Honorable Moussa Diarra, député élu en commune IV, membre fondateur du Rassemblement pour le Mali (Rpm), vice président du bureau national de la jeunesse de cette formation politique, nous a accordé une interview exclusive en début de semaine. Son combat contre la politique française au Mali, la suppression de la Taxe emploi jeunes, sa position sur les législatives, son avenir au Rpm…sont, entre autres, les sujets abordés avec l’Honorable Diarra qui est aussi président de la Commission du travail, de l’emploi, de la promotion de la Femme, de la Jeunesse, des Sports et de la protection de l’enfant au sein de l’Assemblée nationale du Mali.
Aujourd’hui-Mali : Vous êtes de nos jours une des figures emblématiques contre la présence des troupes françaises au Mali. Pourquoi avez- vous pris cette posture ?
Moussa Diarra : Je précise d’abord que ne suis pas contre la France ni contre le peuple français, mais je suis contre la politique française au Mali. Je rappelle au passage que nous avons tous salué, en son temps, l’arrivée de la force Serval. Aujourd’hui, nous sommes tous conscients aussi que la France est une puissance militaire et que, pour nous, sa présence sur le sol malien allait être utile dans le cadre de la lutte contre le terrorisme qui est de nos jours un phénomène mondial nécessitant une synergie d’action entre tous les pays partenaires. Mais nous avons constaté que, depuis environ 7 ans, malgré la présence des troupes françaises et étrangères, la crise sécuritaire, les attaques, vont crescendo contre les populations civiles, mais aussi contre nos forces armées (FAMAs). Ce qui m’amène forcément à dire que les raisons de leur présence ne se justifient plus, si ces gens-là ne sont pas en mesure d’éviter des atrocités comme ce fut le cas à Sobane Da, Kolongo, Ogossagou, Dioura…et récemment à Sokolo.
Nous ne pouvons pas comprendre que les terroristes viennent attaquer tout un camp militaire et livrer des combats durant deux heures de temps et malgré toute la logistique dont ces forces étrangères et l’armée française disposent qu’elles ne soient pas en mesure de les repérer. Et leurs interventions, c’est toujours pour constater les dégâts.
Mais le renfort doit d’abord venir de l’armée malienne, pourquoi vous imputez tout aux forces étrangères ?
L’armée française est là pour nous soutenir avec le vecteur aérien. La France est là avec une armada, un arsenal. Pour moi, le traité de coopération militaire que nous avons signé avec ce pays stipule qu’il doit nous aider en matière de renseignements, de formation, d’équipements logistiques…
A mon humble avis, après 5 ans, ce traité doit être réévalué et surtout que le résultat sur le terrain n’est pas à hauteur de souhait. Prenons l’exemple seulement sur le renseignement, lors des attaques de Sobane-Da, Sogolon, Dioura, Tabankort…il ya eu quelle prévention ? Quelle alerte de la part de ces partenaires ? Cela veut dire que le renseignement ne fonctionne même pas.
Lorsque nous avons interpellé les différents ministres concernés, eux-mêmes ont reconnu cela.
En tout cas, si la présence de la France est égale à son absence, cela mérite réflexion. Nous ne pouvons pas comprendre que toutes ces forces étrangères soient présentes et en même temps les attaques avec atrocité continuent. On doit donc se poser la question de leur utilité.
Mais Honorable, le président de la République, IBK, le ministre de la Défense et tous les experts sécuritaires sont unanimes quant à l’utilité de ces forces pour notre pays. Est-ce que vous ne prêchez pas dans le désert ?
Pas du tout ! Je ne suis pas contre la présence française, mais je veux que cette présence se fasse sentir sur le terrain et connue de nous tous. Si les autorités pensent que l’appui de la France et celle des forces étrangères sont indispensables pour nous, je n’en disconviens pas, mais aussi je pose à mon tour la question : quel est le résultat de leur présence sur le terrain ? Est-ce qu’avec cette présence les attaques contre les civiles, les militaires, les atrocités ont diminué ou cessé ? Ce n’est pas tout ! Je pose cette question qui mérite également une réponse. On nous dit que la France a des drones, je m’interroge surtout quant à leur utilité vu l’ampleur des attaques car les terroristes circulent à motos, en voitures, livrent des combats durant deux, voire trois heures de temps, sans être repérés par les drones.
Ne pensez-vous qu’avec la rencontre de Pau les choses vont changer ?
En tout cas, c’est le vœu de nous tous de voir ce changement de stratégie. D’ailleurs, nous qui sommes contre la politique française au Mali, nous aspirons à une paix durable. Nous ne sommes pas des ennemis de la paix. Nous allons suivre l’application de ces recommandations de la rencontre de Pau. Si ces mesures portent fruit à cette crise, tant mieux. Par contre, si nous voyons qu’il n’y a pas d’accalmie, ce qui n’est pas notre souhait, nous allons revenir avec nos propositions. Car nous sommes convaincus que même si on déploie tous les militaires européens au Mali, un jour ils vont partir laisser le terrain aux nôtres. Donc je pense qu’il vaut mieux mettre à niveau nos FAMAs, à travers des renforcements de capacités. C’est la solution pérenne à cette crise.
Honorable, quel regard votre parti, le Rpm, porte-t-il sur vous avec vos prises de positions osées contre un partenaire stratégique du Mali qu’est la France ?
Le parti n’a rien à me reprocher car le député est libre de ses opinions. La question de parti n’est pas très importante pour moi dans ce combat, mais c’est ma conviction personnelle qui me pousse à agir ainsi. Sauf que ma position de député a fait que ma voix porte au-delà de nos frontières.
Donc vous n’avez pas été rappelé à l’ordre par le Rpm ?
Non ! Le parti ne peut pas me rappeler à l’ordre. Me rappeler à l’ordre c’est trop dire car je suis assez responsable malgré ma jeunesse et surtout, dans ce combat, il s’agit de la patrie.
Excepté vous et l’Honorable Oumar Mariko, est-ce que d’autres députés à l’Assemblée nationale partagent vos points de vue par rapport à la politique française au Mali ?
Evidemment ! De nos jours, à l’Assemblée nationale, il y a beaucoup de députés qui partagent nos points de vue par rapport à la politique française au Mali et par rapport à l’inefficacité des forces étrangères.
Sur la centaine de députés à l’Hémicycle, on peut vous estimer à combien ?
Je ne saurai donner un chiffre exact, mais je sais que nous sommes très nombreux à l’Hémicycle à être contre la politique française. Ce sont des collègues qui sont 100% d’accord avec nos points de vue.
Mais sauf qu’ils ne s’affichent pas et on ne les entend pas parler comme vous dans les médias ou dans les manifestations ?
C’est vrai ce que vous dites. Mais il faut simplement reconnaitre que les gens peuvent voir les choses de la même manière, mais peuvent les traiter différemment.
Vous n’avez pas été retenu l’année dernière comme candidat du Rpm dans votre circonscription de la Commune IV. Pensez-vous qu’il y a un lien entre cet état de fait et vos prises de position contre nos partenaires étrangers ?
Je pense qu’il faut rectifier l’expression retenu car cela sous-entend que j’ai postulé. Ce qui n’était pas le cas car j’avais des informations comme quoi les élections seront reportées et j’ai même alerté centaines personnes. C’est pourquoi je n’étais pas candidat l’année dernière. C’est vrai que les élections ont été reportées, mais le choix des candidats avait été fait lors des conférences de section des partis politiques dont le Rpm. N’ayant pas pris part, donc je ne pouvais pas être sur la liste Rpm.
Mais, cette année, serez-vous candidat ?
Oui ! Je serai candidat, mais sans le Rpm car en commune 4 ils iront avec l’ancienne liste.
Vous allez vous présenter sous quelle bannière ?
Cela reste à déterminer en fonction de l’analyse politique au niveau de la commune. Et je suis démarché par plusieurs formations politiques. J’ai déjà informé la section Rpm de la commune IV de ma candidature.
Est-ce que vous voyez votre avenir au Rpm ?
Le temps nous en dira plus car je n’ai pas démissionné du Rpm. Pour rappel, je suis membre fondateur de ce parti et le temps est le meilleur juge pour savoir si j’ai oui ou non mon avenir dans cette formation politique.
En tant que président de la Commission jeunesse emploi, formation professionnelle à l’Assemblée nationale, quel jugement portez-vous sur la suppression de la Taxe Emploi jeunes, une taxe destinée à des structures comme le Fafpa et l’Apej ?
Je suis un peu déçu par rapport à la promotion de l’emploi et des jeunes, déçu par le fait qu’au moment où le président de la République Ibrahim Boubacar Kéïta place son second quinquennat sous le signe de la promotion de la jeunesse, certains aillent à la suppression des sources pérennes de financement des projets jeunes ! Cela est très difficile à comprendre. On ne peut dédier un mandat à la jeunesse et supprimer en même temps la Taxe emploi jeunes car ce sont avec ces taxes que des services comme l’Apej et le Fafpa parvenaient à accomplir leurs missions. Ces taxes-là ont été instituées par une loi. Auparavant, ces deux structures fonctionnaient avec la contribution forfaitaire des employeurs, mais les techniciens ont vu que cette contribution n’est pas la solution pérenne au financement des activités de l’Apej et du Fafpa, d’où la création, à travers une loi, de la TEJ (ndlr : Taxe emploi jeunes) qui était recouvrée par le service des Impôts à 100%. Donc il n’y avait pas un problème de mobilisation de ces ressources. Et les autres pays de la sous-région sont venus même s’inspirer de l’exemple malien. Au niveau de l’Uemoa, les ministres en charge de l’emploi veulent en faire une disposition communautaire, mais malheureusement, c’est au même moment que notre pays supprime cette taxe pour la remplacer par une contribution forfaitaire qui est même aléatoire.
Vous êtes déjà au courant que l’Apej prenait chaque année en stage plus de 3000 jeunes, affectés dans des structures. Avec l’avènement d’IBK ce quota a été porté à 5000 jeunes. Ce recrutement de masse permet de calmer l’ardeur des jeunes car l’emploi des jeunes est une question de sécurité sociale. Cette année, je ne pense pas si ce recrutement de masse aura lieu faute de ressource financière. Et j’ai eu même à interpeller le ministre des Finances, l’actuel Premier ministre (ndlr : à l’époque il n’était pas Premier ministre) lorsque j’ai eu vent qu’il voulait supprimer la TEJ. Et l’argument qu’il avait avancé pour justifier cette suppression ne tient pas.
Quel est cet argument ?
Parce qu’il avait dit qu’avec la contribution forfaitaire, les budgets de ces deux structures pourront être augmentés plus qu’avec la TEJ. Mais voilà qu’avec une année de fonctionnement avec la contribution forfaitaire, c’est le contraire de son argument qui vient de se produire car les budgets des deux structures ont drastiquement chuté.
Jai été surpris que ces taxes là soient supprimées et nous, en tant législateurs, nous n’avons pas été alertés par le ministre de l’Emploi et de la formation professionnelle. Si j’avais su, une semaine auparavant, j’allais pousser tous les pions pour l’éviter. Mais lorsque je m’en suis rendu compte, c’était trop tard.
Déjà que vous êtes déjà devant le fait accompli, qu’est-ce que vous proposez ?
Nous avons alerté le Cnj qui est membre du Conseil d’administration de l’Apej, nous avons aussi alerté l’Untm qui est au Conseil d’administration du Fafpa et chacun à son niveau va s’investir pour qu’on puisse avoir l’équivalent de la taxe qui a été supprimée. Si on ne trouve pas un remplaçant à ces taxes, il faut s’attendre à la disparition de ces deux services (Apej, Fafpa) dans les jours à venir.
A quelques mois de la fin de votre premier mandat, pensez -vous que vous avez accompli votre mission à l’Hémicycle ?
Pour répondre à cette question, je vais paraphraser un collègue, qui a dit qu’on peut être un bon député à l’Assemblée nationale, mais être un mauvais député à la base.
Quand vous prenez le rôle et les responsabilités d’un député, je pourrais dire que je suis l’un des plus comblés. Je préside une commission, j’ai mené le combat que je devais mener dans le cadre de la promotion de la jeunesse et de la promotion de l’emploi au niveau de l’Hémicycle, à travers les différentes interpellations.
Au niveau de mon groupe parlementaire, j’ai réalisé aussi un travail ardu. Par contre, un bon député, pour la base, c’est le peuple et la population d’en juger.
Réalisé par Kassoum THERA
Source: Journal Aujourdhui-Mali