En vainquant les islamistes au Mali, la France a-t-elle écarté du Sahel la menace ? Samuel Laurent, auteur deSahelistan (chroniqué sur ce blog il y a quelques jours), estime qu’un nouveau sanctuaire est en place en Libye. Cette interview est parue ce matin dans Dimanche Ouest-France.
L’opération Serval, c’est une bataille gagnée. Pas plus ? En éjectant le problème du Mali, on a déplacé le kyste vers la Libye où il s’est infecté. Le meilleur sanctuaire islamiste à mon avis, ce n’était pas le Mali, mais c’est celui qui s’ouvre à Oubari, dans l’extrême sud-ouest de la Libye, pays où personne ne peut intervenir. Une guerre, même une intervention militaire ponctuelle, y est aujourd’hui inenvisageable. Oubari, c’est historiquement la capitale du royaume touareg de Libye. C’est là que désormais commence le plus grand sanctuaire islamiste qui couvre une immense zone qui a été déclarée zone militaire, en novembre dernier parce quelle est totalement incontrôlée, sans armée ni police.
L’État est absent mais pas tout le monde ? Ceux qui y règnent, ce sont les Touaregs, mais ils ont littéralement vendu ce territoire aux islamistes venus du Mali après le lancement de l’opération Serval et après le bouclage de la frontière algérienne. Les islamistes se sont donc réfugiés dans le grand sud libyen, ils y ont monté des camps. En échange de ça, les Touaregs ont demandé le contrôle des filières de la drogue que tenaient les islamistes. Si l’intervention française a affaibli Aqmi, c’est moins militairement que financièrement puisque les islamistes ont perdu leurs filières d’acheminement de la drogue et tous leurs marchés. En cela, ils sont plus faibles. Mais ils ont hérité d’un repaire où ils se renforcent en armes et en combattants. Désormais, on est dans une configuration afghane.
Quelles sont leurs forces ? A Oubari, les islamistes disposent d’environ 400 hommes. Parce qu’on est en Libye on parle de « brigade ». Les islamistes ont donc créé la brigade 315 qui a été fondée par le salafiste cheikh Ahmed, un Touareg malien puissant. Elle recrute activement dans la population africaine du Fezzan (le sud de la Libye) où a émergé Abdoul Wahab Hassain Qaid, le frère d’Abou Yahya Al-libi, étoile montante d’Al-Qaida, tué au Pakistan par un drone US. Ces gens-là, leur complicité et leur logistique ont permis au commando de Mokhtar Belmokhtar de conduire le raid contre le complexe gazier d’In-Amenas en Algérie. Ils ont aussi permis aux combattants islamistes d’Aqmi et d’Ansar Dine de s’exfiltrer du Mali en mettant à disposition leurs guides touaregs sans qui il est impossible de se déplacer dans le désert en 4×4, même avec un GPS. On a besoin de connaître l’emplacement des champs de mines, par quels villages il faut passer pour se ravitailler, qui contrôle la zone, où on risque une embuscade. Les gens de la 315 étaient les meilleurs pour cette exfiltration du Mali vers le Niger et la Libye.
Après ce repli, quelle va être leur stratégie ? On vient de donner aux islamistes une occasion en or de panser leurs blessures, de se refaire une santé et de viser de nouveau la conquête du Sahel, du Mali d’abord puisque l’armée française l’évacue. Les islamistes vont donc repartir à l’assaut du Niger, du Mali.
19.05.2013
Source: Ouest-france