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Les charmes du diable (10) : Excitation inconnue

Abdou faisait deux constatations : Matou l’intéressait…le pick-up de transport de viande de son service l’intéressait davantage. Tous les dangers de son entreprise lui apparaissaient soudainement avec une éclatante clarté et son sourire s’estompait.

Les yeux de Matou fixaient ceux d’Abdou. Elle lui tendait les deux mains pour l’aider à se lever de l’escarbot sans prendre le risque de se faire découvrir les cuisses. Ses longues mains ne portaient aucune bague, et sur sa gorge couleur d’ébène un seul bijou ravissant, mais sans grande valeur, mettait la tache jaune de l’or plaqué. Puisqu’elle aimait les bijoux, lui se proposait de lui combler d’aise. Autant ses finances le lui permettaient. Abdou comprenait qu’elle était passionnément intéressée par son offre tant son visage s’illuminait de gaieté et  sentait son petit cœur bondir de la cage thoraxique. Matou n’était pas une dure-à-cuire comme nombre de jeunes femmes de son âge et de son élégance. Elle était vraiment extraordinaire.

Abdou sentait une fièvre étrange l’envahir. Il n’arrivait plus à chasser celle-ci de ses pensées jour et nuit. Mieux, il se détachait de ses trois épouses qui sentaient un affaissement de son affectivité. A peine quatre mois bouclés de son troisième mariage, Hawa avait commencé à espionner ses coépouses sur l’état de leurs liens avec le mari. Mais celles-ci semblaient s’interdire toute forme de coopération. Un léger énervement s’était emparé d’elle. Cependant le plaisir et l’excitation trouvés ces derniers temps sous le toit d’Abdou lui paraissaient plus forts que la tentation d’en découdre. A ses yeux, le mariage est une belle institution qu’il faut préserver quoique qu’il arrive.

Depuis un instant, Abdou cherchait vraiment quel pouvait être son parfum. Il ne ressemblait à rien de connu de lui. Léger, un peu citronné. Une odeur de flamboyant, de forêt de roses, de brise d’océan, qui se mariait bien avec l’élégance de la robe.

Le lendemain matin, alors qu’il reprenait le chemin du travail, Abdou faisait deux constatations : Matou l’intéressait…le pick-up de transport de viande de son service l’intéressait davantage. Il lui fallait trouver un acquéreur. Le sous-officier s’était absenté durant deux bonnes heures au motif qu’il avait divers achats à faire dans des magasins différents.

Quel fou il était ?

Une excitation inconnue s’emparait de lui. Il n’allait pas céder le véhicule flambant neuf au premier blanc bec intéressé, mais au plus offrant. Sourire crispé aux lèvres, le sous-officier approchait la porte d’entrée d’un richissime homme d’affaires. Seulement quelques mètres avant de la franchir, tous les dangers de son entreprise lui apparaissaient soudainement avec une éclatante clarté. Son sourire s’estompait. Son corps se mettait à trembler et il s’arrêtait quelques minutes. Quel fou il était ! A son âge comment osait-il se lancer seul sans aucune couverture de sa hiérarchie dans une telle aventure ? L’audace de son sang froid l’effrayait … Il s’attaquait à plus gros morceau.

Mais il n’était plus temps de reculer. Le souvenir du charme de Matou, sa promesse de lui gratifier de bijou en or, scintillant de mille feux lui rendaient le courage. Subitement la vision d’une dulcinée bien habillée, n’ayant des yeux que pour lui traversait son esprit en un éclair éblouissant. Il respirait profondément, enfouissait sa main dans la poche de son pantalon ample avant de se décider à franchir le rubicond.  A présent, il se sentait mieux préparé à aborder son interlocuteur affalé dans un fauteuil bourré et qui l’attendait. Un rapide coup d’œil lancé l’apprenait que tout l’ameublement respirait un luxe insolent. Des tables, buffets certainement importés. De France ou des Etats-Unis d’Amérique ? De vrais tableaux, pas de copies,  de célèbres peintres notamment Picasso, Van Gogh que le visiteur avait reconnu. Abdou avait bon goût, cependant la maigreur de ses finances excluait l’acquisition de tableaux célèbres. Lui s’était contenté de peintres locaux dont les œuvres étaient du reste magnifiques. La loi de la nature veut que les peintres meurent dans la misère, après quoi leurs œuvres sont vendues à des millions de dollars.

Une quinzaine de millions dans un sac à dos

Abdou appartenait à cette race très rare de soldats qui étaient capables de convaincre son vis-à-vis le plus sceptique, de transformer une idée jugée au départ banale en une jolie opportunité de fructifier les affaires. Ses liens avec  les affaires remontaient à son jeune âge. Une partie de sa vie tournait autour du négoce de son père. Quoique devenu adulte et engagé dans l’armée, il n’avait point perdu les vieux reflexes. D’ailleurs, il ne s’en était jamais écarté. En sa qualité de cuisinier en chef, il était rompu au marchandage sur les prix des denrées alimentaires. Son talent et sa parcelle d’enthousiasme étaient déterminants dans la vente du véhicule utilitaire.

La bataille était gagnée. Il ne restait plus que de présenter la Toyota 4×4 au client, à charge pour ce dernier de procéder au paiement en argent liquide. La seule objection sérieuse du milliardaire était « ne crois-tu pas que c’est dangereux de risquer ta carrière et ma réputation ? » Abdou avait juré main sur le cœur de demeurer «  muet comme une carpe même devant le poteau d’exécution ». Dès la tombée de la nuit l’affaire était bouclée. Le tout-terrain était conduit dans la plus grande discrétion dans une des résidences du client, à sa demande.

Nanti d’une quinzaine de millions soigneusement disposée dans un sac à dos, Abdou rejoignait Matou à un point convenu d’avance,  en compagnie de laquelle ils rendaient visite à un de ses amis qui était tailleur.  « Il saura t’habiller à merveille ! » affirmait-il. «  Sa collection a quelques modèles qui semblent avoir été créés pour toi… Il est indispensable que tu sois élégante pour la soirée de samedi ! » Après le tailleur, il lui conduisait dans un salon de coiffure  que tenait encore un de ses bons amis réputé grand coiffeur de Bamako.

Sur ces entrefaites, deux jours plus tard, exactement samedi, Matou et Abdou bras dessus-dessous faisaient leur entrée dans une discothèque très prisée de la capitale. Matou, il fallait le signaler, n’avait pas une grande habitude des virées nocturnes. Juste une présence dans les manifestations de mariage, d’anniversaire où elle avait esquissé quelques pas de danse.

A suivre

Georges François Traoré  

 

Source: L’Informateur- Mali

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