Après presque vingt (20) ans en Italie, Seydou Coulibaly est retourné au Mali où il contribue énormément au développement local à travers une série d’initiatives. Promoteur de l’hôtel PIEMONT de Bougouni, directeur du Festival international Didadi, entrepreneur culturel avec une dizaine de salariés, cet ancien émigré est un exemple de réussite.
Après son baccalauréat en série Sciences Biologies Terminales (SBT), le jeune Seydou Coulibaly obtient une bourse d’études pour l’Algérie. «C’est de là que tout est parti », nous confie-t-il dans son bureau à l’entrée de l’hôtel Piémont de Bougouni.
Le jeune étudiant pose ses valises dans la ville algérienne d’Annaba où il étudie pour devenir technicien supérieur en Laboratoire d’analyse médicale. Cela a coïncidé avec les années noires du terrorisme en Algérie avec le GIA et le FIS. «Grand était le risque et constante la menace», se souvient-il.
En 2ème année, l’enfant de Bougouni obtient un visa pour se rendre au sud de l’Italie afin d’effectuer, pendant deux à trois mois, des travaux dans les champs de tomate. Il retourne en Algérie et obtient en 1994 son diplôme.
«Je suis rentré en Italie avec un visa de transit de trois jours»
Le parchemin en poche, il retourne au bercail pour tenter sa chance. A l’hôpital de Bougouni où il se rend, le jeune diplômé se heurte à l’absence d’équipements. « Il n’y avait rien au Laboratoire», se rappelle-t-il. Il est vite gagné par l’envie de retourner en Algérie. Il y retourne effectivement.
Sur place, il obtient un visa pour la Croatie où il prend un autre visa pour la Slovénie. « Je suis rentré en Italie avec un visa de transit de trois jours », déclare-t-il. Il se lève et fouille dans son armoire pour nous montrer le cachet du visa de 3 jours dans l’un de ses nombreux anciens passeports. «C’est ce visa de trois jours qui m’a fait faire 20 ans en Italie », ajoute Seydou Coulibaly. Sur place, il trouve des anciens camarades étudiants qui acceptent de l’héberger. Il est de la première génération d’aventuriers maliens qui viennent chercher de l’argent en Italie. « A l’époque, l’Italie n’était pas la destination prisée des Maliens».
De Naples, il descend vers la Sicile. Il séjourne dans une maison communale gérée à l’époque par Caritas. En fonction de la saison, il remonte souvent vers Naples. «On se débrouille avec des travaux non déclarés », révèle-t-il.
En 1996, lui parviennent des informations relatives à la possibilité de déposer une demande de permis de séjour. A la différence des autres camarades qui doutent de l’information, Seydou Coulibaly fonce et tente sa chance. Il prend le train pour aller voir un ancien patron en Sicile afin d’obtenir un document pouvant certifier qu’il a travaillé en Italie. Il constitue son dossier et le dépose. Il est le dernier demandeur à être inscrit dans le registre. Après le dépôt, on lui donne rendez-vous dans 21 jours. Le jour J, il présente son reçu à la policière qui vérifie. Divine surprise : son nom figure bel et bien parmi les bénéficiaires du précieux document lui permettant de sortir désormais de la clandestinité.
Après l’obtention de son titre de séjour, Seydou Coulibaly vient passer ses premières vacances au Mali, pour explorer, dit-il, des pistes de projets. «J’avais deux projets : le premier sur le transport et le second sur l’hôtellerie ». En effet, son souhait était de créer une compagnie de gros camions pour le transport du coton de la Compagnie malienne de développement des textiles (CMDT). Craignant une mauvaise gestion de ces engins en son absence, il abandonne ce projet et jette son dévolu sur la réalisation d’un hôtel.
Le Malien de l’extérieur s’ouvre à Oumar Baba Sidibé, à l’époque commandant de cercle de Bougouni. Ce dernier est séduit par le projet qui s’inscrit dans le cadre du développement de la ville. Il obtient une parcelle au pied de la colline. « J’ai commencé avec six chambres, une boîte de nuit et un petit bar en paillote », détaille Seydou Coulibaly. A son absence, l’établissement est géré par son père, un enseignant rigoureux, et l’un de ses petits-frères. L’hôtel PIEMONT grandit et est devenu une référence aujourd’hui avec une bonne cinquantaine de chambres, sans oublier une salle de conférence ultramoderne. «Je n’ai jamais épousé l’idée d’aller pour aller. Je revenais au moins une fois par an. On part chercher de l’argent mais il faut savoir pourquoi on cherche l’argent… », philosophe-t-il.
La décision de retourner au bercail
Le diplômé en laboratoire d’analyse médicale est embauché à Turin par une firme américaine évoluant dans le domaine de la fabrication des produits sanitaires. Ils sont deux Maliens et les deux premiers noirs que les Américains acceptent d’employer. Ce travail bien rémunéré lui permet de mener une vie modeste sans aucune extravagance.
En 2000, il se marie. Ses enfants sont nés en Italie et disposent de leurs cartes de séjour à durée indéterminée. Très attaché à ses racines africaines, il tient à offrir à sa progéniture une éducation inspirée des réalités de son pays. Mieux, Seydou Coulibaly prépare son projet de retour définitif au Mali. «Je constatais que ce je gagnais ici était plus important que ce que j’avais en Italie», ajoute-t-il. De façon régulière, il aide deux de ses petits-frères à migrer en Italie en 2003 et 2007.
En 2009, la firme américaine opte pour la délocalisation de ses activités en Asie. Dans ce cadre, elle propose aux travailleurs un licenciement volontaire. Comme du pain béni, Seydou Coulibaly bondit sur l’occasion. En 2010, il reçoit ses droits. Ce qui accélère son projet de retour définitif au bercail. En mars 2012, il rentre au Mali après presque vingt (20) ans en Italie avec ses multiples expériences, laissant une communauté malienne orpheline car il bénéficiait d’une bonne notoriété en son sein fondée sur la confiance. Il lui arrivait de garder au compte de ses compatriotes de fortes sommes d’argent.
Depuis son retour, il se consacre exclusivement à ses actions de développement. En aménageant une annexe de l’hôtel sur les berges du fleuve, il se positionne pour l’avenir en mettant un pied dans l’éco-tourisme, l’agro-business.
« La migration n’est pas une mauvaise chose »
De l’hôtellerie à l’organisation d’événements culturels, l’ancien émigré a franchi un pas important en lançant, en 2014, le Festival international Didadi de Bougouni qui en est, cette année, à sa 7ème édition. Il s’agit- là d’un projet culturel, touristique et économique pour la ville de Bougouni dont l’objectif est de valoriser les instruments de musique en voie de disparition. « C’est aussi pour drainer la population vers Bougouni. Ce n’est pas un projet à 100% culturel », explique Seydou Coulibaly.
En quelques petites années, le festival s’impose dans l’agenda culturel du pays. L’édition de 2019 a enregistré la présence de 122 exposants venus de 9 pays de la sous-région. « C’est l’unique festival qui a son propre site aménagé sur 2 hectares au bord du fleuve », précise son directeur.
Fervent défenseur de la tradition, il milite pour la la conservation de certaines valeurs traditionnelles. «On est en train d’abandonner tout au profit de n’importe quoi qui vient d’ailleurs. Nous sommes ce que nous sommes. Abandonner tout, n’est pas de mon goût », proteste-t-il. Avant d’ajouter : «Je crois que les Maliens ne savent pas dans quel bonheur ils vivent». Il analyse avec lucidité les différentes agressions contre les valeurs culturelles maliennes et évoque avec nostalgie l’éducation spécifique de ce pays, le sens de l’honneur et l’attachement du Malien à sa patrie. Pour Seydou Coulibaly, la migration n’est pas une mauvaise chose. Il se dit très peiné de voir aujourd’hui des migrants faire la mendicité dans le métro ou à la sortie des stations de métro dans plusieurs villes européennes. Le promoteur de l’hôtel Piémont et directeur du festival international Didadi de Bougouni emploie une dizaine de salariés. «Mon objectif est d’aider le pays», selon Seydou Coulibaly qui déclare croire plus aux valeurs du travail qu’au miracle.
Chiaka Doumbia
Source: Le Challenger