Ce n’est plus aujourd’hui une hypothèse, c’est désormais une certitude. Le groupe russe privé Wagner arrive au Mali. En nombre important. Une arrivée dénoncée par une quinzaine de pays de l’Union européenne et de l’OTAN. Elle pourrait remettre en cause les missions EUTM Mali et task force Takuba.
La mission de formation EUTM Mali comme la mission d’accompagnement Task-Force Takuba sont menacées directement par l’arrivée des Wagner.
Les Européens s’étaient fixés, dès fin septembre, une ligne rouge très claire, dénonçant l’arrivée des Wagner dans des termes assez équivalents à cette déclaration (lire : Les Wagner dans l’interstice malien. Une ligne rouge pour les Européens)
On assiste au même phénomène qu’en République centrafricaine, avec un enjeu très clair : la fin ou la suspension de certaines activités de formation menées par les Européens (lire : Face à Wagner en Centrafrique, l’Europe se retire. Russie : 1 point)
Le sujet sera évoqué directement par les ministres de la Défense de l’UE lors de leur réunion informelle de Brest mi-janvier (lire : Wagner, spatial et boussole stratégique, à l’agenda de l’informelle défense de Brest).
L’arrivée des Wagner dénoncée par quinze pays
Plus de 1000 personnels russes pourraient être déployés sur le terrain (formateurs et personnel de soutien). Une arrivée que dénoncent, dans une déclaration où les mots sont assez clairs pour qui les lit précisément, une quinzaine de pays membres de l’Union européenne et/ou de l’OTAN (1).
« Nous condamnons fermement le déploiement de mercenaires sur le territoire malien. Ce déploiement ne peut qu’accentuer la dégradation de la situation sécuritaire en Afrique occidentale, mener à une aggravation de la situation des droits de l’homme au Mali. »
NB : tous les pays signataires participent de près ou de loin à la task force Takuba ou sont impliqués dans la Minusma. On remarquera trois absents notoires dans cette liste : l’Espagne, la Hongrie et la Grèce.
Un fait avéré
Cette assertion n’est pas faite au « doigt mouillé ». Elle se base sur des faits objectifs, observés et vérifiés sur place. Tout d’abord, la construction d’un camp sur l’aéroport de Bamako. « Des installations, de type militaire, ont été mises en place de manière urgente sur l’aéroport de Bamako, permettant l’accueil d’un chiffre significatif de mercenaires », indique un diplomate lors d’un briefing fait à quelques journalistes (dont B2). Et l’arrivée est imminente. On a observé aussi des « commandes de nourritures en grosse quantité. En général, cela signifie que l’on prévoit de les accueillir à brève échéance ».
L’implication des forces russes
L’ensemble de l’opération a « fait l’objet de transferts aériens impliquant les forces armées russes et a été supervisé localement par des opérateurs de Wagner », poursuit notre interlocuteur. Des rotations en nombre « assez significatif » pour dire qu’un « déploiement de Wagner est en cours ». Il n’y a « pas d’étanchéité entre ce que font les forces armées russes et le groupe Wagner ». Un point dénoncé très clairement par l’ensemble des pays signataires (2).
Un financement malien et par concessions minières
Ce contrat a donné lieu à un versement des autorités maliennes. Le chiffre de 10 millions $ par mois (mentionné par les autorités américaines dans un précédent communiqué) n’est pas confirmé officiellement. Mais les Quinze dénoncent la décision des autorités de transition maliennes « d’utiliser des fonds publics déjà limités pour rétribuer des mercenaires étrangers ». Du côté français, on assure aussi avoir « identifié la présence de géologues russes » dans la région, « en lien avec cette implantation » de la société Wagner.
Un gros point d’interrogation sur la suite des missions
Cette arrivée pourrait remettre sérieusement en cause les opérations menées sur place qui ont une visée de formation des forces armées maliennes (FAMA), que ce soit la mission de formation de l’Union européenne EUTM Mali ou la task-force Takuba.
Une position en forme d’ultimatum aux autorités maliennes
La position des Quinze est « forte », commente un diplomate français. Qui dénonce « l’incompatibilité » de l’arrivée des Wagner avec tout ce qui a été engagé par les Européens que ce soit directement — au travers de la mission de formation EUTM Mali, du soutien aux forces armées, via la facilité européenne de paix (lire : 24 millions € pour les forces armées du Mali) — ou en coalition — via la task-force Takuba ou l’opération Barkhane. L’objectif de la déclaration est clair : « prendre acte de ce changement et demander aux autorités maliennes de faire les choix ».
La coopération continue … pour le moment
Sur la suite, cela parait plus flou. Pour l’instant, la coopération avec les forces armées maliennes se déroule « bien », assure une source française. C’est « la base de notre action ». Mais assurément, « le jour où nous ne serons plus en mesure de remplir la mission qu’on s’est fixée [la mission anti-terroriste], cela remettra les choses en question ».
Des forces françaises sur le départ ?
La présence internationale au Sahel « existe depuis le début de l’intervention française en 2013, à la demande des autorités locales », explique un diplomate. C’est un élément factuel de base « qui reste vrai aujourd’hui ». Sous entendu, quand le gouvernement local demandera aux forces françaises de partir, elles le feront.
Commentaire : l’arrivée des Wagner a d’abord été déniée, puis sous-estimée. Elle est aujourd’hui avérée. Certes les Européens disposent d’une capacité de riposte assez massive, via le soutien financier et le soutien militaire. Ils ont même renforcé récemment cet arsenal en mettant en place un cadre possible de sanctions (lire : Mali. Les empêcheurs de démocratie pourront être sanctionnés).
Mais on a aussi vu que la notion d’ultimatum, pratiquée avec les Africains, était à double tranchant. Ce qui s’est passé en Centrafrique le montre. Il y a cependant des différences nettes : l’évolution au Mali est autrement plus rapide qu’en Centrafrique où il a fallu quatre ans à Wagner pour ‘expulser’ les Européens (lire : Centrafrique. La présence russe et du groupe Wagner menace l’avenir des missions PSDC (EUTM, EUAM). Il y a une junte militaire au pouvoir arrivée par un coup d’État (et non une élection). Et les Africains d’Afrique de l’Ouest (la CEDEAO) ont condamné vertement cet acte. Et l’enjeu est autrement plus important pour les forces françaises et européennes.
Le Mali comme le Sahel est un point central de la présence militaire française et européenne, tant en termes opérationnels que de stratégie de sécurité. La présence russe n’est donc pas du tout fortuite. C’est une bataille de pouvoirs à laquelle on assiste au Mali, qui pourrait déborder rapidement sur les pays voisins (Burkina Faso en particulier, Niger également).
(Nicolas Gros-Verheyde)
Bruxelles