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Lettre ouverte du général Yamoussa Camara au président IBK : « Je demande humblement une réparation à hauteur du préjudice subi »

Le Général Yamoussa Camara s’adresse dans une lettre ouverte avec « objet : demande de réhabilitation » à son Excellence Ibrahim Boubacar Kéita, président de la République, Chef de l’Etat, Chef suprême des armées.

 

Excellence, Monsieur le Président,

J’aurais de loin préféré profiter, en une occasion plus heureuse, de l’énorme privilège qui s’offre à tout citoyen d’un État de droit, de s’adresser à celui qui assume la destinée de la Nation par la volonté du peuple souverain. Vous restez le dernier rempart contre l’arbitraire et l’injustice. Si gouverner est difficile, gouverner en situation de trouble est autrement compliqué. Vous l’avez si bien intégré que vous ne cessez de répéter à l’envie que tout homme n’est pas fait pour gouverner. En outre, le parfait relevant de Dieu, l’erreur est intrinsèquement liée à l’œuvre humaine. Tomber et se relever, ne jamais renoncer tout en demeurant dans la limite des lois, est le propre de l’homme d’action convaincu de la justesse de sa cause.

Excellence, Monsieur le Président,

Loin de moi une volonté quelconque de mettre à l’épreuve votre haute fonction. Fonction que vous exercez du reste, pleinement, avec dignité et humilité. Vous le rappeliez encore, il y a de cela quelques jours, à l’occasion des traditionnelles présentations de vœux. Mais c’est sous la protection des lois que les hommes vivent et travaillent. Se soumettre aux lois de la République n’est donc pas un acte de faiblesse. Cela aussi est un acte d’humilité et de grandeur. Vous concernant, j’ai d’abord eu de l’estime pour l’homme avant d’adopter puis de soutenir à mon modeste échelon (sans calcul aucun), l’homme politique, comme jamais je ne l’ai fait auparavant. Et vous me rendiez si bien ! Vous m’appeliez dogo (petit frère). Il a fallu que ce qui devrait être fût. Le destin est implacable. Je suis voué aux gémonies depuis plus de six ans, victime du devoir et d’une vulgaire guéguerre de positionnement de courtisans débridés. Vous le savez mieux que personne. Depuis, je vis l’arbitraire du ni … ni, ni jugé, ni innocenté. Et ce pays serait un État de droit ! On ne peut pas sortir de l’Etat de droit puis prétendre défendre l’Etat de droit.

Excellence, Monsieur le Président,

Je ne quémande aucune faveur, aucun passe-droit. Mais l’égalité devant la loi est garantie par la Loi fondamentale: Art. 2. Le droit est dit à l’avantage de tous. Moi aussi, j’ai droit à la protection de la loi. Les vrais acteurs ou complices de cette triste affaire des bérets rouges sont ceux qui géraient les effectifs au quotidien, établissaient et/ou manipulaient les listes. Ils n’ont jamais été mis en cause. Sont-ils au-dessus des lois ? Les même percevaient mensuellement les droits innocemment mis en place par le ministre de La Défense, sur la base des listes par eux fournies. Qu’en ont-ils fait ? Si nul n’est au-dessus des lois, nul ne devrait être protégé contre sa responsabilité. Récemment encore, vous disiez la main sur le cœur, que vous n’êtes pas celui qui interfère dans les affaires judiciaires. A l’annonce de ma mise sous séquestre, votre SEGAL d’alors eut ces mots plutôt troublants: pourtant, j’avais dit d’arrêter. Difficile par ailleurs, d’imaginer des magistrats violenter la Constitution à votre insu. Vous en êtes le garant : Art. 29. Mais je ne suis pas dupe. Je fus embastillé pour une tout autre raison que vous aviez peut-être de la gêne à confesser. Pour autant, une infraction dont les éléments constitutifs ne sont pas déterminés par la loi, n’en est pas une. Je n’ai commis aucune infraction, en tout cas au regard du droit positif malien.

Excellence, Monsieur le Président,

En insistant sur ce déni de justice sans précédent dans l’histoire politique du pays, je n’ai aucune intention malveillante. Je ne recherche aucune vengeance. Ce serait trop demander. D’ailleurs, en aurais-je les moyens ? Vous exercez la plénitude de vos fonctions. Vous êtes le pivot du système. Je tiens à témoigner pour l’histoire. J’ai déjà payé à la place de tous les autres. Dieu fera le reste. Je ne voudrais surtout pas porter atteinte à la cohésion des troupes par ces temps de crise : une vertu essentielle, découverte sur le tard par votre gouvernement pour justifier le report sine die d’un procès improbable. Je resterai toujours positif. Cette cohésion dont on a souci aujourd’hui et que l’on tient tant à préserver, fut malheureusement mise à mal dès le début par la justice de la volonté du gouvernement. Et pour cause : le chef d’Etat-major général des armées et le ministre de la Défense au moment des faits ont chacun, ses adeptes, ses contradicteurs et ses contempteurs dans toute la chaine impliquée dans le processus de génération et de déploiement des forces sur le théâtre d’opérations. Ce qui s’est passé, ne peut qu’aiguiser et grossir les querelles intestines – j’allais dire la malédiction du Prytanée militaire (ôtes-toi de là) – qui subsistent à différents niveaux de la hiérarchie, surtout que le droit n’a pas été dit. La cohésion en est irrémédiablement affectée. C’est aussi cela la rançon de l’imposture. La fin ne justifie pas tous les moyens.

Excellence, Monsieur le Président,

Dieu a voulu que je fusse, même de façon éphémère, votre Conseiller miliaire. Je ne le fus pas, je n’eusse pas connu autant de mépris. Pour avoir donné un détail technique, qui nécessitait un minimum de culture militaire, l’alchimie du Machiavel national aura réussi à vous retourner contre moi. On m’a voué aux gémonies, volé ma réputation en enchaînant ma liberté́. J’avais compris que mon rôle consistait à dire, dans mon domaine de compétence, la vérité effective des choses. C’est bien ce que je fis en votre présence, sans me soucier que cela pourrait déplaire. Je suis ainsi malheureusement. Je ne sais pas tricher. C’est ainsi que j’ai été éduqué. Et c’est ainsi que je me conduirai toujours, en droite ligne de la pure tradition du Mandenka à tous crins. Six années de séquestration et de lynchage médiatique. J’ai souffert le martyre : coupable de rien. Ainsi va la vie. Là où il y a le bien, il y a aussi le mal. La douleur existera toujours à côté de la joie. Le paradis des uns est paré de l’enfer des autres. Sans avoir raison, on n’aura réussi sans raison à me mettre en prison. Je ne jouerai plus à la victime résignée. Je ne me laisserai plus traîner dans la fange. Je n’aurai de cesse durant ma restante vie, d’avoir rétabli mon honneur et ma dignité. Je me battrai jusqu’au bout …, jusqu’au bout du droit pour faire aboutir le droit.

Excellence, Monsieur le Président,

Je ne suis pas un politique et je ne risque pas de l’être un jour. L’honneur et la dignité sont sacrés. Mon honneur vaut plus que tout. Je ne servirai jamais de marchepied politique pour qui que ce soit. Ce pays est le seul coin de terre que nous avons en partage et qui ne nous paraîtra jamais comme un lieu d’exil. Le servir est un sacerdoce. C’est sur le chemin exaltant de cette noble tâche, que je me suis brûlé les ailes, victime d’une accusation outrancière dans le seul dessein de satisfaire des ego surdimensionnés.

Vous aviez tous les moyens pour distinguer le vrai du faux. Il vous suffisait de le vouloir. Mais je suis sûr que vous étiez sûr d’avoir raison. Si l’objectif recherché était de m’embastiller pour faire la preuve d’un facteur de puissance, vous auriez pu simplement vous abriter derrière de vagues raisons d’Etat. Le résultat eût été le même, avec l’avantage que cela vous aurait évité une théâtralisation de la justice et ainsi mettre à mal la crédibilité du discours politique. J’aurais vu en cela la main du destin et je me serais tu peut-être. Alors pourquoi faire compliquer ?

Excellence, Monsieur le Président,

Il ne vous coûtera rien de remettre les choses à l’endroit. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Si nul n’est au-dessus de la loi, nul ne devrait être en dessous non plus. Moi je le suis. Je demande humblement une réparation à hauteur du préjudice subi. Saviez-vous que dans mon arbitraire exil à Markala, mes parents et mes rares amis qui mettaient 5 à 6 heures d’horloge pour atteindre mon asile (la route était en construction), n’avaient droit qu’à 30 minutes de communication ? Saviez-vous que durant 70 jours (du 02 juin au 10 août 2014), on avait oublié que j’avais besoin de manger pour tenir jusqu’à un hypothétique procès ? Ma prime d’alimentation ne fut pas renouvelée. Mon épouse dut s’organiser depuis. Saviez-vous qu’au décès de ma vieille maman, je fus juste autorisé à participer aux obsèques avant de regagner mon arbitraire asile, au Camp-1 de la gendarmerie, au milieu de subordonnés dépités ou revanchards ? Saviez-vous … Inutile d’énumérer toutes les méchancetés. Dieu tient son registre. Du reste, bien avant, j’ai vu, sans rien dire ni rien faire, le désamour s’installer et s’épanouir. Même mon rang protocolaire, objet d’une décision, ne convenait plus. Je devrais me mettre après tous les autres. Qui plus est, j’étais du voyage du Qatar. Je n’ai pas reçu le moindre centime. J’aurais dû en tirer les conséquences et me retirer avant que la fortune se retire. Cela aurait passé pour un défi. Je guettais l’occasion que je n’ai pas eue.

Excellence, Monsieur le Président,

Chacun de nous fera son temps et le temps aura raison de nous. Seuls résisteront à l’épreuve du temps nos rares bienfaits et nos fautes impardonnables. La postérité érigera des stèles et des monuments à la gloire des plus méritants. J’étais prêt à tous les dévouements pour vous accompagner dans votre difficile mais exaltante mission. C’était la voie royale que j’avais choisie pour solder le capital de confiance placé en moi. Et croyez-moi, j’aurais pu être plus utile qu’un allié de revers. Le péché originel qui a servi d’alibi pour oser exploiter l’énorme émotion compassionnelle provoquée par l’assassinat des militaires bérets rouges, fut commis en défendant la République. Je le referai assurément dans les mêmes conditions. C’est aussi cela le Mali d’abord. Tout autre citoyen soucieux de défendre l’intérêt supérieur du pays, l’eût fait sans forfanterie, a fortiori le ministre de la Défense que je fus.

Excellence, Monsieur le Président,

Dieu a voulu que je n’eusse décliné le poste-piège de Chef d’état-major particulier. Cet épisode restera le cauchemar de ma vie. Maintenant que je crois avoir accompli ma part de pénitence, je voudrais vivre en paix et en harmonie avec mon environnement social. Et quoi que vous fassiez, on me mettra toujours à l’index. C’est là une vieille recette de la propagande : calomnier, calomnier …, il restera toujours quelque chose. Fut-ce là la rançon de la dévotion et du devoir accompli ? J’implore votre indulgence si j’ai été un peu long. J’ai tant de choses à dire !

Espérant que la présente aura retenu toute votre attention, je vous prie Excellence, Monsieur le Président de la République, Chef suprême des armées et gardien des Lois, de bien vouloir daigner dans la plénitude de votre haute fonction, réhabiliter un citoyen heurté dans sa dignité et dans son désir de servir la Patrie.

Avec toute ma gratitude, je vous prie de croire en l’expression de mon très profond respect.

Bamako le 14 janvier 2020

Général Yamoussa Camara, Ancien ministre de La Défense et des Anciens combattants, Officier de l’Ordre national

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