Après la mort de dix de ses soldats en trois semaines au nord du Mali, le Tchad dénonce le traitement « discriminatoire » réservé à ses troupes au sein de la Minusma.
Appels sur l’actualité revient sur cette accusation selon laquelle la mission de l’ONU les utiliserait comme « bouclier ». Ou même de « bétail pour les jihadistes », de l’avis des responsables du contingent tchadien. Un officier a même prévenu : « Si ça continue, nous allons plier bagages ». Mais le dernier mot revient à Ndjamena. Dans un communiqué, le gouvernement tchadien « constate avec regret que son contingent continue à garder ses positions au Nord-Mali et ne bénéficie d’aucune relève. Pire, affirme-t-il, notre contingent éprouve des difficultés énormes pour assurer sa logistique, sa mobilité et son alimentation ». Et d’inviter les responsables de la Minusma à opérer « un traitement juste et équitable de tous les contingents mobilisés dans cette opération ».
Les soldats de l’armée tchadienne se plaignent d’être menacés sur le terrain. Quel est leur rôle au sein de la Minusma ? Est-il important ?
Rappelons qu’à l’origine, les éléments tchadiens étaient intervenus pour épauler directement les Français dans la reconquête du nord du Mali et qu’ils ont su faire preuve de grandes qualités guerrières, particulièrement lors de la bataille de l’Amettetaï… Ils ont d’ailleurs payé un lourd tribut à ces opérations, début 2013, puisqu’ils ont perdu en quelques mois près d’une quarantaine de soldats – 38 selon les autorités tchadiennes – et que plus de 80 ont été blessés. Puis, ils sont entrés dans la Force africaine qui est devenue ensuite la Minusma. Mais les Tchadiens ont souvent été visés par des attentats, comme fin 2013 à Tessalit – un attentat suicide. Puis ils ont été visés par des bombes artisanales et des mines antichars : le 14 septembre, à Aguelhok, et encore, quelques jours après, quand 5 Tchadiens ont trouvé la mort au passage de leurs véhicules.
Estimez-vous que les Tchadiens soient plus exposés que les autres forces de la Minusma ? Ou sont-ils devenus la cible prioritaire des jihadistes ?
Il suffit de regarder une carte. Le Tchad aligne deux compagnies à Kidal – 2 fois 150 hommes –, où la situation sécuritaire est loin d’être calme, et surtout un bataillon tchadien – 500 hommes de plus – dans la zone de Tessalit-Aguelhok, un zone où là encore, les groupes armées terroristes sont actifs. Vous avez vu les déclarations récentes du patron des Opérations de maintien de la paix de l’ONU, Hervé Ladsous, qui s’inquiète du retour des jihadistes dans le Nord-Mali. Cela dit, à Kidal il y a aussi des Guinéens, et à Tessalit, de mémoire, des Cambodgiens, et ils n’ont pas été aussi activement ciblés… Alors peut-être que la stratégie des groupe jihadistes est maintenant de s’en prendre en priorité aux Tchadiens, qui peuvent être considérés comme les militaires les plus aguerris, donc les plus dangereux du point de vue de leur adversaire… Sachant que les Français ne maintiennent plus que quelques dizaines d’hommes au Nord-Mali dans le cadre du Détachement de liaisons et d’appuis…
Est-ce aussi une question d’équipement ?
A quelques exceptions près, les véhicules tchadiens ne sont pas conçus pour résister aux mines ou aux engins explosifs improvisés les IED : la fameuse norme MRAP, un acronyme britannique qui signifie « véhicule résistant aux explosifs ». Mais cela dit, les Français non plus…
Alors, est-ce une question de procédure tactique ?
Il y a ce qu’on appelle la « technique d’ouvertures d’itinéraire », qui consiste à aller vérifier l’état de la route devant. Mais pour que cela soit vraiment efficace, il faut inspecter la zone très de peu de temps avant le départ, sans quoi votre adversaire aura peut-être le temps de miner le passage avant votre arrivée. Là encore, ce sont des techniques particulières qui nécessitent l’emploi de spécialistes du Génie. Je ne suis pas sur que les Tchadiens disposent de l’ensemble de ces compétences et équipements. Il faudra peut-être aussi qu’ils adaptent leur tactique en étant moins dépendants des axes, en clair, en passant à travers champs là où leur chemin est moins prédictible…
L’armée tchadienne pourrait-elle se retirer de la Minusma à cause de ces menaces ?
Vous avez entendu les accusations très lourdes du gouvernement tchadien, qui affirme que son contingent est utilisé comme « bouclier » par les forces de la Minusma. C’est vrai que les Tchadiens sont en première ligne. Et la Minusma est train d’essayer de les soulager, peut-être en mettant en place un système de rotation, de manière à ce que ça ne soit pas toujours les mêmes qui se retrouvent les plus exposés… Les discussions durent depuis une bonne semaine maintenant, et pour l’instant pas de changement concret sur le terrain, mais cela ne saurait tarder, a indiqué une source militaire à RFI : « Ils vont trouver un accord, les Tchadiens ne partirons pas ».
Quelles seraient les conséquences de l’abandon par le Tchad de sa mission onusienne ?
Premièrement, cela signifierait le départ, on l’a dit, des éléments les plus aguerris de la Minusma, même si les Tchadiens ne constituent pas le contingent le plus calme. On a déjà évoqué sur cette antenne des mouvements d’humeurs, des débuts de mutineries, voire des expéditions punitives. Deuxièmement, ce serait aussi reculer devant la pression des jihadistes, qui ne manqueraient pas d’exploiter leur avantage en s’en prenant à des contingents de l’ONU considérés comme plus faibles. Il faudra donc regarder avec attention qui assurera la relève des Tchadiens et à quelle fréquence.
Source: RFI