Dans une lettre adressée à l’élite malienne, Mamadou Lamine Siby, un analyste et homme politique, parle des changements de comportement chez le peuple malien qui, selon lui, commence à se révolter pour son droit. Aussi, a-t-il déploré les difficultés que connait le Mali.
Lisez la lettre
Margaux Bonhomme, réalisatrice de son état, a choisi de donner comme titre à son premier long-métrage, marche ou crève. Nous nous disons à l’élite malienne : « penser ou crever ? Choisissez ! »
C’est sur ce vers que nous introduisons cette lettre aux allures d’alerte à la bombe adressée à la bien-pensance malienne.
En effet, depuis un certain temps nous constatons de profondes mutations sur le plan sociétal, un malaise généralisé s’empare du pays. Notre jeunesse dans sa grande majorité demeure sans repères, déboussolée, dans un grand besoin de s’identifier. Elle semble plutôt s’inscrire dans une logique de défiance. Les citoyens de manière générale désavouent l’Etat et les institutions qui l’incarnent (parce que ne lui trouvant plus légitime), le fossé entre l’élite et sa base s’élargit inexorablement, l’institution sociale de base (la famille) n’éduque ni n’élève encore, on crie haro sur les partis politiques, l’idée d’une résistance citoyenne face à l’aristocratie élitiste germe et semble de mieux en mieux organisée. Le temps de l’Etat légitime paraît révolu. Des insurrections parfois pensées parfois spontanées s’observent un peu partout dans le pays. Bref, la société malienne semble enclencher une nouvelle dynamique, mais dans quel sens ?
Dès lors, n’est-il pas raisonnable que de conclure à la fin d’un temps ?
Chers gens de l’intelligentsia malienne,
Vous direz que rien n’est indéfiniment statique, que le Changement est un phénomène inévitable à caractère cyclique auquel sont soumis tous les peuples du monde, serait une insulte à cette grande capacité intellectuelle dont vous disposez, qui vous distingue du banal et vous permet de justifier vos différentes positions privilégiées dans la pyramide sociale.
Aussi, vous rappeler l’un des enseignements fondamentaux du philosophe théoricien du pouvoir qui dit ceci : « face au changement (qui est inéluctable par ailleurs), le souverain doit développer deux aptitudes fondamentales qui restent la prévisibilité et la mesure… » et de continuer en disant que la prévisibilité du souverain lui permettra d’être acteur du changement au lieu de le subir infailliblement. La mesure lui permettra de vaincre son égo et accepter l’immuable, n’en demeurerait pas moins une insulte à vos distinguées personnalités tant vous ne manquez pas de culture.
Vous rappelez également que Gouverner c’est anticiper, pourrait s’avérer prétentieux.
Chers gens de la bien-pensance malienne,
Voudriez-vous comprendre que l’inédite crise déclenchée en 2012 et dont nous subissons encore les méfaits (toutes ces humiliations au quotidien) semble engendrer par ricochet, une prise de conscience généralisée chez les masses populaires ? En effet, comme toute situation profondément douloureuse, la crise a provoqué une vague d’indignations et l’indignation sur le plan humain, a une vertu : elle permet à l’indigné de se découvrir. Le peuple malien semble donc se découvrir et prêt à défier ce malheureux système qui lui tient depuis près de trente (30) ans. La plupart de vos compatriotes indexe le système actuel de gouvernance né de mars 1991, comme étant à l’origine des malheurs de l’heure.
Ainsi, en analysant le contexte général actuel du pays, nous nous rendons compte de la détermination des masses à imposer du nouveau à la classe gouvernante. A la place des structures traditionnelles de pouvoir, d’autres structures alternatives sont créées à longueur de journée (des regroupements spontanés, des collectifs et associations tous azimuts se forment et rappellent la défaillance chronique de l’Etat jacobin). La force de l’indignation semble désormais en branle.
Concrètement, nous voyons des populations composées de toutes les générations s’organiser à Kayes, à travers des méthodes plus actives pour exiger de l’Etat, son devoir. Par effet mimétisme, la même chose est observée à Gao et à Tombouctou. À Mopti, c’est l’exaspération. À Kolondièba et ailleurs, ça murmure déjà. C’est un vent qui souffle désormais, le vent du changement.
En outre, il ne se passe plus une décade sans que des citoyens désenchantés n’entreprennent des actions allant des barricades sur les routes, de marches solitaires et symboliques, à l’affrontement des figures d’autorité. Tout ce qui brille, semble être pris pour de l’or tant la soif du changement est grande.
Mes estimés frères et sœurs de la bien-pensance,
Peut-être qu’il faille rappeler que dans l’histoire du monde, aucune révolution ne fut sans signes avant-coureurs. De la même manière, elles ont toutes eu pour cause sous-jacente, l’indignation. Votre peuple, nous l’avons dit plus haut, commence à s’indigner véritablement et vos différentes attitudes laissent croire en une négligence coupable. Rappelez-vous l’effondrement du tout-puissant empire anglais en Inde (ce sous-continent), il est parti d’un « banal sentiment d’indignation », né d’un banal fait pour l’époque. En effet, le plus illustre des Indiens, le principal héros de l’indépendance du pays, Mahatma Gandhi, un jour, quelque part en Afrique du Sud fut sommé de quitter le wagon dont il avait le billet (1ère classe) pour un autre qui devait lui convenir parce qu’indigène.
Face au refus de l’homme, il fut débarqué du train manu militari au prochain arrêt et laissé sur le quai en guise de punition de sa résistance.
Le système colonial anglais venait de poser un acte fatal, il indigna l’homme et l’homme se découvrit aussitôt. L’engagement militant de Gandhi est né de cet incident qui inspira par la suite, toute une philosophie de lutte.
Mes chers amis de l’élite malienne,
Nous vous épargnerons volontiers d’autres exemples de ce genre parce que ne doutant point de votre grande culture, vos capacités d’anticipation, vous êtes loin de ces êtres incultes et ignorants que Montesquieu appelle quelque part dans les lettres persanes, les mauvais Troglodytes. En lisant bien entre les lignes et en prenant soin de nos vers, vous comprendrez aisément que les gens deviennent de plus en plus exigeants, qu’ils ne veulent plus être gouvernés comme avant. Alors, et si la période pré révolutionnaire s’annonçait déjà ? Comprendra qui pourra !
Mamadou Lamine SIBY, Analyste et homme politique
NB : Le chapô et le titre sont de la rédaction du journal « Le pays ».
Source: lepays