L’élection présidentielle des 29 juillet et 12 aout 2018 a plongé le Mali dans une crise postélectorale. Le gouvernement tente d’endiguer la contestation de la rue, qui gagne en ampleur à Bamako, semaine après semaine et se répand, comme une trainée de poudre, à l’intérieur du pays voire à l’extérieur (notamment Paris) de deux manières.
La première est la répression. En témoigne le double enlèvement de Paul Ismaël Boro et de Moussa Kimbiri, deux alliés électoraux de Soumaïla Cissé. La promptitude de leurs proches à alerter le directoire de campagne de ce dernier et la célérité de cette structure à médiatiser la double opération leur ont peut-être évité de connaitre le sort des infortunés qu’on désigne sous le vocable de ” disparus “.
La seconde manière à contester a anticipé d’un mois la date des législatives. Elles auront lieu le 28 octobre (1er tour) et le 18 novembre (2e tour) prochains alors que les précédentes s’étaient tenues les 25 novembre et 15 décembre 2013. Une mesure visant probablement à déplacer le centre d’intérêt du microcosme politique. Et briser ainsi la dynamique des “marches contre la fraude “.
Tout en misant sur la pression de la rue qui peut, sur la durée et avec l’implication des forces syndicales, se révéler une arme redoutable contre un pouvoir tenant sur des béquilles, l’opposition groupée autour du candidat de la plateforme ” Ensemble restaurons l’espoir au Mali ” ne désespère pas d’obtenir gain de cause de la justice malienne. Et de trouver ainsi une issue pacifique à la crise.
C’est ainsi qu’elle a saisi la Cour suprême, jeudi dernier, d’une requête aux fins de ne pas procéder à l’investiture du candidat déclaré élu par la Cour constitutionnelle, IBK. Laquelle est prévue pour demain mardi 4 septembre, au palais de la Culture.
La requête se fonde, selon le collectif d’avocats de renom qui l’a rédigée, sur ” la violation par la Cour constitutionnelle ” de son texte fondateur datant de 1997, qui détermine ses règles d’organisation et de fonctionnement ainsi que la procédure suivie devant elle. Ce texte dispose notamment que les membres de la juridiction électorale ” ne doivent donner aucune consultation sur les questions relevant de (sa) compétence “. Or, soutient le collectif, la présidente de la Cour, Mme Manassa Dagnoko, a bien offert une consultation sur le vote par procuration au ministre en charge des élections. Même si ce dernier, averti sur son caractère erroné, l’a retirée à la veille du scrutin. Donc suffisamment tard pour empêcher le mal d’être fait.
Il reste qu’en s’érigeant en ” conseillère ” du ministre plutôt que d’observer une stricte neutralité, Mme Dagnoko a ” violé ” la loi qui a créé sa juridiction et détermine son fonctionnement. La même loi oblige ses pairs ” à constater sa démission d’office et l’Autorité de nomination à procéder à son remplacement dans les 30 jours “. En n’assumant pas leur part de responsabilité, les membres de la Cour constitutionnelle, relève le collectif d’avocats, “sont susceptibles de poursuite pour forfaiture“.
Il s’ensuit, par voie de conséquence, que ” les résultats définitifs proclamés par la Cour constitutionnelle et désignant le candidat Ibrahim Boubacar Keita président élu de la République sont nuls et de nul effet “. Sur la base de cet argumentaire, les candidats Choguel Kokalla Maïga, Daba Diawara, Dramane Dembélé, Oumar Mariko, Modibo Sidibé, Mamadou Traoré, Mohamed Ali Bathily, Mountaga Tall, Moussa Sinko Coulibaly, Soumaïla Cissé, par le biais du collectif, sollicitent la Cour suprême de surseoir à l’investiture d’IBK étant donné que “les organes qui ont permis de prendre l’arrêt déclarant (sa) victoire sont poursuivis pour avoir commis des infractions à la loi “.
La plus haute juridiction malienne a, jusqu’à ce lundi, pour décider si, demain mardi, elle installera ou non IBK à la magistrature suprême du Mali pour un second mandat de cinq ans.
Sa responsabilité peut être historique. Comme l’a été celle de la Cour suprême du Kenya, lors de la présidentielle qui s’est déroulée dans ce pays en 2017. Saisie par l’opposition pour diverses irrégularités ayant entaché le scrutin et favorisé, selon elle, la réélection de Uhuru Kenyatta à 54,27% contre 44,74% pour son rival Raïla Odinga, contre toute attente, elle a annulé la consultation. Et ordonné une nouvelle élection dans les 60 jours. Une première en Afrique, saluée dans le monde entier comme une avancée remarquable dans la démocratisation du continent. Uhuru a gagné à l’issue du scrutin renouvelé.
La décision lucide, courageuse, conforme au droit de la Cour suprême kenyane a évité au pays de Jomo Kenyatta de revivre le cauchemar des milliers de morts et des destructions massives de biens consécutif à la présidentielle de 2013. Elle a ouvert la voie à une vraie paix des cœurs et des esprits et les deux rivaux Uhuru et Raïla se sont réconciliés depuis peu.
Peut-on rêver d’un tel scenario au Mali ?
Précision: Dans le système électoral kenyan, il n’existe pas de Cour Constitutionnelle en tant que telle. C’est la Cour suprême qui arbitre les litiges électoraux parmi ses autres attributions. Ses sept juges sont tous nommés par le président de la République, ce qui ne les a pas empêchés d’annuler son élection.
Par Saouti Haidara
Source: L’Indépendant