée d’une guerre idéologique qui menace dangereusement le tissu social de notre pays.
Un beau jour, l’envie soudaine se saisit de Bouba de faire le voyage pour y rendre visite à sa famille au village. Là, il fut la cible d’une équipée d’assaillants.
C’est sur cette scène dramatique que s’ouvre le roman. Bouba, après avoir neutralisé un des assaillants n’a pu être protégé par la Gendarmerie de la localité qui fut attaquée et le préfet enlevé. Commence une aventure sans pareille pour le fonctionnaire qui resta en captivité pendant plusieurs mois aux mains de ses ravisseurs. Le voyage auquel invite le livre à travers savane et désert ne cache point la problématique que l’auteur décrypte. « La guerre des influences » ponctue le texte et pointe deux idéologies que tout oppose. Mais, elles ont un dénominateur commun : l’asservissement des peuples indigènes par le biais des religions. Qu’il s’agisse du jeune talibé, Kara candidat désigné pour être kamikaze qui trouve la mort lors d’une opération avortée, du complice Ould Kadary, haut fonctionnaire et hôte du commando menant discrètement des actions clandestines de subversion contre la République allant jusqu’à aider le Groupe des musulmans pour la Chari’a dans l’achat d’armes, de munitions et même de véhicules venus d’un autre pays en proie à une guerre depuis une décennie, ou encore du préfet séquestré Bouba, tous sont instruments d’une « guerre d’influence ».
Par la subtilité du verbe, l’auteur met à nu les tares de notre système : légèreté des contrôles de sécurité, corruption et impréparation des forces de défense. « La guerre des influences » est un roman qui explique le choc des civilisations et le sort réservé à nos sociétés du Sahel. Un passage du livre résume bien cette problématique. Abou Sidi Yaya, ravisseur et Bouba, otage plongent dans un débat idéologique fort intéressant. Ils se sont mis d’accord sur un point : le choc des influences, dont ils sont les pauvres victimes et deviennent artisans de la tragédie de leur propre peuple. « Un peuple à qui ils avaient imposé un destin qui ressemblait à celui de l’herbe sous les pieds des éléphants qui se battaient. L’herbe n’avait rien fait et n’avait rien demandé non plus pour mériter un tel sort. Elle avait juste la malchance d’être au mauvais moment au mauvais endroit. Et son sort importait peu puisqu’il n’était qu’une victime collatérale de la confrontation des hégémonies mondialisées. »
Tel fut le sort réservé à Bouba, otage séquestré au milieu d’un chapelet de collines et libéré in extremis suite à une intervention militaire ayant permis d’anéantir la base de ses ravisseurs dans la forêt du Wagadu. Telle l’herbe est victime de la bataille des éléphants, Bouba est victime de la guerre des influences. Dans la recherche effrénée de la paix, l’auteur du roman met en garde contre la paix des vainqueurs sur les vaincus. « Toute paix imposée par l’humiliation du vaincu est vouée à être remise en cause tôt ou tard », tranche Bréhima Touré au milieu du récit de « La guerre des influences ».
Une des particularités de ce roman réside en le mariage parfaitement réussi du fait d’une fluidité du verbe et la pertinence du sujet entre l’actualité brûlante et les fondamentaux du polar : l’intrigue et le conflit, ingrédient indispensable pour que l’histoire se déroule de façon intéressante et captivante. Ce roman est le troisième ouvrage de Bréhima Touré après « La limite des grands maîtres » en 2009 et « Les désillusions de Bouba » en 2015.
« La Guerre des influences » est en vente à la librairie Bah au prix de 7000 Fcfa.
Ahmadou CISSE
L’Essor