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Les mercenaires russes font main basse sur le Sahel

Après le Mali en septembre 2021, le Burkina Faso en octobre 2022, le Niger en mars 2023, la société de paramilitaires russes, Wagner, a débarqué au Tchad en avril 2024. Sur les cinq pays membres du G5 Sahel, seule la Mauritanie n’a pas encore succombé à l’offre de prestations sécuritaires enrobée du nom du célèbre musicien allemand.

Liman Nadaw , consultant au centre4s.org

Dans les trois premiers pays, membres de l’Alliance des États sahéliens, Wagner a supplanté les militaires français. Au Mali, précisément, les Russes ont pris aussi la place de la mission des Nations Unies pour le maintien de la paix au Mali (MINUSMA), partie fin 2023 à la demande de Bamako. Au Tchad, la firme russe cohabite avec des bases militaires françaises et américaines. Cette main basse de Wagner, de plus en plus rebaptisé Africa Corps, sur quatre des pays du G5 Sahel annonce le début d’une « nouvelle configuration géopolitique ».

La Russie est à l’aise au Sahel, depuis 2021. Elle n’a rien demandé, mais obtient tout de ses nouveaux alliés, tous des régimes militaires. Ce sont eux qui l’ont invitée, pour contrer l’influence de l’ancienne puissance coloniale, la France, et aussi pour échapper aux règles de gouvernance de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Pour ces nouveaux pouvoirs, la Russie constitue une sorte d’assurance vie. Le groupe Wagner a débuté ses activités au Mali à la fin de l’année 2021, quand la junte militaire malienne a rompu ses relations avec ses partenaires occidentaux, à la suite du double coup d’État du 18 août 2020 et du 24 mai 2021.

En juin 2021, la France a alors décidé de réduire sa présence militaire au Mali et de mettre un terme aux opérations conjointes avec les forces armées maliennes. Début 2022, les tensions avec les partenaires occidentaux du pays se sont aggravées après l’imposition par la CEDEAO de nouvelles sanctions au Mali. Bamako a riposté à ces mesures en refusant aux forces internationales l’accès à son espace aérien, et en expulsant, le 24 janvier, les troupes danoises puis l’ambassadeur français au Mali, le 31 janvier. Jeudi 17 février 2022 : la France, ses partenaires européens et le Canada ont confirmé le retrait du Mali des opérations militaires anti djihadistes – Barkhane et Takuba, du fait de la dégradation des relations avec la junte à Bamako. Le 15 août 2022, l’emprise de Gao, qui était la dernière base militaire française dans le pays a été transférée à l’armée malienne. L’essentiel des troupes et de la lourde logistique est relogé au Niger, partiellement via le Burkina Faso, avec des incidents sur la route, provoqués par des manifestants burkinabè et nigériens hostiles.

Burkina Faso : changement de partenariat 

Le Burkina a affiché son désir de changer de partenariat stratégique, dès la prise du pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré dit « IB ». Raisons invoquées : frustrations nées de la coopération avec Paris, donc souhait de diversification du partenariat dans la recherche de plus d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme. Début octobre 2022, les États-Unis, sentant sans doute venir les choses, ont mis en garde le régime du capitaine Ibrahim Traoré contre les risques d’une alliance avec la Russie, dont le groupe paramilitaire Wagner a affiché un franc soutien aux auteurs du dernier coup d’État en date. « Les pays où le groupe (Wagner) a été déployé se retrouvent affaiblis et moins sûrs, et nous avons constaté cela dans plusieurs cas rien qu’en Afrique », a dit à la presse un porte-parole du département d’État américain, Vedant Patel. Il avait précisé sa pensée, ainsi qu’il suit : « Nous condamnons toute tentative d’empirerait la situation actuelle au Burkina Faso, et nous encourageons fortement le nouveau gouvernement de transition à se conformer au calendrier convenu pour un retour à un gouvernement civil démocratiquement élu ». Conséquence d’une telle inclinaison, l’état-major général de l’armée burkinabé a annoncé, dimanche 19 février 2023, la fin des opérations de la force spéciale Sabre au Burkina Faso, composée de 300 à 400 soldats.

Le Ghana fut l’un des premiers pays africains à vendre la mèche russe, s’attirant les foudres de Ouagadougou. Le président Nana ghanéen, Akufo-Ado, en marge du sommet États-Unis Afrique, à Washington, mi-décembre 2022, s’inquiétait de voir « des mercenaires russes déployés chez son voisin du nord ». Quelques jours plus tôt, on apprenait que le Premier ministre burkinabé a quitté discrètement Ouagadougou, par un vol de l’armée malienne, pour Bamako, d’où il s’est envolé pour Moscou, le 07 décembre 2022. Le rôle de VRP du Mali a été crucial dans l’établissement de liens entre la firme russe et les autorités fraîchement issues du coup d’État de septembre 2022 au Burkina Faso.

Quant au Niger, même si les premiers contacts – discrets et non officiels – avec Wagner, datent du temps du président déchu, Mohamed Bazoum, le renvoi bruyant des soldats français et celui brutal de leurs collègues américains relèvent d’une punition pour « attitudes inconvenantes » après le coup d’État du 26 juillet 2023. La France a appelé les autorités militaires à libérer puis à rétablir Mohamed Bazoum dans ses fonctions de président de la République élu du Niger. Elle a même incité la CEDEAO à intervenir militairement au Niger, pour ce faire. En réaction, les soldats français au Niger auront été séquestrés, hués lors de « manifestations populaires », puis privés de vivres avant que Paris accepte d’évacuer ses 1.500 soldats, le 12 décembre 2023, et de procéder à la fermeture de son ambassade, annoncée le 20 décembre 2023.  La France a également rapatrié 577 de ses ressortissants vivant dans le pays. Le Niger a dénoncé les accords militaires signés avec la France, le 03 août 2023, au soir. Ces accords concernent le stationnement des troupes, le statut des personnels militaires ainsi que le renseignement.

Les États-Unis face aux Nigériens

Quant aux États-Unis, ils ont longtemps tergiversé avant de reconnaitre et de condamner le coup d’État du 26 juillet 2023, au regard des « brimades » infligées par la junte aux soldats et aux diplomates français. C’est seulement le 20 septembre 2023 qu’ils ont annoncé avoir épuisé tous les moyens de préserver l’ordre constitutionnel au Niger, et ont, par conséquent, déclaré que l’armée nigérienne avaient opéré un coup d’État.  Aussitôt, ils ont pris deux mesures énergiques, qui ont déplu à la junte : la suppression d’une aide de 500 millions de dollars et de la coopération militaire. En cela, ils appliquaient la loi américaine qui veut que la désignation officielle d’un coup d’État exige la suspension de l’aide, en conformité avec l’article 7008 du Consolidated Appropriations Act (CAA).  Sur la menace d’intervention militaire de la CEDEAO, les positions américaines ont paru, aux yeux de la junte, manquer de clarté.

Depuis 2012, le Niger était le plus grand bénéficiaire de l’aide militaire américaine en Afrique de  l’ouest et le second en Afrique subsaharienne. La vengeance étant un plat qui se mange froid, les nouvelles autorités du Niger ont annoncé, le 16 mars 2024, la rupture de la coopération militaire avec les États-Unis et ont exigé le retrait immédiat des troupes de leur pays. Les Américains disposent de plusieurs bases militaires au Niger: la base 201 à Agadez, la base aérienne 101, située à proximité de l’aéroport international Hamani Diori – à Niamey – et celle de Dirkou, construite dans la région d’Agadez et investie par la centrale de renseignement – la CIA. Un millier de soldats américains se trouvent au Niger. La base d’Agadez, où stationnent des drones Reaper et des avions de transport C 17, a couté 280 millions de dollars, en 2024. Seule celle de Djibouti la dépasse en envergure. Les Américains, au regard de la lourdeur du déménagement, ont négocié, dur, pour étaler cette opération d’évacuation jusqu’au 14 septembre 2024. Et comme ils tardent à partir, ils ont vu, le 10 avril 2024, arriver une centaine d’éléments de Wagner. Le 04 mai, de nouveaux « instructeurs » russes ont atterri à Niamey, à bord d’un « cargo humanitaire », pour un déchargement de nourriture et de produits de première nécessité devant les murs de la base où l’armée américaine stationne toujours.  À Niamey, les éléments de Wagner ont commencé à s’installer sur la même base que les Américains, selon les desseins, bien calculés, des autorités militaires nigériennes. Une bien étrange cohabitation que le secrétaire d’État américain à la Défense a du mal à évoquer. Le 3 mai courant, Lloyd Austin a, en effet, reconnu cette « colocation insolite », en la dédramatisant : « les Russes sont dans un bâtiment séparé et n’ont pas accès aux forces américaines » ni à ses « équipements ». Il a ajouté que « le déploiement russe ne posait pas de problème significatif […] en termes de protection de nos forces ».

La facture de Wagner.

Selon le département d’État américain, le gouvernement malien paie, par mois, 10 millions de dollars américains pour les services de Wagner. D’autres sources estiment que le montant est plus important, avançant que la junte a payé, de 2021 à nos jours, jusqu’à 200 millions de dollars à Wagner, sans compter les concessions minières accordées au groupe. Au Burkina Faso, où une centaine de combattants de Wagner sont arrivés en janvier 2024, des salaires mensuels de 3 000 Euros sont évoqués, officieusement. Le Burkina espère que ces effectifs vont s’accroitre, à l’image du Mali. Ils ont pour mission de sécuriser le régime du capitaine Ibrahim Traoré, de combattre l’extrémisme violent et de former des militaires burkinabè. On parle aussi d’une base qui est construite, pour eux, dans la banlieue de Ouagadougou. Des concessions minières sont aussi sur la table. La société minière russe Nordgold était déjà très active dans ce pays, dans le domaine de l’extraction de l’or surtout, depuis des années, avec des sites tels Bissa et Bouly. Elle possède aussi des permis sur Yimiougou. À cause de l’insécurité, son site de Taparko a été fermé, courant 2022

Le Tchad, dernier bastion français 

Après le départ forcé des troupes françaises du Mali, du Burkina Faso et du Niger, le Tchad reste leur dernier bastion au Sahel. La France y compte, actuellement, plus d’un millier d’hommes, répartis entre les trois bases de Faya-Largeau (au nord), d’Abéché (à l’est) et la base aérienne 172 de N’Djaména. Vu du Tchad, les Russes sont en Libye, au Soudan, en République Centrafricaine, au Niger. Ils ont renforcé leur position en Libye, et ils ont, par ailleurs, signé des accords de coopération militaire avec le Nigeria et le Cameroun. De plus, des liens très forts existent entre les armées tchadienne et nigérienne, favorisant des affinités entre le Tchad et la Russie. Autant dire que le président Mahamat Deby Itno était encerclé par des partenaires de Moscou. Son recours à Wagner relève du réalisme. Lors d’une visite à Moscou, le 24 janvier 2024, sur invitation de Vladimir Poutine, il a évoqué la coopération bilatérale, entre autre militaire. C’est ainsi qu’au matin du 28 avril 2024, 130 combattants de Wagner ont atterri à N’Djamena par un discret vol de la compagnie Ethiopian Airlines. Il n’est pas exclu que le président Mahamat ait cherché aussi à sécuriser sa victoire imminente aux élections qui allaient avoir lieu 10 jours plus tard.

La Russie, dans ce cas, lui aurait offert une assurance vie, pour sa personne et pour son régime. Elle a, ainsi, renforcé sa présence au Tchad, en particulier dans le domaine minier où elle excelle déjà au Burkina Faso, au Mali et ailleurs. Des contrats d’armement et de maintenance d’équipements militaires complexes ont été accordés à une entreprise russe, alors qu’avant c’est une firme ukrainienne qui en avait la charge. Le politologue russe Maksim Shugaley, bien connu dans certaines capitales africaines, a participé activement à la campagne électorale du général Déby. La Russie a adressé ses sincères félicitations au Tchad pour son succès électoral. Le ministère russe des Affaires étrangères a publié une déclaration indiquant que ces élections constituaient la dernière étape du processus de transition vers une vie constitutionnelle normale. Plusieurs accords ont également été signés récemment avec des établissements supérieurs en Russie, et l’Université de N’Djamena développera une coopération active avec ses homologues.

L’aspect protection du ciel des quatre régimes est symbolisé par la fourniture et l’installation de « systèmes anti-aériens de dernière génération ». Seul le Niger, à l’occasion d’une récente tournée d’inspection du chef d’état-major des armées, le général Moussa Salaou Barmou, formé en partie aux États-Unis, a admis avoir acquis, en outre, des missiles et des drones russes, toujours de dernière génération…

Source : mondafrique

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