LES « 10 COMMANDEMENTS DE WASHINGTON » QUI ONT ENDETTÉ L’AFRIQUE :: AFRICA
En 1979, les institutions financières internationales (FMI et Banque Mondiale) imposent aux pays en développement l’application stricte de dix mesures libérales établies dans les bureaux de Washington. Retour sur l’obscure histoire de la création de la dette africaine.
Depuis les années 1940, chaque décennie a été le théâtre d’ingérence et de déstabilisation par l’intervention systématique des Institutions Financières Internationales (IFI). Ces interventions se sont tournées vers les Pays En Développement (Amérique Latine et Afrique) dans les années 1960. Ce sont des transferts de sommes astronomiques qui ont été injectées dans l’économie de ces nations par l’aide bilatérale (de gouvernement à gouvernement) ou multilatérale (par le biais des IFI). Concernant le continent africain, le constat amer de situations toujours aussi préoccupantes suscite de nombreuses critiques envers l’efficacité, l’utilité et les finalités du système de l’aide. Aujourd’hui encore, les peuples en paient le prix fort.
Les origines de la dette
Années 1940. En juillet 1944 dans un contexte de seconde guerre mondiale, une réunion à l’hôtel de Mont Washington à Bretton Woods rassemble plus de 700 délégués représentant 43 pays. [Il est à noter que la création du franc CFA en décembre 1945 est liée à la ratification des accords de Bretton Woods par la France]. Ces délégués décident de créer un système financier mondial où le dollar servira de monnaie d’échanges et seul convertible en or. L’objectif déclaré est d’éviter les écueils de la crise de 1929. En 1947, le FMI, la Banque Mondiale et le GATT (devenu l’Organisation Mondiale du Commerce en 1995), sont opérationnels pour contrôler réglementer l’économie mondiale.
Années 1960. Elles marquent le début de la vague d’indépendances africaines. [Néanmoins, certaines nations ont acquis leur indépendance plus tôt à l’instar du Libéria en 1847 ; de l’Egypte et de la Libye en 1951 ; du Soudan, du Maroc et de la Tunisie en 1956 ; du Ghana en 1957 et de la Guinée en 1958.] Le 1 janvier 1960 le Cameroun accède à son indépendance et ouvre la voie à seize autres pays. Le FMI et la BM jettent alors leur dévolu sur l’Afrique et l’Amérique Latine, transformant une initiative initialement destinée à l’Europe en organisation mondiale. La France et la Grande-Bretagne renforcées par le Plan Marshall et faisant face aux indépendances de leurs anciennes colonies, combinent altruisme et emprise géopolitique. La dette est principalement bilatérale. En effet, les anciens empires coloniaux favorisent les exportations de matières premières des anciennes colonies et encouragent une politique publique grands travaux. De leurs côtés, les Etats-Unis voient en ces nouvelles nations des alliés potentiels et stratégiques pour la guerre froide (1947-1991). Les Etats africains, galvanisés par des prêts toujours plus attractifs, dépensent sans compter. Les taux d’intérêts sont bas, la marge de progression ascendante et la main d’œuvre garantie par la jeunesse du continent.
Le virage de la dette africaine
Années 1970. Premier choc pétrolier de 1973. Il entraîne un gonflement de l’inflation. Cette année sonne également la fin du système de Bretton Woods, et le dollar est désormais indexé sur le cours du pétrole. La dette devient principalement privée car souscrite auprès des banques détentrices de ces « pétrodollars » qu’elles liquident vers les pays du Sud. C’est à partir de cette date et suite à sa réunion annuelle que la BM, présidée par McNamara, décide que la nouvelle priorité de l’aide sera désormais la lutte contre la pauvreté. Le second choc pétrolier de 1979 provoqué par la guerre Iran-Irak, parut insurmontable aux PED. Les banques occidentales, craintives de l’inflation encore palpables du premier choc, augmentent leurs taux d’intérêts, accroissant de façon exponentielle leur dette cumulée. Les pays empruntent à des taux extrêmement élevés pour rembourser les intérêts.
Années 1980. Communément appelée «la décennie perdue». Face aux dettes insoutenables des PED (de 50 milliards de dollars en 1968 à 600 milliards en 1980), le ministre mexicain des Finances prévient la Réserve Fédérale et le FMI le 12 août 1982, que le Mexique est en cessation de paiement. Ce «Week-end mexicain » est suivi par une cinquantaine d’autres pays. C’est la Crise de la dette. La panique s’empare des créanciers du Nord (banques centrales et commerciales) qui ne veulent plus prêter. Les pays endettés connaissent de violentes guerres civiles, la dégradation de leurs conditions de vie et une pauvreté grandissante. Dans ce contexte chaotique, Margareth Thatcher et Ronald Reagan vont imposer au monde une politique d’austérité par une orthodoxie monétaire libérale.
Les 10 commandements de Washington
Les PED démunis de créanciers, se retrouvent sous tutelle des IFI regroupant le FMI, la BM, les Clubs de Paris (regroupement des Etats créanciers) et de Londres (regroupant les grandes banques de Wall Street et de la City). Ce cartel bancaire leur impose les Plans d’Ajustement Structurels (PAS). Ces PAS incarnent «les dix commandements» du Consensus de Washington. Elles regroupent des mesures ultralibérales inspirées de l’école de Chicago et exigent l’application stricte des mesures ci-dessous. Sous peine de ne plus recevoir « d’aide », les PED doivent les respecter.
- Discipline budgétaire
- Priorité aux dépenses publiques dans les secteurs rentables
- Réformes fiscales
- Taux de change compétitifs
- Taux d’intérêts attractifs
- Libéralisation totale du commerce
- Libéralisation des flux de capitaux
- Privatisation des entreprises publiques
- Dérèglementation et dérégulation économique (aucun Etat n’a le droit d’intervenir économiquement sur le marché/libre concurrence internationale).
- Garantie du droit de propriété : propriété de la terre et propriété intellectuelle (accaparement des terres /brevets déposés = inégalités d’accès aux soins)
La perte de souveraineté
De façon factuelle, les conséquences de ces exigences se sont répercutées sur les plans politiques, économiques et sociaux. Au moment des indépendances africaines, l’Etat était le premier employeur. La diminution drastique des dépenses publiques a entraîné la suppression de nombreux emplois (la majorité des fonctionnaires a perdu leur emploi), la réduction des subventions accordées aux paysans et agriculteurs qui ont dû adopter la monoculture au détriment de cultures vivrières (émeutes de la faim), la baisse des revenus (de 30 à 50%). Les Plans d’ajustement structurels ont favorisé les exportations tournées vers les besoins des pays du Nord. Ainsi, dans une logique de libéralisme sauvage, la survie des populations africaine dépendait de la demande occidentale, des fluctuations des prix des matières premières fixés par le marché et de la concurrence internationale. Enfin, le service de la dette qui constituait une somme largement supérieure au budget du secteur public, a particulièrement affecté les secteurs de l’éducation et de la santé. Pour exemple en Tanzanie, le budget des services sociaux représentait 15% du budget de l’Etat contre 46% destiné au paiement du service de la dette.
Une dette illégitime
Les PAS furent un échec. Face aux mouvements de contestation des populations exploitées et à la corruption de certains chefs d’Etat, les IFI expérimentent ensuite l’«innovation financière» du Plan Brady. Elle encourage entre autres, l’implantation d’entreprises occidentales dans les PED ou le rachat des entreprises nationales, en contrepartie de l’annulation d’une partie de leur dette ou d’un gain de temps pour le remboursement. Ainsi, le Nigeria a privatisé 110 de ses 600 entreprises publiques.
Entre 1970 et 2002, l’Afrique a emprunté 539 milliards de dollars….et a remboursé 550 milliards à ses bailleurs de fonds. « (…) des bailleurs de fonds. Un terme qu’on utilise chaque jour comme s’il y avait des hommes dont le « bâillement » suffisait à créer le développement chez les autres » dénonçait très pertinemment Thomas Sankara en 1987, dans son discours prononcé à l’Union Africaine.
En relation internationale, les produits ou capital travail, partent des pays où ils sont abondants vers les pays où ils sont rares. Par contre et contre toute logique, le capital financier part des pays où il est rare vers ceux où il est abondant. Ces flux de sommes colossales ont tenté nombre de chefs d’Etats africains. Les puissances engagées dans la guerre froide n’étaient pas regardantes sur l’utilisation de cette « aide » qui profitait pour une part certaine à des dirigeants peu scrupuleux. Mais les vestiges de ces mesures successives qui évoluaient au gré des intérêts de la finance mondiale se transforment en poussière. La mondialisation dans ses méandres a négligé une ouverture : celle de la communication qui transcende les frontières et réunit les peuples. Une nouvelle vague de contestation plus forte, plus populaire et plus décidée que jamais est en marche. Elle exige la souveraineté du continent africain et son droit à l’autodétermination.