« La Direction générale des Douanes maliennes? Un des milieux les plus corrompus que les Maliens connaissent. Il ne s’agit pas du simple douanier qui fait passer quelqu’un pour un savon ou un paquet de cigarettes. Il s’agit plutôt des gabelous en chef qui brassent des milliards avec la bienveillance de l’État. Il s’agit des fausses déclarations, des disparitions de chèques, des containers et bien d’autres colis qui disparaissent dans les services des douanes du Mali sans laisser de trace ».
Ce « tag au vitriol » (il en existe des milliers d’autres) laissé sur notre compte mail par un internaute résume toute l’image négative que peut véhiculer la Direction générale des Douanes maliennes. « Les douaniers n’aiment pas partir à la retraite et rêvent d’être mutés à la Direction générale des Douanes! », s’amusent-ils à dire eux-mêmes. C’est que même brève, une carrière à la Direction générale des Douanes maliennes fait rêver de nombreux gabelous maliens tentés par l’ascension sociale. L’enrichissement rapide et conséquents de certains agents et cadres douaniers fait tache d’huile et a parfois valeur d’exemple.
Après un séjour en prison, certains gabelous au niveau des douanes en sont sortis, désormais persuadés « d’avoir mérité de jouir des biens mal acquis ». Ces gabelous en tirent plusieurs fois le « gros lot » grâce à leur poste au niveau des postes stratégiques des douanes. Des postes «juteux », voire des « machines à cash».
Sur les disparitions de chèque, les fausses déclarations et les containers dédouanés sans subir les vérifications d’usage, des gabelous de la Direction générale des douanes maliennes touchent de mirobolantes sommes d’argent. « Mais avant de me faire prendre, j’aurai largement eu le temps de mettre ma famille à l’abri du besoin pour les cinquante prochaines années ! », clament certains d’entre eux sans le moindre état d’âme. C’est d’ailleurs ce qui justifie les fausses déclarations sur la valeur au niveau des douanes. En chiffre, il y a environ 5 milliards de francs CFA de manque à gagner pour l’État malien.
Symptomatique du mal qui ronge l’institution douanière, l’enrichissement fulgurant d’agents et de cadres au niveau de la Direction des douanes maliennes fait scandale. « Il est indécent et honteux que des agents et cadres des douanes, qui entament à peine une carrière, puissent mener un fastueux train de vie, rouler en carrosse et s’acheter des résidences haut standing sans rendre des comptes», réagit des responsables de l’administration malienne. La corruption étalée impunément au grand jour est-elle pour autant l’avatar exclusif de cette Direction générale des Douanes du Mali?
L’omerta, une règle d’or
« La corruption est là, elle existe, mais pas avec les proportions qu’on lui prête. Il serait en effet erroné de se focaliser uniquement sur les Douanes et oublier des nids de corruption encore plus importants », avertit ledit haut responsable avant d’indiquer : « A des degrés variables, toutes les Douanes du monde sont touchées par la corruption. Je ne dis pas que chez nous la corruption est moins importante et moins grave ; je dis que les grosses commissions sont à chercher plutôt dans des secteurs comme l’énergie, les mines, les gros marchés de travaux publics, etc. ».
Les Douanes ont beau être aux avant-postes d’une économie mono-exportatrice, importatrice de presque tout (les importations ont dépassé les 50 milliards de FCFA en 2019), elles demeurent néanmoins à la « périphérie » de la grande corruption. « Seulement 13% des importations passent réellement sous le nez des Douanes », souligne notre haut responsable dans un accès de colère avant d’ajouter, amer : « Les 87% qui restent et qui représentent essentiellement les biens d’équipements leur échappent complètement et font l’objet de tractations à un autre niveau ».
Même devenu depuis longtemps un secret de polichinelle, la corruption au niveau des Douanes maliennes ne fait pas moins grincer des dents. Pourtant, il est presque tabou d’en parler, et dans le « milieu », l’omerta (loi du silence dans la mafia sicilienne) est une règle d’or, voire une règle de survie. Le sort réservé aux rares « gorges chaudes » de l’affaire dite de « coulage du pétrole » à la Direction générale des Douanes du Mali aura servi d’exemple. Et depuis qu’en 2006, sous le règne du feu Colonel Cheick Kéita, ils ont osé faire éclater l’esclandre des fonds spéciaux, tous les chefs de service des Douanes ont vu leur monde s’écrouler. Cette affaire de fonds spéciaux, qui fait référence au scandale de la perception des droits et taxes sur les produits pétroliers et qui, entre 2008 et 2009, a creusé un trou de 13,51 milliards de FCFA au niveau de la caisse du Bureau des produits pétroliers, n’est pas à ce jour encore tirée au clair. Les containers bourrés de marchandises diverses, drogue, véhicules, armes, etc. alimentent en réalité les circuits de la contrebande au Mali, avec la bienveillante complicité de certains douaniers. Et le fléau persiste à un tel rythme que chacun « garde la tête sous l’eau », sous peine de ne pas se retrouver au « placard » ou à la retraite anticipée.
« Je vis depuis lors comme un ermite », avoue notre haut responsable. Suspendu de leurs fonctions, pour trafic de marchandises, faux et usage de faux, certains gabelous réintègrent aujourd’hui les rangs des Douanes maliennes sous les « feux roulants » de la Direction, et bénéficient de promotion.
Face à la gabegie ambiante à la Direction générale des douanes et à l’affairisme du clan qui la dirige, doit-on s’emmurer dans un silence pour éviter les foudres de sa colère ? Heureux ceux qui se posent encore cette question, car il y a longtemps que l’oligarchie douanière au niveau de la Direction générale des Douanes a anesthésié les convictions moyennant espèces sonnantes et trébuchantes. Et partout, c’est le même constat : motus et bouche cousue, et personne pour dénoncer cette corruption à la pelle et cette mauvaise gouvernance. On reste de marbre face à la gestion clanique des cadres des Douanes, mais surtout face à cette gabegie ambiante qui hypothèque l’avenir des Maliens. Et partout, c’est le même silence assourdissant, parce que le tout-puissant patron des gabelous, l’inspecteur Mahamet Doucara verse des liasses dans leur escarcelle. Il faut donc applaudir ses faiblesses et tolérer ses fantasmes. Sinon comment comprendre les fausses déclarations réalisées au niveau des Douanes maliennes ainsi que l’annonce des faux recouvrements de recettes. Nous y reviendrons !
A. Diallo
Source : Nouveau Réveil